De EncyclopAtys
Daecius (Partie I)
Cela faisait déjà quelques temps que l’on parlait dans le désert de terres nouvelles, de routes retrouvées vers les terres désertées par les homins durant le Grand Essaim. Plusieurs homins déjà avaient quitté les terres anciennes, mais jamais ils n’étaient revenus. Les sages de la tribu disaient qu’ils avaient tous périt sous les griffes des kitins, que ceux qui étaient partis chercher le salut et la richesse sur les terres des ancêtres étaient des fous et qu’il ne fallait pas les écouter.
Mais le clan d’Estrak bougeait beaucoup, les rencontres avec d’autres tribus n’étaient pas rares, et partout les mêmes rumeurs couraient… ainsi il était possible de regagner des Terres Nouvelles, certains homins avaient pris la route et l’Empire Fyros se reconstruisait, là-bas, en des endroits où la population kitine avait pu être contrôlée. On disait que là-bas, le nouvel Empereur avait besoin de bras jeunes et vigoureux pour la restauration de la puissance Fyros.
Depuis plusieurs années, certains passeurs faisaient le trajet que l’on nommait la Route de l’Exode, et confirmaient ces rumeurs. Ils n’acceptaient avec eux que les homins jeunes, les plus résistants et les mieux entraînés, car la le chemin de l’Exil était long et périlleux. On prétendait que les pertes étaient nombreuses en route, et que seul un très petit nombre parvenait dans ces terres de promesse et d’avenir.
Plusieurs jeunes étaient déjà partis du clan d’Estrak. Les passeurs, ou du moins, ceux qui parvenaient à revenir pour refaire un voyage, en ramenaient aussi des nouvelles. Ils contaient, autour du feu, les exploits des vivants et les prouesses des morts. Ils narraient l’abondance des ressources dans ces nouveaux territoires, la force de l’armée impériale, mais aussi l’histoire déjà mouvementée de ces nouvelles régions, les invasions kitines, les relations avec les autres peuples, la haine des Fyros pour les Matis héritée de la Guerre de l’Eau, mais aussi la réunification des peuples dans la reconstruction.
Chaque arrivée de ces passeurs était célébrée comme une fête dans la tribu ; ils venaient chercher un gîte et de la nourriture avant de reprendre leur route, accompagnés par de jeunes et intrépides homins qui voulaient tenter leur chance dans ce monde nouveau. Ils restaient souvent plusieurs jours, harcelés de questions par les plus anciens et admirés par les plus jeunes. Et si les soirées étaient animées et souvent bien arrosées, la journée, ils évaluaient les candidats au voyage afin de s’assurer de leurs aptitudes.
Daecius Quetius était l’un de ces passeurs. Il était arrivé il y a peu au campement, sale et épuisé, et avait demandé l’hospitalité. Estrak le connaissait bien : Daecius avait autrefois été le chef de guerre d’une tribu alliée. Il était l’un des rares à avoir fait le trajet plusieurs fois, et à en revenir...
La fête battait déjà son plein alors que Xaneos et sa sœur Kaletia revenaient au campement après une chasse de plusieurs jours. Fatigués, mais heureux de voir l’animation autour du feu de camp, ils déposèrent rapidement le tribut de leur chasse auprès de la Vénérable Tiaous, qui était chargée de faire sécher et fumer les viandes pour les conserver.
Après s’être rafraîchis rapidement, les deux jeunes gens se joignirent à l’allégresse générale, profitant de ce que le tribu avait sortit les nourritures les plus délicates et les alcools les plus fins pour célébrer l’arrivée de Daecius.
Xaneos aperçut de loin son père et lui fit un petit geste. Loin de partager l’exubérance ambiante, son visage était noir et fermé. Estrak semblait concerné, plongé dans ses pensées. Il s’était assis à même le sol un peu à l’écart, enveloppé dans une peau de capryni, et jouait nonchalamment avec son verre d’une main, tandis que de l’autre il prenait distraitement des poignées de sciure qu’il laissait couler entre ses doigts.
Xaneos s’approcha doucement et prit place à côté de son père.
- Bonsoir, Père, tu sembles bien concerné. Joins-toi à la fête, il n’y a pas tant d’occasions de s’amuser ici.
Le visage raviné du Fyros esquissa un petit sourire, mais son regard, désormais fixé sur son fils, restait noir et soucieux.
- Aah mon sage Xan, comme tu as raison ! Mais tu vois, je n’ai pas envie de rire, l’arrivée de Daecius est pour moi annonciatrice d’une mauvaise nouvelle.
- Dis-m’en plus, que je te soulage un peu l’esprit
- Non mon garçon, l’heure n’est pas arrivée. Va, toi, et amuse-toi, comme ta sœur semble le faire… par contre, il faudra que je te voie, demain matin.
Xaneos chercha du regard sa sœur dans la foule, et la vit en effet danser, la mine réjouie, parmi les jeunes homins de la tribu. Il vit ses longs cheveux bruns virevolter autour d’elle, reflétant la lumière du feu, et entendit son rire clair dans le brouhaha de la fête. Bien qu’encore très jeune, Kaletia avait déjà la beauté de sa mère, et cela n’échappait pas aux adolescents du clan.
Lui avait plutôt hérité des traits bourrus de son père : il le dépassait même maintenant d’une bonne tête. Il avait parfois l’impression d’avoir reçu toute la puissance et la rudesse de son père, tandis que sa mère avait légué à Kaletia sa finesse et sa grâce. Il ne s’en plaignait pas vraiment : certes il ne captait pas spontanément l’attention des jeunes homines, mais il n’en faisait pas un drame. C’était un solitaire, il préférait chasser et aider les enfants à s’entraîner. Il sentait quand même plusieurs regards intimidés sur lui : être le fils du chef avait quelques avantages, parfois.
Il n’avait pas trop le cœur à la fête, inquiet de l’état d’esprit sombre de son père. Il se leva néanmoins, laissant Estrak à ses pensées, et rejoignit les autres. Il mourait de faim, et la nourriture était abondante, autant en profiter.
