Guilde:Bai Nhori Drakani/Archives/Le nouvel Exode/Le nouvel Exode 1

De EncyclopAtys

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Le nouvel Exode


Le 12 Thermis, 3ème CA 2539


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Cette journée avait pourtant si bien commencé à Fairhaven... Harvestor était déjà commencé, les lacs brillaient des derniers feux de l'été, Zorglor attendait avec impatience la pleine saison, si propice au forage des ambres sur les bords du grand lac des Lagons de Loria.




Le 12 Thermis, 3ème CA 2539

De passage à Source pour une rapide inspection au Poste d'Echange du Porche, Zorglor avait eu la joie d'y rencontrer Cross qui aidait un jeune réfugié du nom de Kinoux à s'entrainer au maniement des armes de mêlée, et il s'était joint à eux, tentant d'endormir les stingas, sans grand succès.

Les premiers effets incongrus commencèrent à se manifester peu après, tout d'abord imperceptiblement, puis de plus en plus fort. L'écorce semblait trembler sous les pieds des homins, tandis que leurs mouvements se faisaient plus lents, plus lourds. En quelques minutes, la trépidation s'était amplifiée, comme si Atys toute entière grinçait, manifestant son mécontentement. Tout d'abord simplement intrigués, les homins, à présent inquiets et désorientés, brisèrent des pactes, et se retrouvèrent à Fairhaven, après un temps qui leur apparut comme une éternité.

Le spectacle qui les attendait à Fairhaven était indescriptible. Sur la grande plage entre l'entrée et l'étable, de nombreux homins de tous les peuples s'étaient rassemblés, semblant en proie à une indescriptible agitation. Plusieurs étaient rassemblés autour de l'autel Karavanier de Fairhaven, alors que l'hôte semblait réfugié dans le mutisme, paraissant presque tout aussi désorienté que les homins autour de lui.

Ainsi, il semblait donc que c'était la fin, que la prophétie se réalisait, Atys allait disparaitre ... Tous les homins rassemblés autour d'eux semblaient le penser, les uns demandant l'aide de Jena, les autres celle de Ma-Duk, d'autres encore restant silencieux, perdus dans leurs réflexions. Dans la confusion ambiante, on entendit également plusieurs homins affirmer leur conviction qu'Elias viendrait et sauverait l'hominité, mais même les plus acharnés des Karavaniers ne semblèrent pas comprendre et ne réagirent pas à ces déclarations. Tous les homins semblaient enfin avoir mis de côté leurs querelles intestines pour vivre ensemble, intensément, les derniers instants d'Atys dans cette ville si emblématique des valeurs de respect et de tolérance.

Zorglor erra pendant quelques moments parmi l'assemblée, le visage neutre, perdu dans ses réflexions, cherchant des yeux ses amis parmi les homins désorientés. Il ne voyait presque aucun autre Gardien des Lacs, la plupart étaient partis chasser avant le début des effets de ce qui ne tarderait pas à être connu sous le nom de Grand Ralentissement.

Fermant les yeux, Zorglor porta la main à la poche où restait toujours rangé le grand médaillon bleu que la prêtresse du Temple de Jena lui avait remis, le jour de son intronisation. Les yeux clos, le visage serein, il soupira profondément, puis prit sa décision. Si telle était la volonté de la Déesse, cela serait donc la fin... Eny il lui restait une chose à faire, ... rien ne pouvait se terminer avant qu'il ne l'aie faite.

Zorglor rouvrit les yeux, sourit doucement, et regarda autour de lui. La plage à l'entrée de Fairhaven était de plus en plus remplie de monde, mais il n'eut aucun mal à trouver une trykette aux couettes violettes, toujours souriante, un peu à l'écart, le regard tourné vers deux trykers blonds.

Respirant profondément, l'air résolu, Zorglor s'avança tant bien que mal vers l'homine.



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L’écorce tremblait de plus en plus fort.


Des homins de tout Atys se réunissaient à FairHaven, paniqués. Devant les portes de la ville se serraient des kamistes, des karavaniers, des neutres. Des homins de chaque race désemparés face à la colère d’Atys.

En cet instant de fin du monde, la capitale d’Aden Aqueus devenait, peut-être pour la dernière fois, le symbole de la Paix et de l’Egalite entre tous les homins. C’était ici et nulle part ailleurs que tous s’étaient spontanément réunis, faisant fi de leurs querelles intestines. Ici que, tous ensemble, ils se préparaient à vivre la fin d’Atys.

