Tomelin

De EncyclopAtys


Carte d'Identité

  • Nom: Tom Mac'Eilin
  • Surnom : Tomelin
  • Race : Tryker
  • Allégeance : Karavan
  • Guilde: Pilier de Ba'Naer

Sa vie

Souvenirs (1ère partie)

- « Naaaaannnnnnn…. ! ! ! » Puis une douleur…
Une fois de plus, je me réveille au pied de mon hamac, en sueur, le souffle court et le cœur cognant dans ma poitrine. Encore ces satanés cauchemars ! Des visions rougeoyantes pleines de bruits et de fureur, de membres chitineux et de cadavres.
- « Reprends ton souffle, Tomelin ! Calmes toi ! Tu es en sécurité ici ! Cela fait maintenant 2 ans que tu te trouves à Fairhaven ! Tu n’as plus rien à craindre ! »
Je me relève péniblement en me massant le bas du dos. Mes mains cherchent à tâtons la bouteille de psykopinthe qui traîne, comme tous les soirs, sur le tonneau près du hamac.
- « Cette boisson doit avoir des vertus apaisantes car c’est la seule qui me rend calme », pensais-je en souriant.
Tout en portant le goulot à mes lèvres, je m’installe devant le hublot de mon appartement et je regarde les poissons évoluer devant moi. La chaleur de l’alcool irradiant petit à petit dans mon corps et les vapeurs embrumant mon esprit, je ne peux m’empêcher de repenser aux événements qui m’ont amener à la capitale d’Aeden Aequous….


Un petit feu de camp éclaire à peine les visages crasseux d’une quinzaine de trykers. Ils sont exténués, déguenillés, tendus. Le moindre grognement de kitins les fait sursauter et les mains se portent vivement sur les armes posées à côté d’eux. Pourtant, il y a un air de fête qui traîne. Les conversations sont gaies et vont bon train, un cuissot de gnoof cuisant doucement sur le feu. La chance a été avec eux. Les chasseurs sont tombés sur un troupeau de gnoofs en fin d’après-midi, suscitant l’enthousiasme et apportant la promesse de ventres rassasiés. Ce genre de journées est trop rare pour ne pas en profiter.
Alors que les écuelles se remplissent de tranches de viande fumantes et juteuses, un jeune garçon se tourne vers le doyen de la troupe, enhardit par les conversations environnantes.
- « Dis, Ranen ! Racontes-nous encore la vie à Trykoth ! », demanda le petit Tom Mac’Eilin.
Les têtes se tournèrent vers Ranen Mac’Eilin, l’oncle de Tom et chef du clan Mac’Eilin, enfin de ce qu’il en restait. Ranen regarda les uns et les autres puis le jeune Tom. Il allait lui dire quelque chose mais il se ravisa devant le regard implorant de l’enfant.
Aussi, il commença à conter cette vie ancienne merveilleuse, par rapport à leur existence actuelle, que les adultes avaient tous connus. Il parla longtemps, jusqu’à ce que les étoiles soient hautes dans le ciel. Il parla du village de Clynder au bord du lac de Rhu, de la vie de la centaine d’habitants au fil des saisons, de leurs joies et de leurs peines, des événements heureux ou malheureux, ayant toujours une anecdote à raconter sur chacun d’eux, provoquant rires et commentaires de la part de l’assemblée.
Mais petit à petit, au fur et à mesure des souvenirs remontants à la surface, l’auditoire se calma. Puis Ranen se tut, perdu lui-même dans ses pensées. Tout le monde avait la tête baissée sauf le petit Tom qui regardait son oncle avec des yeux émerveillés, ne remarquant pas la tristesse de ses compagnons….


