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Le nouvel Exode (2ème partie)
Le 25 Nivia, 3ème CA 2539
Le choc ... l'angoisse ... sur les visages de tous les homins, la peur et l'incertitude étaient revenues. Un mal encore plus terrible que les Tremblements d’Écorce s'était abattu sur les nouvelles terres des homins. Le Grand Ralentissement avait commencé.
- Le 25 Nivia, 3ème CA 2539.
Le fléau avait commencé il y a seulement quelques minutes, mais la panique était indescriptible à Fairhaven. Les Tremblements d’Écorce étaient un phénomène dramatique, mais les homins pouvaient le comprendre, le ressentir, toucher l’Écorce et sentir sa colère, ses soubresauts. Mais ça ...
Zorglor était dans le quartier des marchands de Fairhaven, négociant la vente de deux amplificateurs magiques avec Mac'Wiley Cothan, le marchand d'armes de mêlée, lorsque les premiers symptômes avaient commencé. Le bras de l'homin, tenant la paire d'amplificateurs sembla rester quelques instants comme suspendu dans l'air, avant de se remettre à bouger lentement. Ni Zorglor ni le marchand ne réagirent tout d'abord, trop interloqués pour comprendre, avant de prendre conscience que cet étrange phénomène les touchait entièrement.
Abasourdi, Zorglor s'était retourné, regardant en direction du bar où quelques clients étaient en train de discuter joyeusement quelques instants plus tôt. Le spectacle était ahurissant. Les mouvements de tous les homins semblaient comme ralentis, lourds, lents, ... comme si un de ces sorts de ralentissement que Zorglor avait tant de mal à maîtriser avait frappé toute la Fourche du Bon Marché. En quelques instants, l'étonnement qui s'était peint sur le visage des homins avait cédé la place à la peur, la panique. Ce grand sort de ralentissement, lancé par des ennemis inconnus, d'une puissance jamais vue jusqu'à présent ... Quel adversaire aussi formidable avait pu s’attaquer ainsi directement au cœur de la capitale de la Fédération Tryker, au beau milieu du Lac de la Liberté ? Les homins tout autour commençaient à courir avec une infinie lenteur vers l'entrée de la ville, pour échapper à l'emprise du Ralentissement.
De tous les pontons, l'Avenue de la Chambre Haute, le Chemin du Clocher, la Route de Rigan, les homins affluaient, dans une apathique fuite éperdue. Zorglor se retourna, et commença à suivre la foule, vers la plage ... sortir de Fairhaven ... échapper à cette étreinte ... Chaque pas était une épreuve, une lutte contre l'engourdissement, contre cette horrible sensation de lourdeur.
Mais en dehors de la ville, rien ne changea ... les homins erraient sans but sur la grève ... ce sort terrible semblait donc avoir atteint toutes les Nouvelles Terres homines ?
Le mot s'était répandu à une vitesse qui semblait presque comique étant donné la rapidité à laquelle les homins pouvaient agir : les Anciennes Terres... Là-bas ... fuir ! Quitter les Nouvelles Terres soumises à cette abomination, et faire le chemin inverse de celui que les homins avaient fait à la suite du Grand Essaim, suivre la Route de l'Exode. Cette Route que les dirigeants des quatre peuples, désireux de voir les homins reconquérir toutes leurs terres, avaient vanté environ cinq années de Jena plutôt, cette Route que peu d'homins, se sentant chez eux dans les Nouvelles Terres, avaient suivi...
Des rangs serrés de ceux qui seraient bientôt des réfugiés se massaient, toujours plus nombreux, vers le nouveau téléporteur, arrivant tout autant de la ville que de la colline. Le technicien tryker, les traits inquiets, mais fidèle à son poste, aidait du mieux qu'il pouvait les homins à franchir ce vortex d'un nouveau genre. Zorglor chercha dans la foule autour de lui, tentant de reconnaître des visages connus, mais il ne voyait rien, personne... Où étaient-ils tous ? Pourrait-il les retrouver ?