Blottie dans les bras d’Amatsu, la trykette Nymphéa fermait les yeux, comme pour dresser un voile d’obscurité entre elle et l’horrible réalité. Elle ne voulait pas mourir ! Pas encore ! Elle avait encore tant de choses à accomplir !

L’homine aux cheveux désormais violets entendait malgré elle les cris plaintifs, déterminés ou résignés de ses compagnons d’infortune, elle sentait sous ses pieds l’écorce trembler encore et encore. Combien de temps cela allait-il durer ? Auraient-ils la chance de voir un autre lever de soleil ?

Ouvrir les yeux. Se montrer forte. Faire face.

Prenant son courage à deux mains, Nymphéa ouvrit les yeux et se força à regarder autour d’elle. Tant d’amis à elle se trouvaient là ! Des ennemis aussi. Jamais la valeur tryker d’Egalite ne lui parut aussi évidente qu’en cet instant : ils étaient tous égaux face à la mort.

Amatsu aperçut son frère Lex un peu plus loin. Nymphéa sentit qu’il avait envie d’aller lui parler, aussi le libéra-t-elle se l’emprise de ses bras et le laissa-t-elle aller parler à son frère, peut-être pour la dernière fois.


C’est ce moment que choisit Zorglor pour approcher la trykette. Le Tryker aux cheveux violets regarda Nymphéa à la dérobée, n’osant pas la dévisager plus longtemps. Se penchant vers elle, il lui murmura :

- Ny-Nymphéa, puisque demain Atys n’existera probablement plus, j’aimerais te dire quelque chose d’insensé. Quelque chose que je ne t’aurais jamais dit sans ça


Prenant une profonde inspiration, il poursuivit :

- Y ameen sul, Ny-Nymphéa


La Trykette ouvrit des yeux ronds. Ah ça, pour être insensé, ça l’était !!!

- Je ne sais que répondre, Ny-toi. Tu sais que je n’aime qu’Amatsu


Zorglor leva quelques instants son regard vers celui de la Trykette.

- Je sais, Je te disais bien que c’était insensé !


Le Tryker s’éloigna au milieu de la foule tandis qu’Amatsu revenait avec son frère Lex. Nymphéa se blottit de nouveau contre son homin, profitant distraitement du magnifique feu d’artifice tiré sous le ciel noir de FairHaven.

Lorsque le spectacle s’arrêta après un magnifique bouquet final, elle chercha Zorglor des yeux parmi les silhouettes se dispersant peu à peu. Mais le discret tryker n’était plus là …




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Ce premier soir des Tremblements, Zorglor s'était rapidement éloigné de Nymphéa après sa déclaration, se promenant quelques instants parmi la foule. Les images de la trykette revenaient dans sa tête et Zorglor sourit en repensant à l'air abasourdi de Nymphéa. Il hésitait entre le regret d'avoir troublé Nymphéa dans ces circonstances et une étrange satisfaction, celle d'avoir enfin fait une chose qu'il aurait dû faire bien avant. "Bah", pensait-il, "après tout, ce qui est fait est fait, maintenant ... et puis qui sait si Atys verra une nouvelle fois le soleil se lever".

Il faisait désormais nuit noire à Fairhaven, le grand rassemblement des homins se dispersait lentement, chacun se réfugiant finalement dans la solitude, ou bien auprès des amis ou des êtres aimés. Zorglor dit au revoir aux quelques amis encore là qu'il croisait, comme Erebos ou Goriky, puis, rentrant dans l'eau, il se mit à nager doucement vers les Chutes de la Rosée, s'émerveillant toujours du contact de l'eau sur sa peau. Les Chutes semblaient un bon endroit pour la fin, Zorglor y avait tant de bons souvenirs, après son arrivée à Aeden Aqueous.

Une fois arrivé, il s'assit sur la grève, le regard tourné vers les lacs, perdu dans ses pensées. Il restait tant de choses à voir, tant de choses à faire, sur Atys, et Zorglor avait du mal à imaginer que tout s'arrêterait ainsi. Malgré les tremblements d'Ecorce qui ne diminuaient pas d'intensité, les fortes émotions de la journée finirent par avoir raison du tryker qui s'endormit, posé sur la plage, le sommeil alternativement troublé par des visions d'Atys en train de s'embraser, et apaisé par celles du visage d'une trykette aux yeux verts.