- « Dis, Ranen !… »
Ranen n’aimait pas ce début de phrase. C’était annonciateur de réponses douloureuses, de peines et surtout d’autres récits encore plus embarrassants.
- « …Parles-moi du jour du Grand Essaim ! »
Il n’aimait pas évoquer ce jour qui lui rappelait des souvenirs trop pénibles. Il regarda Tom avec bienveillance et lui sourit.
- « Héhé ! Jeune Tom ! Tu as grandi, pourtant tu veux encore entendre cette histoire ! », dit le vieux Tryker, «viens près de moi et écoutes alors. »
- « Cela se passa en l’an 2481 et toi tu n’étais pas encore né. Les gens vaquaient à leurs occupations quotidiennes. Je suis allé soigné mes mektoubs à l’étable, comme à mon habitude. En arrivant, je vis bien qu’ils étaient nerveux, agités comme quand ils sentent la présence d’un prédateur. Je jetais un œil à l’extérieur mais je ne vis rien qui puisse attirer mon attention. », raconta Ranen.
- « Ce fut le jeune Daren O’Breggan, paix à son âme, qui signala le groupe de kirostas », expliqua Ranen, «ils arrivèrent par le sud et s’arrêtèrent sur la Colline Brisée, permettant à Daren de prendre ses jambes à son cou jusqu’à Clynder. Il arriva tout essoufflé, criant que de grands insectes étaient à peine à un kilomètre du village, rameutant ainsi une bonne partie de la population. Personne ne le comprenait, personne ne s’affola, croyant à une plaisanterie de gamin. Seuls, ton père, Alius Mac’Eilin, et moi écoutions attentivement les propos de Daren. »
- « Mais pourquoi personne ne s’est enfuit, Ranen ? Il y aurait pu avoir plus de survivants. », demanda Tom.
- « A cela, plusieurs raisons, Tom ! », s’exclama le doyen, «aucun messager n’était venu nous prévenir d’une menace quelconque ; l’habitude de la paix ; le manque de vigilance ; l’indifférence aux propos d’un enfant, que sais-je. »
- « Pourtant, ton père aussi avait senti comme moi l’approche d’une menace. Il demanda aux homins de prendre leurs armes et d’envoyer les femmes, les enfants et nos anciens à la Crique des Amants. Tu sais que les Trykers sont d’excellents nageurs, les jeunes comme les vieux et cette crique n’avait qu’un seul moyen d’accès, le lac. »,continua Ranen.
- « Les chasseurs avaient à peine eu le temps de s’équiper que les kirostas, suivant la piste toute fraîche de Daren, débouchèrent dans le village. Les kitins se jetèrent d’abord sur le pauvre Daren, le déchiquetant sur pied le temps d’un clignement de paupière, puis ils se retournèrent contre les autres habitants. Ce fut un vrai carnage. Les homins en armes firent front avec courage, se sacrifiant les uns après les autres pour permettre au groupe de fuyards d’atteindre le lac. Ton père et moi fûmes les derniers à rentrer dans l’eau. Impuissants, nous vîmes les kirostas détruire le village et se repaître des corps des nôtres.»
- « Seulement une trentaine de Trykers avaient survécus à la foudroyante attaque », poursuivit Ranen, « nous étions tous dans un état pitoyable, soit choqués, soit gémissants. Certains, dont la plupart des homins, étaient blessés. Ton père et ta mère, Shana Mac’Eilin, allaient parmi les rescapés, soignant les uns, réconfortant les autres, essayant d’apporter un soutien à chacun. Nous restâmes quatre jours et quatre nuits sur la plage, sursautants au moindre grognement qui nous parvenaient de Clynder, avant de ne plus rien entendre. C’est à ce moment que nous prîmes la décision de partir, espérants rejoindre un endroit sûr. »


Souvenirs (2ème partie)

Pocpoc…poc…

Ces légers coups résonnent dans mon cerveau et me font sortir de la torpeur dans laquelle la psykopinthe m’a plongé.

Poc…poc…poc…poc…

Mon regard se tourne vers le hublot et j’aperçois quelques poissons très intéressés par les algues incrustées sur celui-ci.
- « Ha ! Les nettoyeurs ! », dis-je en souriant, «toujours à l’heure. »
J’ai la bouche pâteuse et une légère gueule de bois. Il me faudrait un petit quelque chose pour me remettre d’aplomb. Je me rends compte que j’étreins toujours la bouteille de psykopinthe. Machinalement, je porte le goulot à la bouche, mais elle est vide. Il m’en faut une autre, c’est le seul moyen de retourner dans cette brume cotonneuse, si propice à la rêverie et à l’oubli. Je dois bien en avoir oublié une sous le sofa. Effectivement, au bout de quelques secondes, mes doigts sentent le contact froid et rassurant de la bouteille. Par chance, elle est à moitié pleine. Je m’installe confortablement sur le sofa et bois goulûment quelques bonnes rasades. Les effets ne tardent pas à se faire sentir.

