De EncyclopAtys
Bien avant la Guerre des Temples. Une époque où Atys était jeune et où la rivalité entre les Kamis et la Karavan n'avait pas encore éclaté en maints conflits ouverts. Alors vivaient deux homins de peuples différents. Une Fyrosse et un Matis, mais leurs destins étaient entrelacés pour l'éternité.
Dans l'Empire des Fyros brûlé par le soleil vivait Maidakka Bynx, fidèle et honorable servante de l'empire. Elle aimait son peuple et servait les Kamis avec dévotion et passion. Elle avait conquis la renommée dans de nombreuses batailles et l'Empereur en personne l'avait décorée pour sa valeur et son courage. Mais une chose navrait Maidakka : elle n'avait pu trouver d'homme qui lui convienne. De nombreux guerriers de son peuple lui avaient déjà offert des sacrifices et déposé des trésors à ses pieds dans l'espoir d'arracher d'elle ne serait-ce qu'un sourire bienveillant. Mais toutes ces rudes manières ne l'intéressaient pas. Ils étaient tous trop grossiers et vulgaires pour elle. Car même si elle était une grande guerrière, elle détestait faire étalage de ses exploits et s'enivrer de gloire éphémère. Ce qui était courant chez les hommes de son peuple. Et pourtant, elle désirait ardemment un compagnon. Dans son désespoir, elle s'en fut trouver une vieille voyante dans le profond du désert et lui demanda conseil.
Dans la pénombre de la petite hutte, la vieille homine dont la peau rappelait à Maidakka les plus anciens et les plus secs des arbres, dit d'une voix rauque de fumée :
Enfant de la guerre.
Tu trouveras ton mari.
Des ombres bleues, un artiste blanc surgira pour conquérir ton cœur au combat.
Mais fais attention, mon enfant.
Car si tu donnes ton cœur, ce sera pour toujours.
Et tu dois décider si ça vaut le prix a payer.
La guerrière, en colère, se dressa devant la vieille :
Un prix ? Quelle sorte de prix ? Et comment un artiste pourrait-il me vaincre au combat ?
Des ombres bleues ? Dis-moi, vieille homine, qu'est-ce que ça signifie ?
Mais l'antique voyante s'était déjà renfoncée dans son divan et son souffle saccadé s'éteignait dans un sommeil profond et magique.
Perplexe et un peu fâchée, Maidakka quitta la hutte délabrée et sortit dans la plaine ensoleillée. Alors que son regard embrassait toute la contrée, elle constata que presque aucune ombre n'y était visible. Elle jura donc que dorénavant, elle ne se battrait plus que pendant la journée. Lorsque le soleil bannit toute ombre du désert, qu'elle soit bleue ou noire. Elle s'entraînerait encore plus dur, car elle ne voulait pas rendre la tâche trop facile pour la vaincre et gagner son cœur à quiconque.
Cependant, dans le Royaume de Matia, parmi les les arbres géants vieux comme le monde, vivait alors un grand guerrier. Il s'appelait Varro Saidinno. Il était honorable et habile comme personne dans le maniement de maintes armes. Mais sa véritable passion était l'art de la confection d'armes et en particulier l'épée à une main, élégante et mortelle. Comme tous les Matis, il avait à cœur d'utiliser au mieux les matériaux et les plantes de son monde natal au profit de son peuple. Mais comme peu de Matis de son temps, il avait acquis les plus vastes des connaissances utiles à l'exercice de son art. Ses épées étaient les meilleures de tous les temps et les prix les plus hauts lui étaient offerts pour acquérir un de ses chefs-d'œuvre. La noblesse du pays convoitait ses faveurs. Les homins courtisaient ses épées, les homins courtisaient son cœur. Mais Varro était tellement absorbé par son travail qu'il ne trouvait pas le temps de chercher une épouse et il ne s'intéressait pas aux avances des dames et des nobles inconstants. Ils ne comprenaient pas ce qu'il faisait et qu'il donne tant pour porter ses armes jusqu'à la perfection. Il vivait pour son métier et la passion du combat. Mais quelque chose le rongeait, l'empêchant de dormir la nuit, hantant ses rêves comme aucune bête sauvage des bois ne l'aurait pu. Bien que toutes ses œuvres soient considérées comme merveilleuses et d'exceptionnelle qualité, dans son propre esprit, il savait au fond de lui n'avoir jamais créé de véritable chef-d'œuvre. Toutes ses armes étaient des choses mortes. Alors qu'une main vivante manie l'épée, l'épée elle-même ne peut l'assister. Varro rêvait de façonner un jour une épée vivante et obéissant aux souhaits de son maître. Une épée qui soutiendrait activement son combat et contribuerait à sa victoire.