Ces pensées tourbillonnaient dans la tête de Zorglor alors qu'il achevait le dernier pas vers le téléporteur. Une lueur dorée enveloppa l'homin, qui ferma les yeux.
Quand ses paupières se rouvrirent, le tryker était dans un lieu inconnu, ressemblant vaguement aux paysages familiers d'Aeden Aqueous. Après quelques instants, il eut le réflexe de tenter de faire un pas en avant. Cet endroit semblait en effet épargné par le Ralentissement, et l'homin fit quelques pas, les yeux fermés, oubliant la réalité pour quelques instants, pour le simple plaisir de pouvoir à nouveau faire librement ce geste. Zorglor et les quelques homins qui étaient arrivés à proximité passèrent deux jours à errer sur les Anciennes Terres, rencontrant sporadiquement d'autres petits groupes de réfugiés, chassant quelques animaux qui passaient par là. Par chance, la plupart des homins avaient sur eux de quoi se défendre et ils ne firent pas de mauvaises rencontres.
Le troisième jour, le petit groupe progressait dans un long canyon, formé il y a bien longtemps par le cours d'une rivière. Après un ultime méandre, le lieu leur apparut. Entièrement encerclé par de hautes collines, et bordé par une grande étendue de sciure parsemée de Bamboos, le petit lac fut pour les homins la plus réjouissante des visions depuis leur départ de Fairhaven.
S'approchant lentement de l'eau, sur laquelle les Olansis et les Flyners bougeaient lentement au gré du vent, les réfugiés eurent la joie supplémentaire de voir un petit nombre d'autres homins rassemblés autour de quelques constructions.
Une trykette aux cheveux turquoise s'approchait d'eux, et ceux qui la connaissaient eurent tôt fait de saluer Tauntaya, qui inclina doucement la tête.
- - Lorganeer ici, sey ! Vous pouvez aller vous reposer ou vous désaltérer au bar.
Les réfugiés fatigués se rapprochèrent des homins déjà installés autour du petit feu. Zorglor jeta un regard vers ce qui ressemblait à un bar, devant lequel quelques silhouettes semblaient attendre. Le tryker se retourna vers le feu, s'assit, et ferma les yeux.
Enfin un peu de calme, de détente, et la joie de revoir quelques homins connus... même s'il n'avait toujours pas la moindre de nouvelles de nombreux autres, c'était déjà un premier réconfort.
Zorglor commençait à sombrer lentement dans le sommeil quand un éclat de voix courroucé lui fit relever la tête et se tourner vers le bar.
- - Comment ça, pas de bière Tryker ? Ah an !! Et ils appellent ça un bar ?
La caresse du vent sur le visage de Nymphéa fut sa première sensation sur les Anciennes Terres. Douce et apaisante, légère et rassurante, tiède et familière. Sans même regarder autour d’elle, la trykette était certaine de se trouver dans une zone lacustre : le Vent le lui murmurait.
Elle ne prêta tout d’abord aucune attention au paysage qui était désormais son refuge ; nul regard vers les homins courant droit devant eux sans subir aucun ralentissement ; nul oreille attentive aux cris de soulagement transportés dans les airs comme autant de notes d’espoir. La trykette aux couettes vertes devenues violettes suite à un incident de teinture restait penchée au-dessus de son bébé, étudiant avec anxiété l’évolution de sa respiration.
Après un instant d’incertitude, l’état de Maheany s’améliora. Le bébé retrouva peu à peu son souffle, sa cage thoracique se soulevant de nouveau facilement. Bientôt, ses joues se recolorèrent d’un joli rose pâle. Souriant à sa mère, l’enfant étonné agita ses petits bras avec délice, gazouillant pour montrer sa joie de pouvoir se mouvoir et respirer librement.
- - Oh, yem Maheany, j’ai eu tellement peur pour toi !
Elle ajouta, comme pour elle-même :
- - Tu sais, ton père arrivera bientôt avec tes frères et sœurs, tu verras. Il ne peut en être autrement.