Poc…pocpoc

La petite troupe, composée d'une quinzaine de Trykers, était occupée à avaler un maigre repas autour d’un petit feu de camp alors que l’après-midi touchait à sa fin. Il avait fallu éviter les kitins toute la journée pour trouver de quoi se nourrir. Ranen avait eu l’air soucieux durant la journée et avait multiplié les précautions pour effacer nos traces. Cela fait des dizaines d’année que notre groupe est livré à lui-même et survit tant bien que mal et cela grâce à Ranen. Bien sûr, ce dernier n’a pu éviter que certains disparaissent mais sa détermination à essayer de nous sortir de cette situation l’a guidé toutes ces années durant.
Je suis né il y a quinze années de Jena, durant notre exode. Ranen s’est toujours occupé de moi depuis la mort de mes parents quand j’avais à peine deux ans.
- « Ta mère, Shana Mac’Eilin, s’était faite surprendre par un kincher alors qu’elle cherchait, proche de notre campement, des baies pour notre repas. Ton père, Ailus Mac’Eilin, entendant les cris de sa bien-aimée, prit sa lance et se porta à son secours, suivi des autres chasseurs. En arrivant sur les lieux, il vit que c’était trop tard. Ta mère gisait au pied du kitin. C’était une bête immense que le groupe n’avait jamais vue. Fou de douleur et de chagrin, il se jeta sur la bête et ordonna aux autres de ne pas intervenir et de s’enfuir. Ils s’exécutèrent car ils avaient appris à obéir à mon père. Les deux protagonistes se rendaient coup pour coup, leur sève se mélangeant suite aux multiples blessures qu’ils s’infligeaient. Ailus porta enfin le coup fatal mais les chélicères du kincher, dans une attaque réflexe, transpercèrent ce dernier. Pendant tout le temps du combat, Ailus avait protégé le corps de Shana. Il s’écroula à côté de Shana, les yeux fixés sur elle, le sourire aux lèvres. »
Ranen me racontait l’histoire ainsi, et à chaque fois que je lui demandais. Je pense qu’il enjolivait l’histoire et que leur mort avaient du être plus banale que ça, bien que brutale. Je vouais à cet homme autoritaire, mais d’une gentillesse et d’une patience inépuisables, une admiration sans bornes à la limite de la dévotion. Après tout c’était mon père adoptif. Aussi, le voyant tendu et soucieux, je me dirigeais vers lui.
- « Dis Ranen !… »
Il n’aimait pas quand je l’interpellais de cette manière.
- « Tu as l’air inquiet ? Qu’est-ce qui te préoccupe ainsi ? », lui demandais-je.
- « Hé bien ! Tom ! J’ai senti des kitins. Je crois qu’ils sont sur nos traces et nous devons… »
Un cri horrible l’interrompit. Nous nous retournâmes et vîmes le corps décapité du vieux Brennan glisser lentement au sol, sa tête entre les mâchoires d’un kirosta. Ce que craignait Ranen venait d’arriver. Nous nous étions fait surprendre par une patrouille de kirostas et nous étions encerclés.
La suite, je l’ai vue dans un brouillard rougeoyant, au ralenti. Je vis la délicieuse Rowen et son bébé se faire empaler ensemble par la patte d’un kirosta, ce dernier continuant sa macabre besogne sans se soucier du poids mort accroché à sa patte. Je vis deux kirostas se disputer le corps de Brag, encore vivant, et le secouer jusqu’à ce qu’il se déchire en deux comme une feuille de cratcha. Je vis un kirosta adulte projeter le jeune Firy au milieu de 4 jeunes kitins, qui jouèrent avec lui avant de le réduire en bouillie.
Je ne sais par quel miracle je ne fus pas attaqué alors que j’errais, hébété, en plein milieu de cette boucherie. La terre était rouge de la sève des miens. Des membres chitineux me frôlaient sans cesse et je trébuchais sur les cadavres épars. Et je vis Ranen encore debout, luttant farouchement pour sa vie. J’allais machinalement vers lui lorsqu’un coup de patte terrible le coupa en deux de l’épaule gauche à l’aine droite. Ce fut comme si j’avais reçu une gifle, me sortant de ce cauchemar. Je me précipitais vers lui, insouciant de ce qui pouvait m’arriver. Malheureusement, ou heureusement, c’est une question de point vue, je glissais sur les viscères encore chauds d’un des cadavres. Je me trouvais sur le dos lorsqu’une ombre immense me recouvrit. Un kirosta s’apprêtait à me porter le coup de grâce. Je vis la patte se lever, s’arrêter et commencer sa course.
- « Naaaaannnnnnn… ! ! ! »
Puis la douleur. La patte du kirosta s’était fichée dans mon épaule gauche, me clouant au sol. J’attendais le deuxième coup mais il ne vint jamais. Sa patte était toujours dans mon corps et il ne bougeait plus. En tournant la tête, je vis que les autres aussi s’étaient arrêtés. Puis, comme répondant à un appel lointain, ils s’ébranlèrent ensemble dans la même direction. Le kirosta retira sa patte. La douleur fut intense. Je sombrais dans l’inconscience…