Ainsi passa le temps. Maidakka combattit de nombreux adversaires et nul jamais ne la vainquit. Et nul, jamais, ne sortit de nulle ombre pour conquérir son cœur. Varro en apprit de plus en plus sur les ressources en matériaux du monde, sur l'art du combat et l'esprit des plantes. Mais jamais il ne réussit à créer un véritable chef-d'œuvre.
Et puis, un jour, le destin précipita son cours. Dans les tréfonds des racines d'Atys, des fibres et des essences qu'aucun homin n'avait jamais vues auparavant furent découvertes. Un groupe d'explorateurs de la capitale fut envoyé pour sécuriser ces précieuses ressources pour l'Empire. Un contingent de guerriers leur fut adjoint pour les protéger des bêtes des profondeurs. Maidakka était de ce contigent.
La nouvelle de la découverte de ces merveilleux matériaux parvint aussi aux oreilles de Varro. Il connaissait et utilisait beaucoup des essences présentes dans les Primes Racines et la sève qu'on trouvait là était d'une qualité incomparable. Il en avait fait sa meilleure armure et la nouvelle fit battre son cœur à tout rompre. Trouverait-il là-bas ce qu'il cherchait depuis si longtemps ? Il courut au Palais Royal aussi vite qu'il le put et se porta volontaire pour une mission de recherche.
Deux vorax géants étaient sortis d'un bosquet de grands jublas pour attaquer l'expédition et beaucoup, homins comme homines, avaient été tétanisés par la peur quand les deux bêtes s'étaient frayé un chemin sanglant dans le groupe. Les guerriers et les mages n'étaient parvenus à repousser les lézards qu'au prix de grandes efforts et trois d'entre eux avaient trouvé la mort. Leur guide entraîna cependant le groupe plus loin, car les matériaux convoités étaient non seulement rares, mais aussi accessibles uniquement à certains moments, dans des circonstances très précises.
Tout à la fois furieuse et enivrée par la bataille, Maidakka se précipita donc plus avant dans le crépuscule bleu-vert des Primes Racine, gardant constamment un œil sur son environnement. Elle ne pouvait pas résister à un sentiment étrange, comme si le destin reposait sur ses épaules tel un démon invisible infestant ses pensées. "Attention, il y a quelqu'un là.", siffla le guide entre ses dents serrées en pointant du doigt vers l'avant. Et en effet, tous purent distinguer quelques silhouettes élancées, occupées à extraire les précieux matériaux.
Ces maudits nez-pâles nous prennent tout ! Comment ces putains de Matis ont-il su ?! cracha quelqu'un.
— Je n'en sais foutre rien, fut la réponse rageuse, mais que je sois damné si on les laisse déterrer ces trésors tranquillement !
Vivement, les premiers guerriers jaillirent du sous-bois et lancèrent des cris sauvages sur l'ennemi. Maidakka voulut les rappeler à la raison, mais il était trop tard. Les Matis surpris lâchèrent leurs houes pour saisir en hâte épées et haches qu'il levèrent pour se défendre du mieux qu'ils pouvaient. En quelques instants, une bataille féroce a éclata pour la possession des précieux matériaux. Maidakka se jeta dans la bataille et terrassa d'un seul coup les premiers Matis qui se précipitèrent vers elle.
