Histoire d’un jeune Fyros/Troisième partie

De EncyclopAtys

🔼 Histoire d’un jeune Fyros 🔼
I II III IV V VI


— III —



― Je suis heureux que tu aies pris la bonne décision, fit Partacles une fois qu’Aetis eut finit de lui conter sa rencontre avec Lato Nivaldo. Il faut se méfier des Matis comme de la Goo.

    Aetis était retourné deux fois au hammam dans l’espoir de retrouver le sénateur. La seconde fut la bonne. L’homin profitait des bienfaits des bains dans le grand bassin.

― Je suis un Fyros et je n’aurais jamais accepté de travailler pour eux. J’aime mon peuple, répondit Aetis

    Partacles lui fit un grand sourire. Il aimait ce genre de jeune homin qui faisait passer l’honneur et sa patrie avant l’argent.

― Eh bien ne décevons pas notre Duc. Tu vas accepter sa proposition, et lui remettre la quantité de plantes aromatiques qu’il demande. Un bon moyen de gagner sa confiance.

― J’aurai besoin d’aide, fit Aetis, qui se rendait compte de l’importance de son choix.

    Il ne serait plus jamais le jeune Fyros insouciant et innocent qu’il avait été jusqu’alors. Il pénétrait dans une autre sphère pour le meilleur et pour le pire.

― Tu vas prendre contact avec le maître foreur Galeos Ion. En tant que chef de la guilde des Gueules Noires, il pourra t’aider à trouver les bras et le matériel nécessaire pour la collecte des plantes. Il a un caractère un peu rugueux mais tu peux lui faire confiance, Gueules Noires ont toujours servi l’Empereur. Tu iras le voir demain, le hall de sa guilde se trouve dans la rue Leanon.

    Aetis hocha la tête et s’apprêtait à quitter le bain quand le sénateur lui empoigna le bras.

― Fais très attention à toi, jeune Aetis. Personne ne pourra te venir en aide, si les Matis apprennent que tu es en train de les duper. Garde-toi de trop parler. Le silence est ton meilleur allié.

    Aetis le remercia et le salua. Au lieu de se sentir apaisé à la sortie du hammam, il était au contraire épuisé par cette conversation. Il venait de rentrer au service de l’Empereur et sentait déjà toute la pression qui pesait sur ses épaules. Il était tout à fait clair qu’il n’avait pas le droit à l’échec.

    Aetis se présenta le lendemain au hall de la guilde des Gueules Noires. Le bâtiment fourmillait d’activité. Ceux qui revenaient d’expédition exhibaient le produit de leurs efforts tout en racontant leurs exploits de la veille. D’autres au contraire se préparaient à partir et vérifiaient une dernière fois leur matériel ainsi que les emplacements des sources qu’ils comptaient exploiter. Quelques-uns enfin semblaient gérer la guilde proprement dite car ils répondaient aux différentes questions qui leur étaient posées tout en donnant des ordres à droite et à gauche.

    Aetis demanda à parler à Galeos Ion. On lui indiqua un homin d’un certain âge en grande discussion avec trois Fyros qu’Aetis identifia à leur matériel comme des foreuses du désert. La fine poussière qui recouvrait leurs vêtements indiquait qu’elles revenaient sans doute d’une nuit de dur labeur.

― … d’une excellente qualité ! Enfin je vois que vous maîtrisez l’extraction de la fibre dzao. Ce n’est pas trop tôt. Allez voir Mila Abygrian, il pourra peut-être vous mettre en contact avec un artisan à la recherche de matière première.

    Tandis qu’elles remerciaient Galeos et prenaient congé, Aetis qui attendait patiemment son tour s’avança.

― Ah, tu dois être Aetis, on m’a prévenu de ton arrivée. Je suis Galeos Ion…

    Il appela deux jeunes homins qui discutaient dans un coin.

― … et je te présente Eree et Mokra. Ils font partie de la guilde des Gueules Noires que je dirige. Ils t’aideront dans ta tâche.

    Les jeunes gens se saluèrent brièvement.

― Nous savons qu’il existe un endroit à la lisière de la forêt enflammée où le sol est riche en graines de plantes aromatiques. reprit Galeos. Faites très attention, elles ne sont pas faciles à extraire. Le gisement y est d’excellente qualité aussi faites bien attention. Vous devrez ménager la source si vous ne voulez pas la faire éclater et voir toutes vos précieuses matières s’enfouir à nouveau dans le sol. Mais si vous vous débrouillez bien, à trois vous devriez être capables d’extraire les huit sacs dans la journée. Du moins si vous ne vous faites pas exploser la tête !

