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La fin d'un homin
Après le nouvel Exode
Une nuit paisible régnait dans les limites lointaines du Désert Ardent, les prédateurs se voulaient plus calmes et moins agressifs, qu’ils soient simples mammifères ou insectes chitineux.
Cette accalmie offrait à Amatsu la chance d’observer un ciel parfaitement étoilé, traversé par quelques étoiles filantes et illuminé par une lune éclatante. Ces occasions se faisaient tellement rares lorsqu’il patrouillait pour l’Empire de Dexton qu’il n’en ratait aucune, elle lui permettait de consacrer ses pensées aux siens : sa douce aimée et ses enfants. Ils lui manquaient invariablement chaque seconde qu’il passait seul dans l’étendue de sciure loin de son foyer et penser à eux, lui donnait la force d’affronter le Grand Ralentissement qui sévissait sur la majorité de l’écorce.
Mais ces derniers temps, son cœur se faisait lourd…Peut-être était-ce la découverte de ce prétendant à Nymphea du nom de Zorglor ? Ou bien la réaction étrange de son aimée face aux sentiments qu’il lui avait dévoilé ? Malgré leurs longues discussions parfois virulentes, elle lui avait assuré n’aimer que lui et pourtant, alors qu’il se trouvait ici dans le désert, il avait la sensation de louper quelque chose d’essentiel…
Assis sur un bloc d’écorce et la tête perdue dans toutes ces réflexions, l’instinct du guerrier auquel se fiait le tryker blond ne le prévint pas de l’avancée discrète d’une demi-douzaine d’ombres massives rôdant à moitié enfouies dans la sciure. Dès lors la première s’élança une fois à bonne portée prenant le légionnaire qu’est Amatsu par surprise et le projetant d’un coup de patte quelques mètres plus loin, avant d’émettre un ronronnement félin représentatif d’un varynx. Mais quelle puissance ! Le temps de dégainer son épée de guerre, deux autres ombres passèrent à l’assaut toutes griffes dehors et l’entaillèrent au bras gauche et à la cuisse opposée avant que par un réflexe presque surnaturel, les deux molosses se tiennent hors de portée de représailles de l’épée.
Maudit Grand Ralentissement ! Pourquoi n’influence t-il pas la faune et la flore ?
L’instinct d’Amatsu l’avait peut-être trahi une fois par négligence mais cette fois-ci, il était formel, ce combat ne pouvait pas être gagné dans de telles conditions. Et toute idée de fuite était à oublier étant donné la malédiction qui s’emparait d’Atys, les varynx le rattraperaient avant qu’il n’aille bien loin. Le tryker bouillonnait de rage de n’avoir d’autre choix que la mort sans pouvoir réellement se défendre, de n’avoir d’autres choix que de laisser derrière lui une famille qu’il aimait plus que tout au monde. Une voix de femme vint cependant interrompre ses dernières prières, une voix âgée, mauvaise, pleine de haine, une voix qu’il connaissait et qu’il n’aurait jamais voulu réentendre. Presque instantanément, ses mains se crispèrent sur le pommeau de son épée de guerre, rendant très nerveux les varynx sur le qui-vive.
La silhouette de la vieille trykette se détacha de l’obscurité procurée par un varynx, son regard était enflammé d’un sentiment mauvais qu’Amatsu peinait à identifier en totalité mais la colère et la haine y étaient en grande majorité représentés. La main caressant le pelage d’un des molosses, elle avait pour le borgne blond un sourire cruel trahissant sans peine que son plan avait parfaitement fonctionné jusqu’ici.
La voix de la sorcière se voulait douce et envoûtante.
Amatsu peinait à la regarder en face, comme si une force lui imposait de baisser les yeux, sans aucun doute sa magie était encore plus puissante que la dernière fois.
D’un geste de la main, une bourrasque de vent se forma et alla frapper de plein fouet le légionnaire l’envoyant bouler sur plusieurs mètres, obligeant ainsi les varynx à s’avancer près de l’homin pour maintenir leur pression sur lui en restant à distance respectable. Le légionnaire se releva, sonné par l’attaque et encore à peine conscient pour répondre quoi que ce soit d’intelligible.
Elle s’approcha lentement en effleurant au passage le pelage d’un varynx, ce qui n’eut pour réflexe que de faire renforcer sa garde chez le tryker.
Amatsu balbutia, du sang s’écoulant au coin de sa bouche.
Etrangement patients jusqu’ici, les varynx s’élancèrent en un éclair sur leur victime la mettant à terre sans qu’il ne puisse esquisser le moindre mouvement, bloquant ses bras et ses jambes de leur poids imposant. L’un d’eux, le plus imposant, s’approcha au niveau de la tête, les babines retroussées à l’extrême avec une envie de le dévorer très convaincante. Les mâchoires situées à seulement quelques millimètres de lui, le tryker put profiter entièrement de la mauvaise haleine de l’animal ce qui ne l’empêchait pas de voir naître en lui une peur de plus en plus forte.
D’un geste vif de la patte, griffes rentrées, le varynx vint frapper la tempe de l’homin, le plongeant ainsi vers son pire cauchemar.
Le réveil fut des plus difficiles, une odeur de sueur et de sang l’attaquant au plus profond des narines avec virulence et c’était sans compter l’incroyable mal de tête qui l’accompagnait alors qu’il ouvrait les yeux. Suspendu par les bras, une rapide inspection lui apprit qu’il se trouvait dans une petite grotte naturelle dont l’usure de l’écorce semblait avoir été causée par de l’eau, sans prendre de risque il pensa à un lieu inconnu dans les lacs. Autour de lui, il n’y avait que peu de choses, à peine quelques paillasses éparpillées à même le sol et un petit bureau accompagné d’une chaise. Sur celui-ci, plusieurs flacons d’un produit aux couleurs allant du noirâtre au violâtre étaient installés avec précaution dans un petit support finement travaillé, sans trop d’effort, il en reconnut le contenu : De la goo !