Quand ses yeux se rouvrirent, Zorglor était presque étonné. Les tremblements de l'Ecorce s'étaient un peu apaisées, et les secousses semblaient maintenant faire partie de la vie normale. La faune des Chutes, si prostrée hier, avait repris le cours normal de sa vie. Les caprynis broutaient avec adresse les herbes en tendant le coup lorsqu'une secousse les en éloignait, les ragus chassaient toujours en bande, semblant presque tourner les tremblements à leur avantage dans leurs parties de chasse. Ainsi, la vie continuait, Atys ne disparaitrait pas encore, le soleil se lèverait encore et encore sur Aeden Aqueous, et sur la vie des trykers.

Après avoir erré pendant quelques instants sur la plage, s'approchant des chutes, Zorglor tira de sa poche un petit cristal aux reflets irisés, un pacte vers Fairhaven, qu'il regarda longuement avant de briser, le visage partagé entre le bonheur et l'inquiétude.




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Le 1er Harvestor, 3ème CA 2539


L’Ecorce avait l’air de moins trembler …

Après avoir cru à une fin du monde imminente, les homins s’habituaient peu à peu à ces secousses et surtout, prenaient conscience que, probablement, ils verraient encore plus d’un lever de soleil. Il leur fallait donc continuer à vivre … Se nourrir, dormir, veiller sur les leurs, vérifier le bon fonctionnement des foreuses, aller chercher un troupeau de mektoubs laissé au pâturage …

La vie reprenait ses droits, refusant obstinément de céder sa place …


Devant FairHaven, les yubos remontraient le bout de leur museau, venant quémander de la nourriture aux passants en faisant les pitres, debout sur deux pattes, remuant avec innocence leur petit museau vers le promeneur attendri. Les izams reprenaient possession des cieux, en quête de nourriture pour eux et leurs petits. Les papillons voletaient de fleur en fleur, apportant une touche de couleur et d’insouciance à cette brûlante fin d’été …

Non loin de là, Amatsu O’Nehly entrainait Nymphéa sur les pontons de FairHaven, le sourire aux lèvres, ne songeant qu’à une chose : tout faire pour préserver le sourire sur le visage de l’homine de sa vie …

Bientôt, ils arrivèrent Côte de Loria, à l’extrémité sud-est de la capitale tryker. Devant eux se dressait un autel étrange … Une plate-forme surélevée, à demi entourée d’un mur d’écorce vivante sur laquelle poussaient deux petits arbres à trois bonnes hauteurs de Tryker du sol. Un petit autel était érigé sur cette plateforme, contre le mur en bois orné d’un motif spiralé, un grand arc de cercle en bois sculpté devait terminer l’édifice lui servant de voûte aussi mince que mystérieuse.

Le regard de la trykette s’arrêta sur les ornements fixés à ce demi-anneau aérien : deux grosses cordes qui pendaient dans le vide, et sur lesquelles étaient attachés les crânes d’animaux étranges, mélange de bodocs et d’êtres fantastiques issus des légendes d’autrefois … De grands os de pattes venaient terminer cet étrange mobile, donnant au lieu un caractère aussi mystérieux qu’attirant …

- Si tu savais le nombre de fois où je suis venue ici, enfant !


Le tryker blond tourna la tête vers son aimée.

- Vraiment ? Tu ne m’en as jamais parlé !


Nymphéa serra plus fort la main de son homin, tandis qu’elle commença à raconter :

- Tu te souviens de mon cousin Nymphéo ? Son père et le mien étaient frères et nos deux familles habitaient deux maisons voisines. Mon cousin et moi sommes nés presque le même jour de la même année, aussi nos parents ont-ils décidé de nous donner ces prénoms si proches : Nymphéo et Nymphéa …
- Je crois bien que je n’ai jamais vu mon cousin avec une arme en main ! Lui, ce qu’il aime, c’est la poésie, la danse et les contes … C’est lui qui m’a appris à danser, tu sais Ny-Amn !
- Le soir, quand nous étions enfants, nous sortions en douce de chez nous … pour venir ici. Nous nous cachions là, tu vois, dans ce coin ! Et là, il commençait à me raconter des histoires de rites anciens, au cours desquels des prêtres faisaient des sacrifices homins à d’antiques dieux oubliés … Je frissonnais de peur tandis que l’ombre des crânes suspendus avançait vers nous lentement, à la faveur du soleil couchant … Et lui, apparemment impassible, poursuivait ses histoires, peuplées de sorcières et de fantômes, de guerriers mi-homins mi-tyranchas déferlant sur la capitale, de sombres sacrifices destinés à apaiser la colère des dieux et à écarter les dangers …
- J’étais terrifiée mais en même temps, j’adorais ça ! Au fur et à mesure que les ombres des crânes s’avançaient vers nous, la voix de Nymphéo se mettait à trembler, et il s’arrangeait toujours pour que nous partions avant qu’elles ne nous atteignent, au cas où … Ensuite, nous retournions chacun chez nous, rêvant déjà à notre prochaine escapade enfantine …


Nymphéa, blottie contre Amatsu, revivait ces souvenirs d’enfance avec tendresse et nostalgie. Il n’y a que les enfants pour croire à des histoires pareilles …

- Tu ne m’avais jamais raconté tout cela …


- C’est vrai … Il nous reste encore tant de choses à apprendre l’un de l’autre, Yem Amaou !