Souvenirs (troisième partie)

Maintenant, c’est sûr, j’ai la gueule de bois et une foutue migraine. Je me réveille en frissonnant. En me frottant les épaules, mes doigts passent sur une vilaine cicatrice à l’épaule gauche.
J’ai l’impression d’avoir un troupeau de bodocs en train de danser une gigue à l’intérieur du crâne. Je devrais me calmer un peu sur la psykopinthe. J’ai entendu dire dans le bar de Ba’Naer Liffan que ceux qui ne peuvent plus s’en passer finissent par voir surgir des Kamis verts au fond de la bouteille. Jena m’en préserve ! Je ne sais pas ce qu’ils mettent dans leur boisson mais c’est costaud. Va savoir avec ces foutus Zorais ! En tout cas, j’ai fini la dernière bouteille et je vais devoir passer chez Ba’Naer pour en racheter d’autres. J’en ai besoin pour oublier.
La journée semble entamée car les rayons du soleil crèvent la surface du lac. Je retourne à mon hamac, prends ma couverture et m’allonge.
Je dois me reposer pour ce soir car on va défendre l’avant-poste de l’Ordre du Métal et Emjie n’aimerait pas que j’arrive dans un sale état.


Noir…
Envie de vomir. Douleur à l’épaule gauche. Fièvre et sueur. Gémissements. Visions fugitives d’un corps verdâtre se penchant vers moi. Fraîcheur. Délires. Noir…
Encore la douleur à l’épaule. Faim. Soif. Un corps verdâtre en train de me donner à manger. Goût infecte. Fièvre et délires. Fatigué. Noir…
Rassasié. Reposé. Faible. Plus de fièvre et de douleur. Instinctivement, je porte la main à mon épaule. Je sens un cataplasme fait de mousse. J’essaye de sentir ma blessure mais une main me repousse. J’ouvre les yeux et…
-« Aaaaaah…..! »
Un cute.
Je veux reculer mais mes bras se dérobent, je suis trop faible. Je m’attends à prendre des coups mais à la place se sont des gestes empreints de douceur qui me retiennent. Du coup, ma peur s’envole et je regarde l’être en face de moi.
Ce que j’avais pris pour un cute est en fait une cute. Visiblement, elle aussi semble effrayée. Par des signes craintifs, elle me montre mon emplacement. Elle me demande de m’allonger et me désigne deux écuelles, une avec de l’eau et l’autre, de la nourriture. Puis elle s’éloigne et s’assoit à cinq mètres de moi. Je m’installe tout en l’observant. Une bonne partie de la journée se passe ainsi avant que je ne m’endorme à nouveau.
Cela fait environ un cycle que je suis avec Grrrshiakh, enfin c’est comme cela que je le prononce. C’est elle qui m’a trouvé baignant dans ma sève et qui m’a emmené dans son campement pour me soigner. Nous avons appris à nous connaître petit à petit et finalement réussi à communiquer. Les Cutes ont une forme de langage fait de grognements, de petits cris et de claquements de langues. Ils peuvent, avec beaucoup de concentration, prononcer des mots comme nous mais c’est rare. Grrrshiakh a commencé à me montrer les objets et à les prononcer dans sa langue. Un jour, je me suis désigné en me nommant et ensuite je l’ai montré.
- « Moi, Tom Mac’Eilin ! », en me frappant la poitrine, « toi ! Ton nom ? »
Je recommence plusieurs fois pour qu’elle comprenne. Puis en se tapant le thorax, elle finit par lâcher un mot.
- « Grrrshiakh ! », puis en me montrant et avec beaucoup de difficultés, « Tomelin ! »
- « Nan ! Nannan ! Pas Tomelin, Tom Mac’Eilin ! TOM…MAC…EILIN ! »
- « Tomelin ! TOMELIN…. ! » fit-elle en acquiesçant.