Nantie de ses pensées optimistes, la trykette regarda enfin autour d’elle. Un petit lac se trouvait non loin de l’endroit où la mère et l’enfant avaient été téléportés. S’en approchant instinctivement, comme maints réfugiés autour d’elle, Nymphéa aperçut ce qui ressemblait à un bar.
- - Un bar ! Il va y avoir du lait de messab pour Maheany et de la bière tryker pour moi ! Quelle chance nous avons ! Nous sommes tombées sur un petit coin de paradis !
Esquissant quelques pas de danse, elle se dirigea tout droit vers ce lieu autant providentiel qu’indispensable. Alors qu’elle n’était plus qu’à quelques mètres, la voix mécontente d’un client retentit :
- - Comment ça, pas de bière tryker ? Ah an !! Et ils appellent ça un bar ?
Froncement de sourcils. Pas de bière tryker. Et elle qui n’avait pas pensé à en emporter ! Quel désastre !!!
Elle songea alors avec désespoir qu’elle était partie sans rien dans son sac, à part une armure moyenne, un change pour le bébé, une dague et sa boite de fruits caramélisés. Et rien ne lui disait combien de temps elles devraient vivre ici toutes deux ! Comment allaient-elles faire ? Tous ces réfugiés autour d’elle, qu’allaient-ils devenir ? Et que devenaient ses autres enfants et Amatsu, restés à Pyr ? Perdant son sourire, elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle serra son bébé contre elle, seule au milieu des homins aussi perdus qu’elle, regardant sans vraiment le voir le paysage inconnu qui l’entourait.
C’est alors qu’un papillon virevolta devant elle, semblant rivaliser d’audace pour attirer son attention. Souriant un peu au danseur aérien, elle le suivit des yeux jusqu’à un petit feu autour duquel étaient assis plusieurs réfugiés. Ses yeux s’arrondirent soudain en reconnaissant une silhouette somnolant face au feu : Zorglor ! Le visage de la trykette s’illumina d’un sourire. Son ami était là, tout irait bien. Elle n’était pas seule.
Le petit lac était décidément un lieu enchanteur, mais un peu étrange. Il y avait bien un bar, en effet, mais celui-ci était tenu par une matis qui, à en juger par le cri qui venait de retentir, ne semblait pas très bien connaître son métier.
Semblant apparaître de nulle part, un papillon bleu passa soudain devant les yeux de Zorglor. Levant la tête, il le suivit des yeux, jusqu'à ce que son regard se pose sur une nouvelle arrivante. Le visage du tryker s'illumina, tandis qu'il oubliait les soucis du moment. Il se releva et se dirigea vers Nymphéa, qui tenait Maheany dans ses bras.
- - Lorganeer vous-deux, je suis content de voir que vous avez pu fuir Fairhaven !
Il se pencha et sourit tendrement au bébé qui gazouillait en agitant les bras, avant de faire un grand sourire à l'homine qui lui rendit.
- - Lordoy Ny-toi, je suis contente aussi !
Les deux homins restèrent immobiles quelques instants avant que Nymphéa ne demande
- - Quelle est cette histoire de bière tryker ?
- - Je ne sais pas, allons voir !
Questionnée, la matis leva les yeux au ciel :
- - An je n'ai pas de bière tryker ! Mais qu'est-ce qu'ils ont tous aujourd'hui ? J'ai de l'excellente bière d'Avalae par contre !
Méfiants, les deux trykers acceptèrent le breuvage ... avant de décider que pour la bière, être grand ne servait à rien, et que personne ne savait mieux faire la bière que les trykers d'Avendale.
Les homins commencèrent à explorer les environs, s'éloignant un peu du lac. Au loin, on pouvait distinguer quelques constructions. Alors qu'ils se rapprochaient, ils commencèrent à entendre une étrange musique. Il y avait là quelques musiciens et une dizaine de danseuses, se laissant emporter par la mélodie, jouée par des Zoraï. Le sourire de Nymphéa s'élargit alors qu'elle s'approchait. Mais soudain, la trykette fronça les sourcils :
- - Ah mais ça ne va pas du tout, il n'y a pas de danseuse trykette !
