Courtisane, dramaturgie Matis

De EncyclopAtys

Les ambres dans le calice tournoient.

Dans ses tréfonds son regard se noie.

A la lie de la coupe il boit,

Hallali des souvenirs d’un « Sournois »


Un âtre danse sa gigue du diable dans un bouillon de feu. Le bois gémit sa souffrance et craque de toutes parts tant les centaines de flammeroles le lèchent de leur aiguillon mortel.


Derrière lui, le rideau de velours est effleuré…


Il sent dans l’air le safran complexe d’un parfum dont il connaît les composantes alchimiques. Non pas qu’il l’eut créé, mais pour susciter le désir quoi de mieux que le pollen soupiré des fleurs carminées ; De celles qui offrent leurs opulents pétales au regard concupiscent du soleil enhardi d'un été flamboyant.

Ce parfum… Tant d’autres artifices naturels qui, enlacés les uns aux autres, déclenchent les stimuli de l’envie, du désir et de la passion.

C’était une fragrance aventureuse qui envoûta la sépulcrale odeur vieille et poivrée des milliers de parchemins et qui, en une mystérieuse virevolte, endormie le piquant de la résine des âges enchâssés entre les pages des grimoires séculaires.

Le mol appui de l’air reposa la verticalité silencieuse de la tenture frôlée.

Le tapis rouge aromatique posé, un pas feutré élança une silhouette qu’il devinait gracile alors que son ombre rétrécissait en son dos. Elle venait à lui d’une marche lente, encore masquée par l’imposant fauteuil dans lequel Shenshantag rêvassait.

Laconique, il eu ces mots « … Même votre pas est musique… si chaque goutte de pluie était une note, votre marche serait la gamme des ondées sur les plaines sereines… »

Le bruissé de vêtements ôtés et soudain il imagina les étoffes lovées autour de chevilles aux raffinements délicats.

Elle était « La » courtisane.

« La » convoitée… « La » gemme inaccessible.

L’hiver dernier… Il se souvint.

« Ce » regard émeraude dans la foule du marché d’Yrkanis un matin frais où le carillon des grands arbres révérait sa silencieuse beauté. Un regard qui seul érige l’astronomique fortune dans l’imaginaire de celui qui se prend à rêver d’embrasser cette froide icône. Au-delà des espérances du badaud, le seul arrêt en soupir de ses yeux était une grâce qu’elle rendait aux fortunés de la muse de la chance. Ce jour là, il avait prié pour que rencontre soit entre les prunelles félines et sa propre mélancolie ambrée…

Soudain, les flammes firent révérence. Elle se dressait devant lui, la pénombre jetant un voile chaste de lumière clair-obscur sur son corps nu délicieusement impudique. Derrière elle, le feu dans son dos se jeta en ailes enflammées projetant des ombres exquises sur la livrée blanche du mage au cœur noir. Leur sarabande était ces milles corps délictueux qu’elle incarnait à la fois, enlacés dans une scène de la Création ou débauchés dans celle de la Destruction.

Le murmure de la voix de l’ange à l’aura incandescente déposa le fruit défendu du nom d’un être déjà déchu.

« …Shenshantag… »

Le voile erratique de ses songes s’étiola quand des rais de lumières opalins passèrent devant ses yeux et caressèrent le hâve de sa joue. Un univers de sensation grisa tous les pores de sa peau aux endroits où la touche subtile faite du bout des doigts avait glissé : « Le feu de la glace », une expression qui prit en cet instant tout son sens.

Il se redressa, commandé par ses sens, voulant embrasser cette flamme vive incarnée dans la sensualité d’une homine… « parfaite ».

Elle se ravit à lui, en un recul félin, « calculé ».

Dans son regard il lut la question intimant une réponse immédiate. S’il la voulait, il devrait s’acquitter du prix.

Il eut l’ombre d’un sourire sardonique, assuré de son pouvoir immédiat sur Elle et sa propre convoitise attisée.

Il fit un pas, elle en esquissa un de côté, gagnant la profondeur complice des grandes ombres… Il ne se départit pas de son amusement, savourant ce moment d’attente chargé de pulsions électriques et animales.

Si les millions de dappers n’auraient pu à eux seuls faire espérer qu'une seule nuit de faveurs de la courtisane, il y avait des biens au royaume matis qui pouvaient conquérir son corps mais aussi son âme.

Il trouva un coffret sur la table de la bibliothèque. Délicatement, une minuscule fiole teintée fut extirpée de son caveau de soie. Se tournant vers elle, il tendit son bras et ouvrit précautionneusement son poing dévoilant le cristal d’ambre à l’homine interdite dans un rêve machiavélique soudain.

Le poison le plus violent que les matis eurent connu pour un complot, contre sept nuits d’orgie entre serpents. Le mage était dur en affaire, et c'est elle qui payait...

Shenshantag se moquait du devenir de sa création tout autant que des intentions secrètes de sa mystérieuse "invitée".

Il la voulait.

Rassasiée de la vision mortelle, elle lui fit signe, son drapé de feu sinuant en une traîne de brume âcre à ses pieds. Il s’engagea à sa suite et… disparurent.

La nuit grandissante de la pièce, alors que l'âtre se mourrait, se referma sur eux comme le ferait le rideau d’un théâtre sur un acte où les personnages sinistres finissent en s'abreuvant à la corne d'abondance du mal.


Les ombres dans le lit tournoient,

Dans les tréfonds, leurs âmes se noient.

A la lie de leur folie l’on boit,

Hallali d'un présage d'assassinat sournois...