    Galeos partit d’un grand rire tonitruant. Aetis eut une moue de consternation. Une drôle de façon pour le recevoir. Il tiqua soudain :

― Huit sacs ? je n’en ai besoin que de…
― Que crois-tu donc jeune Fyros ? le coupa sèchement Galeos brusquement redevenu sérieux. Que nous travaillons gratuitement pour toi ? Je devrais mettre deux de mes apprentis et trois mektoubs à ton service juste parce que tu me le demandes ?

    Aetis sentit les poils de ses bras se hérisser. Il faillit réagir à la violence des propos de Galeos mais il repensa au conseil de Partacles : le silence est ton meilleur allié. Aetis se renfrogna et ne tenta pas de renchérir.

― Je vois que tu as compris, parfait. La matinée est déjà bien entamée. Je vous conseille de partir sur le champ si vous voulez être de retour avant la tombée de la nuit.
― J’aime bien travailler la nuit à la lueur des étoiles, fit Mokra.
― Grand bien vous fasse, je suis sûr que les goaris seront du même avis. Je n’aimerais pas perdre trois bons mektoubs pour si peu. Allez, partez d’ici, et faites honneur à la guilde et à l’Empereur.

    Galeos s’en retourna à ses affaires sans un mot de plus et laissa les trois jeunes Fyros ensemble.

― Faut pas s’inquiéter, il est toujours comme ça, mais c’est un type honnête, le rassura Eree quand ils furent sortis. Viens, on va tout de suite aller aux étables sud, les mektoubs sont prêts à partir.

    Arrivée à destination, Eree échangea trois mots avec le palefrenier qui lui sortit trois bêtes de l’enclos.

― J’espère que tu es déjà monté sur un mektoub, sinon tu n’auras plus qu’à nous rejoindre à pied, le moqua Eree en lui tendant les rênes. Mais nous aurons sûrement fini avant que tu n’arrives !

    Aetis n’était pas certain d’apprécier l’humour de la jeune fille.

― Fais pas cette tête Aetis, elle a le même humour que Galeos, mais à la longue on s’y habitue comme la sciure sous la pluie.

    Aetis n’était pas sûr d’avoir compris la comparaison mais ne demanda pas d’explication. Il se rapprocha tout simplement de sa monture et sauta en selle avec une facilité exemplaire.

― C’est bon, j’ai rien dit, fit Eree
― On va passer par le col aux canyons. J’adore ce coin, il n’y a pas trop de monde par là. Nombreux sont ceux qui redoutent ces territoires. Comme il me fait honte de savoir qu’il existe autant de Fyros peureux ! fit Mokra.
― Nous sommes là pour prouver le contraire, n’est-ce pas ?
― Tu l’as dit ! répliqua Eree.

    Dans un cri simultané, les trois jeunes Fyros lancèrent joyeusement leurs montures au galop à travers le désert. Ils galopèrent durant près d’une heure avant d’arriver en vue des grands arbres calcinés. La sueur coulait sur leur front. Les bêtes, harcelées par les coups de pieds, n’avaient pu relâcher leurs efforts et beuglaient d’épuisement alors qu’un long filet de bave sortait de leur bouche grande ouverte.

― La zone me semble bonne, qu’est-ce que vous en pensez ? fit Mokra.
― Un endroit qui en vaut un autre, répondit Eree.

    Aetis hocha la tête. Il descendit de sa monture et lui caressa la trompe. Elle avait mérité une petite récompense. Il sortit de sa sacoche une boule de miel cristallisé et la lui donna. L’animal la dévora en un clin d’œil.

― Maintenant, laissez-moi faire, fit Eree en s’avançant de quelques pas.

    Aetis l’observa avec curiosité. Elle sortit un peu de poudre verte d’une petite poche et commença à la frotter doucement dans ses mains. Ses traits trahissaient une grande concentration. La poudre se mit à luire faiblement tandis que son visage se plissait sous l’effort. Elle jeta la poudre à terre. Aetis vit soudain la sciure être aspirée en plusieurs endroits. Il n’en revenait pas. Elle avait eu beaucoup de chance, ou bien elle avait un sixième sens exceptionnel. Quatre bulles vertes, des sources, étaient sorties de terre.

― Alors on remercie qui ? se vanta-t-elle en mettant les mains sur ses hanches.

    Aetis ne put réprimer un sourire. Finalement cette fille lui plaisait. Avec son air frondeur et son côté garçon manqué dans sa tenue hoben beige, elle était sublime !

― Merci, merci, mais ne crois pas t’en tirer à si bon compte. Attrape ça ! répondit Mokra en lui lançant une pioche.