- A t’entendre parler de lui, on pourrait croire que tu étais amoureuse de ton cousin !


Petit rire dans la nuit tombante.

- Oh, Amaou, quelle idée !


Nymphéa s’amusait de la fausse jalousie de son aimé. Face à face, les yeux rieurs, ils approchèrent tendrement leur visage l’un de l’autre. Bientôt, leurs deux ombres ne firent plus qu’une, animée par le même amour …

- Ferme les yeux yem Nylia, je t’emmène quelque part …


- Où ça, dis-moi Ny-Amn !


Un sourire fut la seule réponse, tandis que le tryker aux cheveux blonds entrainait son aimée dans la nuit, main dans la main, vers une destination mystérieuse …




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Le 14 Harvestor, 3ème CA 2539


Un nouveau lever de soleil, le deuxième depuis le début du tremblement d’écorce.

Le ciel se parait déjà de multiples nuances rosées, au milieu desquels se détachaient les silhouettes mouvantes de quelques izams assoiffés de liberté et de vent. Les fleurs couvertes de rosée s’ouvraient lentement, comme pour mieux accueillir la venue des premiers rayons de l’astre du jour. Les pépiements des oiseaux commencèrent à se faire entendre, leurs douces mélodies rivalisant de légèreté avec le vent.

Ce furent les premiers rayons qui les réveillèrent.

Blottis l’un contre l’autre derrière la cascade située à l’ouest de l’île de Vertval, protégés par une simple couverture, Amatsu et Nymphéa ouvrirent les yeux et se sourirent.

Leur cascade. Celle-là même où, alors âgés de huit ans, ils s’étaient promis un amour éternel, où ils s’étaient jurés de se marier et de fonder une famille plus tard. Cette même cascade qui les avait tant de fois accueillis pour la nuit après que les hasards de la vie les aient réunis, adultes. Ce lieu magique où les jumeaux et leur petite dernière avaient vu le jour.

Les deux trykers restèrent longtemps ainsi, les yeux dans les yeux, entendant à peine le puissant son cristallin de l’eau dévalant par-dessus leur tête pour aller se mêler au Lac en contrebas.

- Il est temps de rentrer chez nous, Ny-Amn. Les enfants nous attendent dans notre maison de Pyr. Et puis, c’est demain que je repars en patrouille, tu sais.


Le regard de la trykette changea, en disant long sur sa tristesse. Être mariée à un Légionnaire n’était déjà pas simple, il y avait tant de patrouilles, tant d’absences pour aller protéger le désert ! Et depuis qu’Amatsu faisait partie de la Légion Dexton, c’était encore pire. Elle était heureuse pour lui, bien sûr ! Mais il était parfois une saison entière sans le voir, une saison entière à être seule à s’occuper de ses nombreux enfants. Ces absences lui pesaient de plus en plus, mais elle devait s’y faire. Avait-elle le choix ? Elle aimait Amatsu de toute son âme ... et rien d'autre ne comptait ...

Sentant la tristesse de son aimée, Amatsu l’embrassa tendrement.

- Nous avons encore une journée devant nous, tu sais. Viens, rentrons et profitons-en au maximum. Et puis tu sais, ce sera une petite patrouille cette fois-ci !


La trykette retrouva le sourire.

- Tu as raison Ny-Amn. Rentrons


Avant de briser un pacte pour Pyr, main dans la main, les deux Trykeri se murmurèrent à l’oreille :

- Y Ameen Sul, Yem Antaal Skaya.


- Y Ameen Sul, Yem Amaou.



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Un matin comme les autres.