Riant, elle étendit une couverture sur la sciure et y déposa délicatement le porte-bébé dans lequel Maheany s'était endormie, puis courut vers le groupe de danseuses, entrainant Zorglor. Celui-ci ne put danser que quelques minutes avant de retourner souriant à l'endroit où le bébé dormait toujours, ignorante de toute l'agitation autour d'elle. Le tryker se tourna vers le groupe de chorégraphes, ne quittant pas des yeux le visage épanoui de Nymphéa. Toutefois, quand l'homine s'arrêta de danser, la joie et l'insouciance qu'elle tentait toujours d'afficher ne suffisaient plus à masquer l'angoisse qui envahissait lentement son doux visage. Zorglor hésita quelques instants puis se releva et s'approcha doucement.
- - Ny-Nymphéa ...
L'homine releva le regard, les yeux remplis de larmes, sur le point de chavirer :
- - J'ai si peur, Ny-toi !
Le tryker hocha doucement la tête :
- - Je sais, Ny-Nymphéa ... Nous avons tous peur ... il se passe tant de choses inquiétantes, il y a tant de gens dont nous n'avons pas de nouvelles ...
- - Les enfants ... al Amatsu ... ils sont à Pyr, je n'ai pas de nouvelles d'eux ... je ne sais plus ! »
- - Oy eny ... regarde ... les réfugiés arrivent petit à petit ... il faudra du temps pour que nous nous retrouvions tous ... mais nous y arriverons ... il ne faut pas perdre espoir ...
La voix de Zorglor s'étrangla un peu alors que lui-même pensait à tous ceux dont il était sans nouvelles, et il soupira un peu.
- - An, ne pas perdre espoir, jamais ...
L'homine resta silencieuse quelques instants avant de murmurer, en essayant de masquer le tremblement dans sa voix.
- - Oy ... tu as raison, je dois attendre ... Grytt ...
Nymphéa respira profondément, puis releva la tête et sourit.
- - Dis, tu as faim ? J'ai des pattes de clopper !
Les deux homins s'installèrent pour manger, rejoints par Osquallo. Les pattes de clopper finissaient de griller sur un petit feu magique Zoraï quand Nymphéa sortit deux récipients.
- - Il y a deux sauces ! Une aux champignons, et celle-ci est aux piments de cratcha !
Zorglor hésitait ...
- - La sauce aux piments, je l'ai faite moi-même !
- - Oh ! Hum ... je ne devrais pas manger trop de piments, je ne les supporte pas bien...
Le tryker essaya de faire un signe discret à Osquallo, qui ne le vit pas et choisit la sauce aux piments.
Nymphéa regarda les deux homins manger. Zorglor commenca à grignoter la patte, regardant Osquallo du coin de l'œil. Le matis commença à manger sa part, légèrement trempée dans la sauce, puis s'interrompit soudain, portant la main à sa poitrine et demandant de l'eau avec des gestes frénétiques. Zorglor lui tendit très vite la gourde, que le matis vida, ainsi qu'une deuxième, avant de reprendre sa respiration :
- - Je crois qu'elle est un peu forte !!
La trykette fronça les sourcils.
- - Forte ? Ah mais an voyons, j'ai juste mis ce qu'il faut !