Trois cycles de passés. Grrrshiakh m’a montré beaucoup de choses pour survivre. Nous sommes toujours sous la racine qui lui sert d’habitation. Je suis étonné car elle est toute seule. D’habitude les cutes sont en petites tribus. Je n’ai pas encore vu un de ses semblables. Aujourd’hui, je pense que nous allons nous déplacer. J’ai aidé Grrrshiakh à emballer son maigre équipement. J’ai préparé aussi deux paquets de nourriture et des gourdes d’eau, nous en aurons bien besoin d’après elle. Une fois le camp levé, nous prîmes la direction du sud. Nous avons marché deux jours entiers en évitant autant que possible les carnivores. En fin de journée, nous avons bifurqués vers une destination à l’écart du sentier que nous suivions. Une sensation de déjà vu s’empare de mon esprit. Je ne sais pourquoi, mais une angoisse grandissante m’étreint le cœur.
Je me prends les pieds dans une racine et je m’affale sur le sol. En me relevant, ce que j’avais pris pour une racine s’avère être les restes d’un squelette homin. Comme envoûté, je déterre les ossements et me retrouve devant la moitié d’un tronc, coupé en biais d’une épaule à la hanche.
Des souvenirs, jusqu’alors refoulés, remontent à la surface. Ranen, l’embuscade, le massacre. Tout défile devant mes yeux. Un flot de larmes coule sur mon visage, comme un bébé qui vient de naître. Je m’effondre sur les restes de Ranen, criant et gémissant, pleurant toutes les larmes de mon corps. Alors deux bras musclés et noueux me relève. Grrrshiakh, à genoux, m’attire contre elle et commence à se balancer tout doucement pour me bercer. Une étrange mélopée commence à sortir de sa gorge…
Le lendemain, je me lève tôt et j’entreprends de creuser une fosse. Je parcours ensuite le périmètre de l’ancien camp à la recherche des restes des miens car je ne veux pas que leurs os pourrissent au soleil. Une fois les corps réunis, je laisse une gourde parmi les corps afin qu’ils puissent reposer près de l’eau et je les recouvre de terre. J’ai pu réunir divers objets – un poignard, des écuelles, des pots, une pioche, un outil pour armures et d’autres babioles – que je place soigneusement dans mon sac. Ils me seront certainement utiles. Puis, je regarde Grrrshiakh et je lui fais signe que nous pouvons partir. Je suis étonnée de sa capacité à avoir des comportements homins. D’habitude, les cutes sont agressifs et attaquent tout homin qui passe à leur portée. Mais là, Grrrshiakh est douceur, gentillesse et compréhension. Comme une mère ! Nous reprenons la route. Après deux nouveaux jours de marche, nous arrivons auprès de plusieurs racines. Un groupe important de cutes s’active autour de celles-ci.
- « Tomelin ! »
Grrrshiakh, par quelques signes et grognements, m’intime l’ordre de rester à côté d’elle et s’avance vers les siens. Le groupe s’est relevé à notre approche. Deux cutes se précipitent vers nous en m’apercevant, mais Grrrshiakh s’interpose et invective les deux individus. Décontenancés, ils s’arrêtent et ne savent plus que faire. Nous continuons à avancer. Une tension terrible est palpable chez les cutes et je n’en mène pas large. Un cute plus imposant s’approche alors et entame un conciliabule avec Grrrshiakh. L’échange est vif et je ne comprends pas tout mais je sais que je suis le sujet de la discussion. Grrrshiakh veut que je fasse partie de la tribu alors que le chef s’y oppose et parle de malheurs à venir. Finalement, après deux heures de palabres, Grrrshiakh obtient gain de cause. Je suis admis dans la tribu…