Après avoir fui vers d’autres cieux durant la nuit, la chaleur avait de nouveau pris possession des ruelles de Pyr. La ville fortifiée, véritable joyau d’Atys, plongeait déjà dans la torpeur, à peine sortie de la reposante obscurité. Les yeux des Fyros, après quelques clignements discrets, affrontaient déjà avec fierté la lumière crue s’infiltrant dans chaque recoin du désert. Les homins qui vivaient ici étaient aussi rudes et fiers que leur pays ; leur regard était empreints de l’ardeur du feu, leur peau tannée par le soleil brûlant marquait leur profond attachement à ce pays rude et sauvage avec lequel ils ne faisaient qu’un. Pourtant, c’est ici, dans une ruelle du sud de la ville conne sous le nom de Cirque de Coriolis, que logeait une famille de race tryker.


Que faisaient ces êtres des Lacs si loin d’Aden Aqueus ? Par quel hasard de la vie se retrouvaient-ils ici, dans cette ville de feu à la beauté sauvage, à regarder par leur petite fenêtre les rues desséchées de la capitale fyros ? N’entendaient-ils plus l’appel cristallin de FairHaven, le paradis Atysien ? Si un badaud avait appris qu’ici vivait une trykette aux cheveux verts, chef d’une guilde protectrice d’Aden Aqueus connue sous le nom de Garde des Dragons Noirs, il aurait sans doute ouvert des yeux incrédules.


Pourtant, c’était bien ici que vivait la famille O’Nehly depuis des années : Amatsu, Nymphéa et leurs neuf enfants. Amatsu était depuis longtemps un amoureux du désert. Depuis le jour où une partie de l’âme de Creenshaw, le sombre Légionnaire mort déchiqueté par les Gingos alors que les siens l’avaient laissé presque mort à l’entrée du Canyon Interdit, avait trouvé refuge dans sa tête. C’est ici qu’il vivait déjà alors que Nymphéa et lui n’étaient encore que de simples amis, alors même que lui aussi défendait ardemment Aeden Aqueus. Et c’est ici, tout naturellement, qu’ils fondèrent leur foyer après avoir été unis devant les Lacs.


Ce matin-là, le calme régnait dans la grande maison de Pyr. Amatsu, désormais membre de la célèbre Légion Fyros, était parti en patrouille à l’aube, sans réveiller son homine endormie, déposant tendrement un baiser dans ses cheveux dénoués et ornant son oreiller d’une magnifique fleur. Un peu plus tard, après un petit déjeuner animé, la trykette avait accompagné ses enfants chez les voisins, chez qui ils devaient passer la journée et la nuit suivante à bivouaquer sous des tentes improvisées avec les enfants de ces derniers.


Se retrouvant seule dans la grande maison vide avec sa petite dernière dans les bras, la douce Maheany d’à peine six mois, Nymphéa décida de fuir la nostalgie ambiante en allant se promener dans les Lacs. Aussi brisa-t-elle un pacte pour FairHaven, la ville de son enfance, la capitale du pays pour lequel elle n’hésiterait pas à donner sa vie si nécessaire.


C’est ainsi que la mère et l’enfant disparurent, emmenés par la magie de la Karavan devant le téléporteur de FairHaven




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La vie normale semblait déjà avoir repris son cours à Fairhaven. Il y avait certes moins de monde que d'habitude se promenant sur les pontons ou au bar de Ba'Naer, mais les trykers avaient repris leur place dans la ville, discutant avec animation avec les marchands, ou se promenant simplement sur les pontons qui ondulaient lentement au rythme des soubresauts désormais apaisés de l’Écorce Atysienne. Zorglor passa cette journée à vaquer à ses occupations habituelles, réglant diverses affaires en suspens pour les Gardiens, toujours un peu distraitement, les mêmes visions de la veille au soir revenant sans cesse. Le lendemain matin, alors que l'Ecorce ne tremblait presque plus, Zorglor brisa un pacte pour les Lagons de Loria. Il n'avait presque plus de fibre, et une commande d'amplificateur magique à honorer.


L'automne continuait de s'avancer, et Zorglor ne put s'empêcher de rester quelques instants immobiles sur les bords du lac de Loria, contemplant la merveilleuse vue. Le vent tourbillonnait lentement autour des immenses Olansis des Lacs, agitant les herbes, faisant participer toute la flore au ballet où se mêlaient les poissons. S'abîmer dans la contemplation des merveilles de la planète-arbre était décidément un des moyens les plus efficaces pour oublier tous les problèmes ... avec la liqueur de stinga de Ba'Naer, bien sûr. Souriant doucement, Zorglor sortit sa belle pioche, fabriquée avec un filament de Greslin des lacs et se tourna vers la grève. Surveillant les Torbaks du coin de l'œil, il sortit d'un sachet une petite quantité de poudre de forage qu'il commença à frotter délicatement entre ses doigts. Une longue séance de forage commençait. Ça aussi, c'était un bon moyen de penser à autre chose.