Nymphéa prit un morceau de clopper qu'elle trempa généreusement dans la sauce, avant de mordre dedans à belles dents, avant que les deux homins n'aient eu le temps de faire quoi que ce soit. Le visage de l'homine changea de couleur, passant du bleu qu'elle adorait au vert de ses yeux, avant qu'elle ne tombe à terre, immobile. Zorglor poussa un cri et s'agenouilla près de l'homine, qui ne bougeait plus. Les décharges d'énergie salvatrice que les deux homins faisaient crépiter sur son corps semblaient sans effet sur la trykette qui ne respirait plus. Zorglor leva l'œil vers Osquallo, qui semblait aussi perdu que lui, restant comme paralysé. Le tryker se retourna vers Nymphéa, hésitant, puis se pencha en avant et déposa délicatement ses lèvres sur celles de l'homine, avant de souffler doucement. Au bout de quelques instants, le corps de l'homine fut secoué d'un grand spasme, tandis qu'elle inspirait violemment. Nymphéa mit quelques minutes à retrouver sa respiration et à reprendre des couleurs normales. Zorglor resta agenouillé à ses côtés pendant qu'Osquallo était parti remplir à nouveau les outres d'eau.
Le premier geste de l'homine fut de renverser avec horreur dans la sciure le récipient contenant la sauce aux piments. Après quelques temps, les trois homins purent terminer leur repas, riant de l'incident, Maheany les regardant en souriant. Quand le bébé commença à dodeliner de la tête, baillant et pleurant un peu, Nymphéa sourit puis se releva.
- - Il va être l'heure pour nous deux d'aller dormir !
L'homine récupéra la sauce aux champignons, reprit le porte-bébé et fit un signe aux deux homins avant de se retourner.
- - Seelagan al Lorandoy, Ny-Nymphéa...
Zorglor regarda s'éloigner l'homine et son bébé, puis se leva à son tour, allant s'installer près du lac pour y passer la nuit.
Lorsque Zorglor se réveilla le lendemain matin, le soleil était déjà haut et faisait miroiter le lac de mille feux. A proximité du bar, se tenaient plusieurs homines, dont une que Zorglor n'avait pas encore vue ici. Le tryker fronça les sourcils, il l'avait déjà rencontrée, mais ne parvenait pas à la reconnaitre, et à mettre un nom sur l'altière matis, dont le cou s'ornait d'un grand médaillon kamiste. Soudain la scène lui revint en mémoire ... Zorglor l'avait déjà rencontrée à Fairhaven ... Titana ! La sœur adoptive de Nymphéa, qui avait perdu la mémoire.
La matis inclina imperceptiblement la tête en réponse au salut de Zorglor, avant de se lancer dans un flot de paroles entremêlées sur le Grand Ralentissement, ses amis les Graines de Kamis, les Karavaniers, sa sœur Nymphéa, son frère Kywee, ... Remarquant soudain le sourire du tryker, Titana fronça les sourcils et demanda d'un air sévère :
- - Eh bien quoi ?
Souriant toujours, il rassura Titana concernant sa sœur. Le visage de l'homine sembla s'adoucir quelques instants, avant qu'elle ne commence à poser un flot de questions toujours plus pressantes, auxquelles Zorglor répondit, légèrement agacé. Une fois satisfaite, Titana fronça à nouveau les sourcils puis se remit à détailler ses théories concernant le Grand Ralentissement. Zorglor ouvrit la bouche pour répondre, mais s'interrompit. Autant essayer de parler de politique Tryker avec Slucer ! Il se contenta donc de hocher poliment la tête, ce qui parut déplaire encore plus à Titana, qui accentua encore la véhémence de son discours, jusqu'à ce que le tryker, passablement énervé, ne prétexte une affaire à régler, ce qui fit simplement hausser les épaules à la matis. Zorglor retourna vers le lac, tandis qu'elle expliquait aux autres homines présentes qu'elle ne comptait pas rester dans cet endroit, mais continuer son exploration.
L'homin fronçait les sourcils. Détestant s'énerver sur des questions religieuses, il était étrangement troublé par la diatribe de Titana, et ne fut pas malheureux de constater, en revenant quelques temps plus tard, que celle-ci avait disparu. Nymphéa revint avec Maheany quelques moments après le départ de sa sœur, après une longue promenade autour du lac. L'homine fut à la fois heureuse de savoir sa sœur en bonne santé et triste de ne pas l'avoir rencontrée...