Environ une demi-journée plus tôt, l'expédition de Varros était arrivée là et avait établi son campement. Il s'était éloigné du groupe pour chercher seul de bonnes ressources. Le maître-artisan voulait être tranquille pour travailler. Il avait apporté tous ses outils et le meilleur de ses matériaux pour les combiner avec ceux, merveilleux, qu'il venait d'extraire. Et maintenant, il était assis, concentré, penché sur une épée presque terminée, dans une petite niche tranquille dans la paroi de la caverne. Des cris résonnèrent soudain dans l'obscurité : alors même qu'il allait mettre la dernière main à sa nouvelle épée, la bataille commençait non loin de lui. C'est en tenant fermement en main, l'épée toute fraîche, encore inachevée, qu'il traversa alors la caverne sombre et brumeuse pour aller prêter main forte à ses camarades.
Maidakka tournoyait et s'acharnait, parait et bloquait, esquivait les coups mortels et distribuait elle-même la mort à tour de bras. "Quel combat insensé !", se dit-elle, "Et déclenché à nouveau par l'orgueil, la cupidité et la soif d'en découdre des hommes. Derrière elle, des pas rapides approchaient, portés par l'écho d'un boyau étroit qui s'ouvrait un peu plus loin dans la paroi. Une brume bleuâtre fantomatique y soufflait, ne faisant qu'approfondir la noirceur des ombres. Bientôt une silhouette chatoyante émergea de l'ouverture moussue. Une de ces légères armures blanches que portent les Matis apparut, une longue épée et menaçante se leva et un visage pâle et déterminé se tourna vers elle. Pendant un instant, Maidakka se figea. Ses sens lui jouaient-ils un tour ? Les mots de la vieille voyante lui traversèrent l'esprit comme un écho spectral. Mais son adversaire était déjà tout proche. Avec habileté, il fit décrire à son épée un large arc de cercle sur elle et ce n'est pas sans mal qu'elle parvint à éviter le coup. Elle attaqua aussitôt après, mais le Matis s'écarta de sa lame comme si elle était faite d'herbe douce se courbant sous le vent. C'était à nouveau son tour et il lança violemment sa pointe droit vers son cœur. Avec une force extrême, elle para le coup et contre-attaqua.
Tranchant, piquant, ripostant, parant, les adversaires dansaient l'un autour de l'autre. Aucun n'était capable de prendre l'avantage sur à l'autre.
La réflexion traversa l'esprit de Maidakkas :
Il danse comme le vent chaud sur le désert…
Et Varro pensait :
Elle se bat comme un ocyx sauvage et déterminé… Je ne serais pas surpris si elle crachait le feu…
Soudain, ils s'écartèrent l'un de l'autre. Ils se campèrent l'un en face de l'autre. Ils se fixèrent des yeux. Le silence était tombé alentour. Tous leurs camarades étaient morts. Eux seuls demeuraient en vie. Respirant lourdement, armes baissées, peinant à tenir debout, mais en vie.
L'artiste blanc ! Qu'il est beau !
Comme si l'épée avait finalement trouvé sa cible, la douleur traversa le cœur de la Fyrosse. La peau noble et pâle de cet homme, sa posture droite et ferme, sa façon gracieuse de manier l'épée, comme en une danse… Le feu d'un amour irrésistible embrase soudain le cœur de la guerrière.