Quelques heures plus tard, son sac rempli des précieuses matières, Zorglor brisa un pacte et réapparut dans un souffle à Fairhaven. Se dirigeant vers l'étable pour y déposer son chargement, il aperçut plusieurs silhouettes et s'approcha en souriant. Arrivé à quelques mètres de l'étable, Zorglor reconnut une des silhouettes, et s'arrêta, gêné, n'osant s'approcher plus. Respirant profondément, il s'approcha de l'étable, marmonnant un vague Lordoy à l'attention du groupe d'homins, et commença à examiner distraitement le contenu de son sac, pensant à autre chose.

Zorglor restait penché sur son sac quand une voix connue demanda près de lui, d'un ton joyeux :

- Lordoy ny-toi, tu ne dis plus bonjour ?

Zorglor sursauta un peu avant de se retourner et de sourire à Nymphéa.

- Lordoy ny-Nymphéa ... '

Zorglor était toujours hésitant, regardant à peine Nymphéa. Avisant le porte-bébé dorsal en fibre de Dzao, il sourit.

- Tiens, Maheany est là !
- Oh Oy, je suis venue me promener à Fairhaven avec elle.

Zorglor regardait avec attendrissement le bébé endormi quand Nymphéa dit :

- Elle dort, je vais l'installer pour la sieste.


Zorglor contempla, rêveur, les gestes adroits de la trykette qui installa Maheany sur une couverture, un peu à l'écart, avant de la border tendrement. Nymphéa se relevait tout juste, Zorglor immobile quelques pas derrière elle, quand un éclair de lumière traversa la scène et frappa Nymphéa, un nuage noir se formant fugacement au-dessus de sa tête. Zorglor tourna la tête et aperçut Minidouce, l'air interdit, qui regardait alternativement ses amplificateurs et Nymphéa avant de faire un pas en arrière. Nymphéa s'était retournée, le regard un peu étrange.

- Ny-Nymphéa ? Ça va ?

La trykette ne répondit pas, faisant un pas en avant, puis un autre, lentement. Zorglor hésita un instant avant de demander à nouveau « Nymphéa ? ». Pour toute réponse, celle-ci continua d'avancer, une lueur de contentement dans le regard, regardant Zorglor, notamment ses cheveux violets.

Nymphéa dit enfin:

- Mais qu'est-ce-que c'est que ca ? On dirait bien un fruit caramélisé pourtant ...

La trykette avançait toujours, maintenant à un pas de Zorglor, le regard gourmand.

- Et il m'a l'air délicieux en plus !


Zorglor gardait un sourire étonné, ne comprenant pas, quand Nymphéa lui agrippa soudainement le bras en s'asseyant.

- Voyons-ça !

Le tryker se laissa entrainer, toujours souriant.

- Que fais-tu, ny-Nymphéa ?
- Ah, an, un fruit caramélisé ne parle pas ! Surtout un qui a l'air si succulent ! Al arrête de bouger maintenant !

Zorglor souriait encore un peu, mais semblait inquiet.

- Allons, Nymphéa ...

L'homine ne réagit pas, tenant toujours fermement le bras de Zorglor, le regard étrange. « Nymphéa ! », murmura-il un peu plus fort, agitant son autre main devant les yeux de Nymphéa, comme pour la réveiller. Pour toute réponse, Nymphéa attrapa l'autre bras.

- Ah, ca suffit maintenant ! Laisse-toi faire !

La trykette passa sa langue sur ses lèvres.

- C'est le plus beau que j’aie jamais vu ! ».

Zorglor, un peu mal à l'aise, commençait à se débattre doucement, alors que Nymphéa s'approchait toujours, quand celle-ci ferma les yeux, secoua la tête, et les rouvrit, regardant Zorglor d'un air étonné.

- Ny-Zorglor ? Eny ...

Nymphéa baissa les yeux vers les bras de Zorglor, qu'elle lâcha

- Qu'est ce qui se passe ?

Zorglor rit:

- Tu as eu comme une absence !

Après quelques explications, Nymphéa riait aussi, et Zorglor murmura soudain:

- Puisque j'ai failli être mangé comme un fruit caramélisé, il me semble que ça en mérite bien un, An ?

Nymphéa arrêta de rire, puis sembla réfléchir quelques instants et soupira d'un air résigné:

- Oy ... Eny pas ici ... je ne veux pas que tout le monde voie ma belle boite ».


