Un morceau de musique pour Atysoël
“Woren Siloy, chers homins.
Je suis très heureuse que vous soyez tous là aujourd'hui pour profiter ensemble de cette soirée pleine d'art et d'amitié. J'ai également préparé quelque chose et j'espère vraiment que vous apprécierez cette petite expérience.
Cette fois, je n'utiliserai pas ma voix, mais j'essaierai de laisser la musique parler d'elle-même. De stimuler votre imagination. La musique peut être si puissante et faire naître en nous des images plus fortes que n'importe quel mot prononcé. Beaucoup d'entre vous savent que j'utilise habituellement mon luth pour m'accompagner dans mes chants. Pour aujourd'hui, j'ai ressorti un ancien cadeau. Un souvenir…
La barde sort de son sac à dos un violon et un archet et sourit avec un peu de nostalgie. Un instrument richement décoré, et discrètement incrusté du sceau de la maison royale matisse. Elle sourit ensuite à la ronde, rayonnante, pose un petit tissu sur le bord du violon, cale l'instrument sous son menton, l'accorde brièvement et commence à jouer :“♫♫♪♪♫♪♪♪♫
Elle se balance lentement au gré des notes. L'archet glisse doucement, presque
tendrement, sur les cordes, tirant de l'instrument une délicate mélodie un peu triste.
♪♫♪♪♫♪♪♪♫
La mélodie évoque la neige qui tombe doucement et qui recouvre les vallées et les collines, les
prés, les arbres et les fourrés. Le givre qui scintille au soleil, sur les branches et les racines.
♪♫♪♪♫♪♪♪♫
Par la magie de la mélodie, la barde fait lentement se fondre la lumière du
jour dans le rouge du crépuscule et finalement dans le noir de la nuit.
La forêt s'assombrit, la neige s'épaissit, le vent froid devient glacial.
♪♫♫♪♫♪♪♪♫
La musicienne laisse au violon raconter l'histoire d'une silhouette qui avance lentement
dans la neige. Courbée contre le vent, enveloppée dans des vêtements trop fins,
tenant une lampe vacillante devant elle. Dans l'autre bras, un petit baluchon.
♪♫♫♪♫♪♪♪♫
La musique suggère que quelque chose bouge dans le baluchon. Un corps
minuscule, un petit visage qui dort d'un sommeil agité. Des bras fatigués
tiennent serré le bébé et le portent, hâtivement, à travers la nuit froide.
♪♫♫♪♪♪♪♪♫
L'interprète se baisse, se tord comme si elle avait peur, et la mélodie devient plus sauvage. Elle parle de quelque chose de sombre et de malfaisant qui poursuit le couple à travers la nuit d'hiver. Des chuchotis, des cliquetis, des grincements, des rugissements. Maintes pattes grêles se précipitent dans la neige.
♪♫♫♪♪♫♪♪♫
Le violon fait écho aux mouvements de l'homin dans la neige en jouant. Titube
quelques pas en avant. Rend la menace de la musique encore plus pressante, tombe
à genoux, se baisse, se fait toute petite. Se rend à son tour. La musique s'arrête.
♪♫♫♪♪♫♪♪♫
Un petit air de trille jaillit de l'instrument : la lanterne donne encore de sa lumière.
♪♫♫♪♪♫♪♪♫
La barde s'interrompt à nouveau, puis se redresse et joue une nouvelle mélodie héroïque :
homins surgissant de l'obscurité de la forêt. À la lumière de la lanterne,
ils se lancent à l'assaut des monstres. Courageux et déterminés.
♪♫♫♪♪♫♪♪♪♫
Puis, les yeux clos, elle fait s'affronter les mélodies, monstres contre guerriers. Le combat
enfle et reflue tour à tour. Le violon hurle de façon discordante, appelle comme une
corne de guerre, tinte comme une épée, siffle comme la magie et rugit de douleur.
♪♫♫♪♪♫♪♪♪♫
Elle laisse s'estomper lentement l'entrechoc des mélodies contradictoires. La mélodie des
guerriers l'emporte, victorieuse. Une main secourable se tend vers la silhouette qui s'en saisit.
♪♫♫♪♪♫♪♪♪♫
Les mélodies du fugitif et des héros se mêlent alors : ensemble, les homins s'en vont. Sans un
regard en arrière, là où gisent les cadavres des kitins. La lanterne s'éloigne à travers les arbres.
♪♫♫♪♪♫♪♪♪♫
La violoniste ouvre les yeux, regarde les spectateurs tout en continuant à jouer
délicatement, et, à mi-voix, leur dit : « Aidez-vous les uns les autres. »
♪♫♫♪♪♫♪♪♪
La mélodie évoque à nouveau la neige qui tombe doucement et qui recouvre les fourrés, les
arbres, les prairies, les vallées et les collines. Le givre chatoyant sur les branches et les
racines qui scintille à la lumière d'une lanterne disparaissant lentement dans le lointain.
♪♫♫♪♪♫♪♪♪♫
La musique du violon doucement s'éteint…
Le silence revenu, la Barde des Quatre Nations
s'incline avec reconnaissance devant l'auditoire.