Souvenirs (dernière partie)

Je me réveille doucement en m’étirant. Je crois qu’il est temps de me préparer pour aller à l’avant-poste de l’Ordre du Métal. Je pensais que je ne verrais plus de massacres mais ce n’est pas le cas. Beaucoup d’homins vont mourir ce soir au nom de Jena ou de Ma-Duk. Je dois devenir un peu cinglé car je prends plaisir à participer à ces escarmouches. J’ai salement besoin de ces sensations : c’est devenu comme une seconde nature. Certes je ne compte plus les fois où les prêtres m’ont relevé. Ma mort m’importe peu, on doit tous y passer un jour ou l’autre. De toute manière, personne ne m’attend et je ne manquerais à personne.
Après m’être rafraîchi le corps, je sors de mon appartement et je me dirige vers l’étable. Je passe devant mon bar préféré. J’en profite pour entrer. Ba’Naer m’accueille avec le sourire. Faut dire que je suis devenu rapidement une source lucrative de revenus. La psykopinthe est un produit de luxe. J’achète quelques bouteilles de psykopinthe après avoir saluer la clientèle.
J’atteins l’étable. Il y a une grande effervescence devant celle-ci. Beaucoup de Trykers se préparent pour la guerre. Je rejoins Rosie, un de mes mektoubs de bât, et prends dans ces fontes ma lourde et ma hache. Puis je brise un pacte de téléportation…


Trois années de Jena ont passé depuis le massacre. Je fais maintenant partie de la tribu. Je suis membre à part entière du groupe et j’ai acquis ma place comme les autres jeunes cutes. Il faut dire que Grrrshiakh, ma mère adoptive, m’a tout enseigné sur les coutumes cutes. Au début, je me faisais remettre à ma place par tous les membres de la tribu. Il fallait que je fasse attention à tous mes faits et gestes par rapport à chacun. Petit à petit, j’ai compris la hiérarchie et l’ossature de ce groupe.
Ma situation s’est améliorée un jour, quand j’ai ramené un mektoub de la chasse. Ils ne voulaient pas que je vienne avec eux alors je suis parti seul en quête d’une proie afin de leur montrer de quoi j’étais capable. Je suis tombé sur un troupeau de mektoubs autour d’un point d’eau. Je me suis approché du troupeau et ce que j’espérais arriva. Un jeune se détacha des autres pour m’observer, poussé par leur curiosité maladive. Je me suis éloigné du point d’eau, l’animal me suivant. Je l’ai alors attaqué à la gorge avec mon poignard, ouvrant de grandes plaies. Sa sève me giclait au visage. Un voile rouge se forma devant mes yeux alors que je frappais machinalement, sans grande précision. Mon corps était parcouru de frissons d’extase et je pris goût à cette sensation. Malheureusement, je n’étais pas très efficace et l’animal eu le temps de me blesser avant de mourir.
Couvert de sève, je fabriquais un traîneau rudimentaire, j’y plaçais la viande que j’avais découpée préalablement et je pris le chemin de notre camp. En arrivant, chancelant et à bout de forces, je suis allé voir le chef et j’ai déposé la viande à ses pieds. Toute la tribu fêta mon retour car dans le même temps les autres chasseurs étaient revenus bredouilles. J’avais ramené tout seul de quoi manger pendant trois jours. Mon statut changea au sein de leur société.
Maintenant, je traîne parmi les autres cutes. Je commence à leur ressembler. Cheveux hirsutes, couvert de crasse, je vis comme eux, mange comme eux et parle presque comme eux.
Aujourd’hui, des chasseurs sont revenus en piteux état. Certains sont manquants, d’autres sont plus ou moins grièvement blessés. Ils ont attaqué des homins qui passaient proche de notre campement. Seulement ils ont été reçus chaudement par ces derniers et ils ont dû s’enfuir. Malheureusement pour nous, les homins les ont poursuivis et étaient sur leurs talons. Effectivement, ceux-ci arrivèrent peu de temps après.
A nouveau, c’est le chaos. Je n’ai jamais vu d’homins pareils. Tous n’ont pas la même taille, la même corpulence, la même couleur. Ils sont habillés différemment. Certains portent des armures et des armes d’origines différentes, d’autres encore ont des gants desquels jaillissent le feu et la foudre. Les cutes se font décimer un par un, incapables d’opposer la moindre résistance à cette fureur. Le voile rouge apparaît devant mes yeux mais cette fois j’ai une envie furieuse de sève. Un Tryker, portant ces fameux gants, se trouve non loin de moi occupé à brûler l’un des miens. En quelques pas, je l’atteins et bondis sur lui. Je le mords sauvagement à la gorge pendant que mon poignard cherche son cœur. Il tombe sous l’effet du choc et je continue à le frapper de mon arme, bien que je lui aie arraché un lambeau de chair avec mes dents. Il me regarde, interdit et interrogateur. Ses yeux, fixés sur moi, deviennent vitreux. Dans un gargouillis de sève, il exhale un dernier râle.
D’autres yeux ont vu la scène. Un homin, grand, bleu et masqué, armé d’une pique, me charge. Je n’ai pas le temps d’esquiver le coup. Juste avant l’impact, un corps verdâtre s’interpose entre lui et moi. Ma mère adoptive, Grrrshiakh, vient de me sauver la vie en donnant la sienne. Je me jette sur le monstre bleu alors qu’il essaye de retirer sa lance fichée dans le corps de ma mère, mais un coup puissant sur la tête me fait tomber au sol.
- « Une fois de plus, je n’ai pu sauver les miens », pensais-je désespéré en sombrant dans l’inconscience…


