C’est l’histoire d’un enfant dont la famille était persuadée qu'il était maudit.
Dès sa naissance, on chercha à voir comment la malédiction s’exprimerait. Tout le monde le regarda grandir en se demandant comment la malédiction allait se présenter. Les années passèrent, le Maudit devint un jeune homin fort et plein de promesses, mais incapable de voir les bienfaits dont la nature l’avait doté. Il vivait en marge des siens, subissant leur rejet implicite et sachant qu’ils lui feraient un sort terrible s’il se révélait aussi maudit qu’on le supposait.Et il restait à distance des autres homins, effrayé à l’idée d’attirer sur leur tête la même malédiction.
Un jour cependant, alors qu’il se tenait sur les bords d’une assemblée comme la nôtre, une des personnes présentes le remarqua et lui sourit. Ce sourire réchauffa le cœur du Maudit, qui n’en avait pas eu beaucoup d’aussi sincère.
Quelque temps plus tard, il recroisa cette personne, et cette dernière s’arrêta quelques instants pour lui parler, toujours avec autant de bonté. Le Maudit savait qu’il devait rester loin d’elle pour ne pas attirer la malédiction, mais sa douceur lui faisait tant de bien qu’il se mit à chercher sa compagnie. Avant même de s’en rendre compte, il était profondément amoureux.
C’était cependant un amour sans espoir. Il ne pouvait le vivre, par peur des réactions de sa famille. Et il comprit bien vite que Mayu, son grand amour, montrait autant de bonté et de douceur pour bien des gens. Mayu aimait les gens, mais n’aimait pas le Maudit aussi fort que ce dernier l’aimait. Être seul sur les bords du monde, lorsqu’on n’a connu que cela, est déjà terriblement triste. Mais une fois qu’on a goûté à l’espoir d’être deux, cela devient insupportable d’accepter cette solitude.
Le Maudit essayait de renoncer à Mayu, mais invariablement il finissait par être à ses côtés dès que l’occasion se présentait. Si un ragus mettait Mayu en danger, alors le Maudit accourait, mettait en fuite le prédateur et relevait son amour, cachant la profondeur de son trouble. Si Mayu voulait une histoire, alors le Maudit allait trouver un conte, et si Mayu voulait la paix, alors le Maudit se retirait, pleurant sur la froideur de son amour. Le Maudit jalousait tous ceux qui pouvaient approcher Mayu. Pourtant, puisque Mayu les aimait, alors il s’efforçait de les aimer aussi. Le Maudit devenait fou de cette solitude autant que de cet amour impossible. Chaque jour, il s’éloignait un peu plus de sa famille. Chaque jour, il caressait l’idée de cette malédiction, se demandant si elle n’était pas la clé de sa délivrance, tout en s’effrayant d’y penser. Sa famille le surveillait, et Mayu l’ignorait.
L’existence lui devenait si pénible qu’il n’aspirait plus qu’à une chose : que sa graine de vie se brise. Parfois cependant, il souhaitait que ce soit la graine de vie de tous les autres homins qui se brise. Même celle de Mayu. Puis cette pensée l’horrifiait. Sa folie devenait de plus en plus grande. Était-ce la malédiction qui enfin s’exprimait ou fallait-il qu’il rende réel ce qu’on lui avait prédit ? Il devint de plus en plus violent et amer, jusqu’à éteindre toute étincelle d’amour et de douceur dans son cœur.
J’aimerais dire que cette histoire se termine bien, et qu’une solution fut trouvée. Hélas…
Le Maudit finit par croiser un sorcier aux pouvoirs immenses. Ce sorcier savait de nombreuses choses inaccessibles au commun des homins. Il aurait pu libérer le Maudit de sa malédiction, ou rendre sa famille plus aimante, ou encore aider le Maudit à se faire aimer de Mayu. Il aurait pu lui révéler les mystères de la Nuit et du Temps qui aurait rendu ces histoires futiles. Mais le Maudit ne croyait à rien de tout cela, n’espérait plus en quoi que ce soit. Il demanda au sorcier la chose la plus facile au monde pour quelqu’un comme lui : de quoi détruire une graine de vie. C’était peut-être facile, mais c’était aussi triste, et le sorcier essaya de détourner le Maudit de son objectif en lui demandant un prix bien trop élevé. Mais le Maudit paya le prix et avala le poison.
L’histoire ne dit pas si quelqu’un pleura la mort du Maudit. Pourtant, celui qui me raconta cette histoire avait des larmes dans les yeux. Qui sait d’où venaient ces larmes ? Quand souffle le vent d’Anlor Winn, prenez soin de vos proches. Aimez-les pleinement et sans condition. Il n’y a pas de meilleur remède aux malédictions.
Cette histoire a été contée par Wieny, lors de la Convention d’histoires d’horreur d'Anlor Winn 2615. (HRP : Toussaint 2021)