Et le cœur de Varro sidéré sembla lui aussi cesser de battre pendant un instant. Voilà une homine qui aime le combat autant que lui, qui maîtrise à la perfection l'art martial de son peuple. Qui est son égale, voire lui est supérieure. Silencieusement, les deux adversaires se tenaient face à face. Chacun était perdu dans ses pensées de l'autre. Pendant un moment qui s'éternisa, ils se tinrent ainsi…
C'est alors que l'un des Matis mortellement blessé leva la tête du tapis de mousse ensanglantée qui couvrait le sol. La douleur et la haine troublèrent ses sens lorsqu'il se mit à genoux pour lever une dernière fois son épée…
Maidakka fixa avec stupeur la lame qui sortait de sa poitrine. Percée à mort, elle s'effondra. Varro s'avança précipitamment et la prit dans ses bras. Son sang se répandit sur son armure et sur la jeune épée, désormais éprouvée au combat.
Maidakka, ton heure est venue ! proféra une voix douce et profonde venue de partout et de nulle part autour d'elle et en elle.
— Non, ce n'est pas possible ! Je viens de trouver mon bonheur. Je ne veux pas mourir.
— Mon enfant, tout le monde doit mourir. Ta graine est détruite. Ton heure est venue. Maintenant, viens à moi.
— Non, je t'en supplie, grand Ma'Duk ! Ne me laisse pas mourir, pas à l'instant où ma vie a trouvé un sens ! Je l'aime, plus que moi-même ! Plus que le combat ! Plus que mon peuple !
— Mesure tes paroles, enfant du désert. Tu viendras à moi comme il se doit !
— NON !! Je renonce à toi, Dieu cruel qui veut m'arracher à mon bien-aimé ! cria la rage désespérée qui submergeait Maidakka.
— Tu aimes un serviteur de la fausse déesse plus que toi-même, que la guerre, que ton peuple ! Tu oses me renier dans la mort ?!! tonna la voix du dans l'âme de Maidakka.
— OUI ! cria-t-elle de toutes ses forces.
— Qu'il en soit ainsi ! Ainsi tu seras avec ton bien-aimé ! Tant qu'il vivra et après sa mort, tu seras un instrument de mort, même dans la mort ! Mais tu ne connaîtras les joies du combat que lorsque tu auras tué ceux que tu as aimés !
Une douleur irrépressible déchira l'âme courroucée de la Fyrosse.
Varro s'agenouilla dans la mousse humide des racines primordiales et serra le corps mourant de son homine bien-aimée dans ses bras couverts de sang. Pendant longtemps, il pleura pour elle et, autour de lui, même les bêtes des enfers se taisaient, comme si un dieu le leur avait ordonné. Finalement, il se leva et commença à nettoyer le corps de la Fyrosse. Il regarda autour de lui. Tant de morts pour rien. Il ferait dignement ses adieux à tous les guerriers morts ici aujourd'hui, même si cela devait prendre des jours. Puis il prit conscience d'un nouveau son, comme un doux bouillonnement. Cela ressemblait un peu à des gouttes tombant dans l'eau. Il regarda autour de lui et son regard se posa sur son épée nouvellement fabriquée. Elle gisait auprès du corps de la guerrière. Sa lame baignant dans une mare de son sang. Des gouttes vertes de Sève se mélangèrent au sang de la guerrière qui fut alors absorbé, lentement mais sûrement, par la lame de l'épée… Il l'avait fait. L'épée vivait et buvait le sang de ses victimes. Varro ramassa l'arme. Elle se blottit dans sa main, comme si elle voulait être au plus près de lui. Il porta quelques coups dans le vide et la lame fendit l'air étouffant, puant la mort, avec un bruit semblant soupir d'amoureuse. Alors qu'il enfonçait l'épée dans le sol mou, un frisson traversa la lame. Comme un corps sous la caresse d'un amant. Mais Varro n'en éprouva aucune joie. Il avait perdu l'amour de sa vie à cause de la haine et de la cupidité aveugles. Aussi longtemps qu'il vivrait, il ne lèverait plus jamais la main pour combattre un homin.
Lorsque Varro acheva enfin sa tâche, triste et solitaire, et qu'il eut enseveli les corps de ceux tombés ce jour là, c'était comme s'il pouvait entendre à son côté, où pendait l'arme nouvelle, chuter des larmes.
En doux pleurs douloureux.