Un peu plus tard dans la journée, un jeune tryker qui avait quitté l'endroit la veille revient annoncer à tous les homins présents qu'un nouveau lieu accueillant avait été découvert à proximité, et que de nombreux réfugiés s'y retrouvaient. Après quelques discussions, les homins décidèrent de suivre le messager et, rassemblant leurs quelques affaires, le suivirent dans le canyon en aval du lac. A l'issue d'une courte marche, ils atteignirent un nouveau lac, assez étendu, sur lequel on distinguait une île. Le petit groupe se mit à l'eau, à la joie des trykers, et dans les grommellements d'une bonne partie des autres.
Les réfugiés nageaient gaiement et mirent un certain temps à atteindre la petite île, presque entièrement déserte à l'exception de quelques arbres. Prenant pied dessus, leur guide leur montra une deuxième île, plus étendue, sur laquelle on distinguait diverses constructions.
- - C'est là-bas que nous allons, il n'y a rien ici.
Le petit groupe d'homins nagea à nouveau jusqu'à la seconde île, dont une bonne partie de la surface était occupée par un très grand bar. Le grand comptoir derrière lequel étaient présents plusieurs vendeurs barraient l'accès à tout une partie du bout de terre, sur lequel était entassée une impressionnante quantité de victuailles et de tonnelets. Les homins s'approchèrent lentement, surveillant du coin de l'œil les deux grands varinx domestiqués, tandis que ceux déjà présents, assis autour d'un feu, leur faisaient de grands signes de bienvenue. Étrangement, la plupart de ceux-là semblaient avoir fui les Nouvelles Terres avec seulement une partie de leurs vêtements, certains les ayant même tous oubliés !
Nymphéa se détacha du groupe et s'avança vers le bar, pour demander d'une voix anxieuse :
- - Est-ce que vous avez de la bière tryker ici ?
La serveuse écarquilla les yeux, et fronça légèrement les sourcils en répondant à l'homine.
- - Bah Oy naturellement ! Drôle de question !
- Le 21 Floris 2ème CA 2540
Les jours s’écoulaient lentement sur « l’île de Val », comme on l’appelait. Les réfugiés continuaient à affluer et les anciens les aidaient au mieux à s’installer et à prendre leurs repères. Ici la vie était simple : pas de prédateurs, nourriture et boisson à volonté grâce à la prévoyance du Fyros auquel appartenait le bar, lequel, d’ailleurs, ressemblait presque à une forteresse. Ici, les réfugiés se reposaient et tombaient peu à peu dans la routine d’une vie trop simple : pas de chasses périlleuses à mener, pas de guerres pour dominer, pas de sources à forer …
Ici, même la religion semblait ne plus bercer la vie des homins. Loin de l’influence de la Karavan et des Kamis, les réfugiés semblaient peu à peu perdre leur virulence envers ceux d’une autre croyance.
« Egalité, Fraternité » … Dans ce lieu oublié, ces deux valeurs trykers reprenaient leur droit avec un naturel déconcertant … Des jeux collectifs s’organisaient, au cours desquels kamistes, karavaniers et neutres redevenaient de simples homins riant ensemble pour oublier leur inquiétude et tromper leur ennui ; des amourettes naissaient entre anciens ennemis, sous l’œil indulgent de tous ; la bière coulait à flot, de glorieux souvenirs étaient évoqués, se transformant souvent en véritables épisodes épiques. Mais nul n’osait jamais parler de l’avenir … Les plus grandes craintes de ces réfugiés restaient muettes : reverraient-ils un jour ces Nouvelles Terres qui étaient leur foyer ? Reverraient-ils leur famille, leurs amis ?