Cela fait un cycle que je me retrouve dans un chariot brinquebalant pour une destination inconnue. Je suis avec d’autres réfugiés de toutes races dans ce convoi. Il paraît que des nouveaux territoires ont été colonisés par chaque peuple quelques années après le Grand Essaim. Il y a là des Fyros, des Zorais, des Matis et une majorité de Trykers. J’apprends plein de choses avec les homins qui «m’ont sauvé ».
Pourtant je passe mon temps, blotti dans un coin du chariot, à ressasser les événements de mes 18 premières années de vie. Mes nuits sont pleines de cauchemars et mes jours pleins de chagrin. Je crois que toute la tristesse de mon passé, jusqu’alors refoulée, s’exprime à travers toutes ces larmes qui mouillent mon visage. Je ne m’attacherais plus à des gens qui me manifestent de l’amour, quels qu’il soient. Cela fait trop mal quand on les perd. Je ne veux plus connaître cette souffrance morale. Elle est bien pire que toutes les souffrances physiques.
Surtout depuis que je me suis rendu compte, de manière assez brutale, qu’il y avait des mages guérisseurs. Un soir, alors que j’aidais à installer le campement, je me suis retrouvé nez à nez avec le Tryker que j’avais tué de ma bouche et de mes mains. Cet homin était en parfaite santé si ce n’est une portion de peau rosie au niveau de la gorge. J’en suis resté bouche bée. Il m’a sourit et, devant mon air ahuri, a entreprit de m’expliquer ce miracle incompréhensible.
D’ailleurs c’est lui qui m’a tout expliqué : les peuples, les kitins, les nouveaux territoires, etc.…. Petit à petit, en prenant son temps, il m’a amené vers un monde totalement inconnu de moi, vers une société en pleine reconstruction, dont je pouvais être un élément particulier.
Nous approchons d’une ville tryker du nom de Barkdell. Le chef du convoi nous explique que c’est ici qu’il va laisser tous les Trykers qui le souhaitent car c’est le passage obligé pour rejoindre le nouveau continent tryker, Aeden Aequous. Je prépare mes affaires. Ce n’est pas dur, je n’ai pas grand-chose et j’ai toujours mon sac avec moi.
Le chariot s’arrête à quelques encablures de la ville. Je descends du chariot et je rejoins les autres réfugiés. Tout en me dirigeant vers les gardes de la ville, je me dis qu’une nouvelle chance s’offre à moi…