    Ces deux là se connaissent depuis un certain temps, pensa Aetis. Il en conçut une pointe de jalousie. Aetis décrocha sa propre pioche de sa selle tandis que Mokra et Eree commençaient l’extraction d’une des plantes. Plus à l’aise avec une épée qu’avec une pioche, Aetis resta encore un instant à les observer. Eree creusait la gangue verte de la source pour y récupérer les précieuses plante qu’elle avait fait remonter tandis que Mokra s’occupait de la consolider sur les côtés pour éviter qu’elle n’éclate subitement, ce qui aurait anéanti tous leurs efforts. Il se tourna vers Aetis.

― Jamais pioché ? allez viens on va te montrer, on prend vite le coup de main tu verras.

    Ils passèrent ainsi près de quatre heures à creuser sans relâche. Ils se relayaient régulièrement : l’un piochait, l’autre insufflait de la vigueur à la source, le troisième se reposait. À la fin de la journée, ils avaient rempli leurs sacs. Après les avoir chargés sur les mektoubs, ils se reposèrent enfin et prirent le temps de manger. Le soleil était en train de disparaître sous l’horizon tandis que les premières étoiles commençaient à clignoter dans le ciel.

― Je crois que nous avons mérité notre salaire, fit Mokra.

    Malgré son entraînement de guerrier, Aetis ne sentait plus ses muscles. Il n’aurait jamais pensé que creuser puisse être aussi fatigant.

― Mais le jeu en valait la chandelle, fit-il, allongé sur la sciure du désert.
― Des dappers en plus, ouais, ça fait toujours du bien, fit Mokra.
― De quoi payer le voyage ouais… laissa-t-il échapper avant de se mordre la lèvre.

    Pourquoi faut-il toujours que je parle trop ? pensa-t-il.

― De quoi tu parles ? fit Eree soudain intéressée.

    Il voulut se taire, mais devant le regard brûlant de curiosité d’Eree, il sut que le combat était perdu d’avance. Il leur raconta tout, en leur faisant promettre de ne rien révéler.

― Quelle histoire ! A croire que tout Pyr te surveille depuis ton arrivée ... et tu veux vraiment te rendre là-bas ? demanda Mokra. Pouah, pour rien au monde, je ne m'y rendrais

    Eree garda le silence. Aetis se pencha vers elle.

― Tu ne diras rien, n’est-ce pas ? fit-il en priant qu’elle soit sérieuse.

    Elle fit semblant d’hésiter puis répondit.

― Si tu acceptes que je vienne avec toi, je te promets de ne rien dire.

    Il s’attendait à tout, sauf à ça. Il ne savait que répondre.

― Tu dis que le Matis avait du mal à trouver des Fyros prêts à travailler pour lui, insista-t-elle, il devrait donc accepter sans trop de problème tu ne crois pas ?
― …Mais… et Galeos ?
― Galeos ? Ma vie ne lui appartient pas ! J’en ai assez de creuser la sciure. j’ai envie de voir à quoi ressemble le reste d’Atys. De toute façon, d’accord ou pas d’accord, tu n’as pas le choix. Je viens avec toi, un point c’est tout !

    Aetis se garda bien d’ajouter quoique ce soit, mais quand ils prirent le chemin du retour un grand sourire illuminait son visage.

    Dans les locaux de la guilde des Gueules Noires, Galeos accueillit plus chaleureusement les trois sacs qui lui revenaient que la nouvelle du départ d’Eree. Il maugréa un moment mais devant sa détermination, il n’eut d’autre choix que de la laisser partir. Lato Nivaldo ne fut guère plus difficile à convaincre.

― Mais volontiers, je suis heureux que vous ayez pu gagner des gens à ma cause, sourit l’ambassadeur une fois qu’Aetis eût fini de lui expliquer la raison de la présence d’ Eree.
― Même si j’ai du mal à imaginer qu’Yrkanis puisse être une aussi belle cité que Pyr, j’ai envie de tenter l’aventure.
― Très bien, alors rendez-vous à l’autel de la Karavan au sud de Pyr. L’Hôte Karavan me connaît, il vous fournira des pactes pour la capitale des Sommets Verdoyants. Ne vous inquiétez pas, la qualité des plantes que vous m’avez apportées me permet largement de vous payer tous deux le voyage. Je préviendrai le duc de votre arrivée, il vous suffira…

    En écoutant les dernières instructions de l’ambassadeur, Aetis sentit son cœur s’accélérer dans sa poitrine. Ils allaient découvrir une nouvelle région, un autre peuple. Eree et lui se regardèrent et leurs yeux brillaient d’excitation à l’idée de l’aventure qui les attendait.



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