Le quotidien des exilés pouvait se résumer en un mot : survivre …
Pour Nymphéa, les jours s’écoulaient lentement, tous semblables. Elle passait presque tout son temps à s’occuper de son bébé. Maheany, du haut de ses six mois, s’était très vite adaptée à cette nouvelle situation, ne semblant pas se demander où étaient passés son père et ses frères et sœurs. S’occuper de son bébé évitait à Nymphéa de trop penser à ce qui la tourmentait tant : l’impossibilité de savoir si les siens allaient bien … Elle n’avait aucune nouvelle d’Amatsu, ni de ses autres enfants, ni même des Dragons. Avaient-ils survécu ? S’étaient-ils réfugiés sur une autre Terre, se posant les mêmes questions à son égard ? Tant de questions sans réponses …
Par chance, son ami Zorglor était là. Toujours discret, toujours disponible. Il l’aidait souvent à s’occuper de Maheany, et la petite le reconnaissait à présent de loin, gazouillant lorsqu’elle entendait sa voix. Sa présence rassurait Nymphéa. Zorglor devenait peu à peu son point d’attache, son repère, sans qu’elle en ait réellement conscience. Ils passaient de longs moments à discuter ensemble, à plaisanter de tout et de rien, à se confier leurs inquiétudes. Lorsque, certains jours, les larmes de la Trykette ne pouvaient s’empêcher de rouler, elle sentait les yeux de Zorglor se poser timidement sur elle et celui-ci l’approchait, la réconfortant de quelques mots … Avec lui, tout devenait si simple que c’en était parfois déroutant …
- Le 11 Medis, 4ème CA 2540
Comment était-ce possible ? Comment un silence pouvait-il être si pesant et surtout, comment pouvait-il crier si fort dans sa tête ?
Assise au bord de l’ile de Val, la Trykette aux couettes violettes laissait glisser son regard sur l’eau calme et paisible. Cela faisait plusieurs semaines à présent que le lien mental l’unissant à Amatsu était coupé et elle avait de plus en plus de mal à le supporter. Elle avait tant pris l’habitude, au cours de ces dernières années, de partager à tout instant les pensées d’Amatsu que le fait de ne plus entendre que les siennes lui procurait comme un vertige. Le sevrage était aussi brutal qu’involontaire, mais le Lien ne pouvait passer entre les Anciennes Terres et les Nouvelles.
Soupirant, Nymphéa baissa son regard sur une petite boite posée sur ses genoux. Des fruits caramélisés faits par Amatsu lui-même, un trésor qui se réduisait inéluctablement comme une peau de chagrin.
Économiser ces friandises vitales. Il le fallait ! Elle ne pouvait imaginer un instant ce que serait sa vie sans ces délicieux fruits et il en restait si peu déjà ! Mais comment réduire au silence cette envie furieuse de mordre à pleines dents dans un fruit savoureux ? Comment résister à cet envoutant appel des papilles, frémissant à l’idée même de sentir cet exquis caramel fondre dans la bouche ? C’était inhomin !!! Et avant d’avoir eu le temps de réfléchir plus loin, Nymphéa se retrouva en train de déguster un fruit caramélisé, les yeux mi-clos, oubliant pour un instant tout ce qui n’était pas sensations gustatives.
Une ombre s’approcha discrètement et s’assit timidement un peu en arrière de la Trykette. Celle-ci tourna la tête et sourit à l’homin qui portait un bébé endormi.
- - Ny-Zorglor ! Approche, je ne mords pas voyons !
Son regard s’adoucit en voyant Maheany paisiblement endormie dans les bras du tryker.
- - Elle t’a adopté on dirait !
Zorglor adorait s’occuper du bébé et ce dernier lui rendait bien.
- - Grytt pour ton aide, j’avais besoin de me retrouver seule un peu.
La trykette leva ses grands yeux verts vers Zorglor.
- - Il ne me reste que 40 fruits caramélisés, tu te rends compte ? Même en me restreignant à deux par jour, je n’en aurai que pour vingt jours. Je ne sais comment faire.
Zorglor réfléchit un peu et proposa :
- - Et si tu les coupais en deux ? En en prenant deux moitiés par jour, cela tiendra le double de temps.
Nymphéa ouvrit des yeux ronds.
- - Les couper en deux ? Oy Eny il y a un problème !!! Si j’en touche un, je le mange. A moins que …
Elle regarda Zorglor en souriant, puis lui tendit la boite. Le tryker sourit à son tour et redonna à sa mère le bébé endormi.