Nymphéa vérifia le couchage de Maheany puis s'éloigna un peu, surveillant tout autour d'elle, suivie par Zorglor. La trykette finit par s'asseoir, avant de sortir avec précautions une grosse boite de son sac. Zorglor sourit en s'asseyant, tandis que Nymphéa ouvrait la boite. A regrets, le visage un peu crispé, elle fit signe à Zorglor, qui s'amusa quelques instants à choisir un des fruits caramélisés, regardant le visage inquiet de l'homine.

- Pas trop gros, hein ! lança une voix tendue.

Zorglor sourit en prenant un fruit de taille moyenne, Nymphéa se précipitant sur l'un des plus gros de la boite. Le silence qui suivit ne fut troublé que par le clapotis de l'eau, les deux homins dégustant en silence le fruit. Nymphéa ne tarda pas à regarder à nouveau dans la boite, faisant un nouveau geste résigné à Zorglor.

- Prend-en donc un deuxième.

Zorglor dégusta son deuxième fruit, ouvrant et fermant alternativement les yeux, un sourire aux lèvres, sans rien dire. Au bouts de quelques instants, Nymphéa regarda Zorglor en souriant :

- Je t'ai déjà parlé de mon cousin, Nympheo ?

Zorglor sourit :

- Oy, je l'ai déjà croisé à Fairhaven tu sais. Ça m'a fait un choc ! J'ai eu l'impression de me voir dans un miroir !

Le rire de Nymphéa fit lever la tête à un yubo qui gambadait à proximité.

- Nous avons grandi ensemble, lui et moi, ici à Fairhaven ...

Zorglor resta silencieux quelques instants, se remémorant les moments heureux de sa propre enfance dans les Anciennes Terres, puis sourit :

- L'enfance à Fairhaven devait être merveilleuse ...

Nymphéa murmura, d'une voix songeuse :

- Oh Oy ... nous étions si heureux ... heureux comme des enfants ...

Les deux trykers restèrent silencieux quelques instants, avant que Nymphéa ne plonge à nouveau le regard vers la boite posée entre eux deux. Zorglor sourit, puis Nymphéa dit, d'un ton contrit:

- Prend-en un troisième si tu veux

Il n'en fallait pas plus à Zorglor qui se retrouva vite en train de savourer le fruit, regardant la trykette aux cheveux violets en faire autant. Un nouveau moment de silence suivit, avant qu'un bruit ne fasse lever la tête à Nymphéa, qui murmura:

- Je dois aller m'occuper de Maheany ...

Zorglor hocha la tête et sourit.

- Seelagan, Ny-toi , murmura la trykette, qui referma soigneusement sa précieuse boite, avant de la replacer dans son sac et de se relever.

Zorglor regarda Nymphéa s'éloigner :

- Seelagan Ny-Nymphéa, al Grytt ... .


Nymphéa fit un petit signe en partant. Les quelques mots que Zorglor murmura ensuite ne furent entendus de personne.



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Après avoir offert trois fruits caramélisés à Zorglor, Nymphéa passa un long moment au hall de sa guilde. Confortablement installée dans son petit bureau entièrement décoré dans des nuances de bleus – sans compter quelques dessins d’enfants griffonnés sur le bas des murs – la chef de la Garde des Dragons Noirs entreprit de régler différentes affaires urgentes : préparation de la Cérémonie d’Intronisation d’Oberick, Drakaan et Xadoxav ; courrier de protestation à envoyer aux Gardiens des Lacs, en rapport avec une sombre histoire de coups de pioche dans le crâne d’un infortuné messager nommé Nymphéo ; planning de surveillance des Esclavagistes afin de démasquer éventuellement des trafiquants matis d’esclaves, comme ça avait été le cas avec les Di Falcione ; commande d’armes et d’armures ; liste des animaux à tuer afin de remplir le garde-manger de guilde de façon honorable …


Alors qu’elle débutait l’inventaire des ressources réservées à l’artisanat, une sensation étrange s’empara d’elle. C’était … comme un engourdissement progressif de chaque partie de son corps ... Que lui arrivait-il ? Ça ressemblait à un sort de ralentissement, mais elle était seule au hall !


Des pleurs.


Maheany ! Elle aussi semblait touchée par ce sort étrange surgi de nulle part ! Le bébé, à peine âgé de six mois, hurlait dans son petit lit de bois, agitant ses petits membres au ralenti, respirant avec peine mais continuant malgré tout à s’égosiller.