- - D’accord, je vais te les couper en deux, Ny-Nymphéa. Cela me semble plus prudent en effet.
Le soleil se couchait sur l’île de Val. Loin du bar animé, deux silhouettes côte à côte regardaient le lac. Entre elles, une couverture réchauffait un enfant. Nul mot n’était échangé mais un sourire de connivence les animait. Des moitiés de fruits. Il fallait y penser, non ?
Zorglor s'était réveillé tôt ce matin, ouvrant les yeux sur les quelques affaires qui étaient posées à côté de lui, sur la berge du lac, derrière un petit bosquet de bamboos. Il avait besoin de solitude, de s'évader ... et s'était donc tout naturellement retrouvé dans le lac, glissant doucement dans l'eau.
Le tryker nageait les yeux à moitié fermés, essayant de faire le vide dans son esprit.
Evoluer dans l'eau azur de l'étendue lacustre. Ressentir jusqu'au bout de ses doigts la fraicheur du liquide et sentir les diverses algues courir le long de son corps. Entendre les cris sporadiques des oiseaux marins à la recherche d'une proie ou de plancton. Regarder les plantes marines s'agiter au gré du vent, admirer les reflets de la lumière de l'astre Atysien sur la surface irisée en alternance avec les ombres projetées par l'immense Canopée au-dessus de leurs têtes. Respirer à pleins poumons la légère odeur, indéfinissable, qui ravissait tout homin lorsqu'il arrivait en Aeden Aqueous, émergeant d'un vortex ou d'un pacte de téléportation...
Bref, tout ce qui était d'une parfaite normalité dans le bonheur ordinaire de la vie des Trykers, et de tous les homins, sur Atys, sur leur planète. Tout cela existait encore, certes ... mais qu'est ce qui était encore normal dans leurs vies ? Pour tous les homins, ici, la vie semblait en suspens ; tous attendaient des nouvelles, qui de leurs amis, qui de leurs familles ; tous se demandaient ce qu'Atys allait devenir, et pour aucun la vie n'était normale.
Et puis pour certains autres, il y avait autre chose. Zorglor se mit à nager plus vite, tentant sans succès de chasser de ses pensées ce visage qui l'obsédait, ce rire qui le ravissait, ce regard vert qui le faisait ciller au bout de quelques instants... Nymphéa ... Nageant toujours sans but, l'homin se crispa. Tout en lui lui disait de cesser cette folie, de ne plus penser à la trykette dont il était déjà fou amoureux ... Sa raison lui intimait d'arrêter de se perdre dans ses rêves, dans ces instants de bonheur, ici, en sa présence et en celle de Maheany ... Maheany ... Nymphéa ... Le tryker laissa échapper un sanglot, provoquant l'effroi d'un yber qui voletait tranquillement au-dessus de lui.
Il devait partir ... quitter le bar et tout oublier ... c'était la seule solution raisonnable. Mais comment pouvait-il partir, laisser ses rêves et son bonheur derrière lui ... Pas tout de suite alors, encore un jour, quelques jours, puis il faudrait partir ... il le devait.
Zorglor regagna la berge, sortit de l'eau, se laissa sécher au soleil, puis s'habilla. En glissant sa dague à sa ceinture, il sourit en repensant à cet incident la veille, quand une des serveuses matis du bar avait essayé de convaincre les clients que, pour découper sa viande, plutôt que la dague, il valait mieux utiliser une lame ridiculement petite qu'elle avait nommé "couteau" et qui ne pouvait servir qu'à cela. Ce "couteau" devait d'ailleurs être accompagné d'un autre accessoire, un genre de râteau miniature appelé "fourchette". Les trykers présents avaient beaucoup ri, surtout quand Nymphéa avait proposé d'utiliser la "fourchette" comme peigne à cheveux.
L'homin prit une grande inspiration puis se dirigea vers le bar, pour aller demander un lait de messab.