Affolée, la trykette aux couettes désormais violettes voulut se précipiter pour prendre sa fille dans ses bras, mais ses membres engourdis répondirent avec difficulté. Le temps qu’elle mit pour parvenir jusqu’au petit lit lui sembla infini, tant son anxiété était grande et le sort puissant. Elle aussi éprouvait quelques difficultés à emplir ses poumons … Chaque mouvement de la cage thoracique lui coûtait …

- Maheany !!! Ne pleure plus … Maman arrive …


Fuir ! Il fallait fuir !!! Quitter ce hall afin d’échapper au sortilège !

Prenant le bébé dans ses bras, elle se dirigea vers la porte du hall avec une lenteur désespérante. Quel sort avait donc frappé la maison de la Garde des Dragons Noirs ? Qui avait ce pouvoir ? Certes, leurs ennemis ne manquaient pas … En tant qu’ardents défenseurs de la nation tryker, les Dragons ne s’étaient pas fait que des amis, certains n’acceptant pas que des homins sans religion se mettent en travers de la route prônée par les envoyés de leur déesse ou de leur dieu. Cependant, la foi de Nymphéa et des siens envers sa nation était plus puissante que jamais et ensemble, ils défendraient coûte que coûte Aeden Aqueus contre ceux qui voulaient les envahir ou les déposséder de leurs richesses …


Le jour. Enfin dehors ! Enfin, elles allaient pouvoir courir et respirer normalement !

Un sourire éclaira un instant le visage de la Trykette avant de s’évanouir … Certes, elle était dehors ; mais le sort ne semblait pas se briser. Pire encore : à sa grande horreur, elle s’aperçut que tous les homins étaient victimes du même sort. Tout semblait se dérouler au ralenti sous ses yeux : les trykers paniqués fuyant au ralenti vers la sortie de FairHaven, les cris de peur, les regards affolés cherchant de l’aide parmi les autres regards affolés … Le Lien. Il lui fallait prévenir Amatsu via le Lien mental qui les unissait ! Savoir si le maléfice avait frappé toute l’Ecorce ou seulement FairHaven … Il fallait qu’il la rassure, qu’il lui affirme que tout allait bien se passer ! Le silence. Quelque chose perturbait le Lien … Elle avait beau essayer de toutes ses forces, elle n’entendait pas la voix de son homin dans sa tête et ignorait s’il pouvait l’entendre …

Ne sachant que faire, désespérée d’entendre son bébé crier de peur et respirer avec difficulté sans qu’elle puisse y remédier, elle suivit la foule qui se précipitait très lentement sur les pontons … Après un temps qui lui parut infini, elle se retrouva hors de la ville. Le sort s’arrêtait-il là ? Bref espoir … Rapide désespoir … Non … Le Grand Ralentissement semblait bel et bien frapper toute l’Écorce …


Autour d’elle, la panique était indescriptible. Des homines et homins de toutes races et de toutes religions se bousculaient avec une lenteur qui aurait pu être comique en d’autres circonstances. Certains avaient eu le temps de préparer un maigre balluchon mais la plupart partaient les mains vides ou tenant un objet parfois incongru : une épée en cours d’élaboration, à la lame non dégrossie ; une chope de bière d’Avendale – ceux-là venaient du bar de Ba’Naer, à n’en pas douter - ; un sac percé d’où tombaient des dappers que nul ne prenait le temps de ramasser …


De partout, des voix s’élevaient : les Anciennes Terres ! C’est notre seule chance ! Fuyons là-bas ! Vite, au nouveau téléporteur ! « Vite » … Quelle ironie ! Mais c’était pourtant la seule préoccupation des fugitifs : quitter les Nouvelles Terres et, comme au temps du Grand Essaim, fuir vers d’autres terres … Emportée inexorablement par la foule vers le nouveau téléporteur, serrant son bébé dans les bras, Nymphéa ne put même pas briser une perle de sève pour Pyr afin d’aller chercher ses autres enfants car, à sa grande horreur, elle s’aperçut qu’elle avait laissé toutes ses perles de sève sur son bureau dans le hall … et Maheany commençait à virer au bleu, ses petits poumons luttant avec peine contre le ralentissement …


C’est ainsi que Nymphéa et son bébé quittèrent précipitamment FairHaven pour une destination inconnue, au milieu d’une foule d’homins paniqués, sans pouvoir avoir la moindre nouvelle de son homin et de ses huit autres enfants …


Ainsi, l’Histoire se renouvelait, un nouvel Exode commençait … Le retour vers les Anciennes Terres débutait …




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