Que souhaitait faire Saleem de ces fioles ? Cette question l’inquiétait au plus haut point et tandis qu’il continuait à découvrir son lieu de captivité, ses chaînes le maintenant au mur se mirent à grincer d’un son grave et portant. Deux varynx de taille plus modeste firent irruption aussitôt alertés, babines retroussées au maximum et s’élancèrent sur lui, griffes rétractés afin de lui porter de simples coups de contusion. Visiblement, la sorcière avait un don pour dresser ces félins selon ses bons désirs, qu’ils soient simples ou compliqués. Une violente douleur le saisissait désormais au ventre et une envie de rendre un repas qu’il n’avait pourtant pas pris, lui monta à la gorge aussi vite que l’eau tombe des chutes de Virgnia.
Saleem arriva, son sourire cruel n’était en parti masqué que par un sentiment de victoire sur le tryker.
Et la peur commença réellement à saisir Amatsu, il se débattit de toutes ses forces cherchant un moyen de s’enfuir sur l’instant. Il ne connaissait que trop le sort qui était réservé à ceux qui se voyait contaminés, la folie qui envahit l’esprit petit à petit et la corruption du corps, savoir cela lui donna un semblant de force supplémentaire pour tirer sur ses liens et les mettre à l’épreuve, malheureusement sans succès. Ne tournant pas la tête pour profiter du spectacle, Saleem pointa un doigt sur lui duquel jaillit un éclair incomparable à ceux maîtrisés par les zorais ce qui sous le coup de l’électrisation stoppa net le légionnaire dans son désir de fuite.
La sorcière souriait cruellement à n’en plus pouvoir.
Faisant face à Amatsu, la sorcière présentait à la main une seringue d’aspect étrange dans laquelle reposait la goo et alors qu’elle s’approchait de lui lentement, ces dernières paroles s’accompagnèrent d’un rire inhumain, presque démoniaque. Peu de temps après suivirent des cris de douleurs à en déchirer les tympans, des cris tout autant inhumains dont la durée ne put donner d’indication relative sur le temps qui s’écoulait au dehors.
Un long silence pesant, les yeux mi-clos, Amatsu distinguait à peine Saleem en face de lui, seule une apparence sombre et des yeux presque enflammés lui parvinrent mais étonnement, elle ne lui faisait pas peur, ce fut comme s’il ne s’en souciait plus vraiment. Une main griffue s’avança vers son visage et alors qu’elle le touchait à peine, une douleur indescriptible le fit hurler plus encore que les fois précédentes.
Ce fus les derniers mots qu’il put comprendre avant de sombrer dans l’inconscience.
Le retour à Fairhaven l’avait épuisé au plus haut point, décidément se déplacer au beau milieu des effets du Grand Ralentissement s’avérait être une aventure éreintante mais l’essentiel avait été fait, il était de retour et n’attendait qu’une chose, voir son épouse et la sentir contre lui. Dans son sac, il avait caché un bouquet de fleurs que Nymphea appréciait tout particulièrement à l’endroit même où il lui avait fait découvrir sa passion pour celles-ci, ce fut avec le sourire qu’il s’avança vers la ville scrutant déjà du regard les premières personnes qu’il pouvait trouver. Sans surprise, elle travaillait non loin de l’étable et à sa grande surprise, pioche à la main, avec grand entrain, il s’apprêtait à sourire quand la vue de Zorglor installé non loin d’elle le ramena à une certaine réalité.
Une voix âgée dans sa tête se mit alors à lui parler, d’un ton calme et posé :
Secouant la tête, encore en dehors de vue de son aimée, il ne comprit pas ce qu’il lui arrivait. La voix continua pourtant.
D’un murmure, il répondit un « non » pour lui-même sèchement ce qui attira sur lui l’attention de nombreux passants, suspicieux de voir un homin parler seul ainsi. Arrivé à la hauteur de son épouse, il la salua de loin, celle-ci ne s’arrêtant pas dans la tâche qu’elle s’était fixée à savoir forer de l’ambre pour le cadeau de leur fils. La voix en profita pour enchaîner malicieusement :
Troublé par cette voix qui envahissait totalement son esprit, comme quelqu’un qui murmurerait à son oreille, il chercha à se changer les idées et trouva pour cela son ami Mousse d’humeur assez taquine. Ce dernier s’était installé entre les deux homins qu’étaient Amatsu et Zorglor et lança sur un ton innocent.
S’en suivit le récit d’un acte de voyeurisme comique de la part de Mousse envers Nymphea qui ne semblait pas encore tout à fait résolu dans leur cœur, un jet de peinture n’ayant pas vraiment suffi à calmer certaines ardeurs. Le borgne blond souriait à cela mais il ne pouvait détacher son regard de celui qui non content d’aimer son épouse, lui souriait fugacement.
La voix se fit soudain autoritaire et expéditive :
A ces paroles, les yeux de ce dernier devinrent vitreux trahissant une certaine docilité dans l’exécution des ordres à venir.
Mousse n’ayant pas de dague dans son équipement, le légionnaire se dirigea vers ses mektoubs et sortit un de ses « crocs » comme il aimait appeler ses dagues.
Accomplissant l’ordre demandé, il s’avança presque mécaniquement vers son épouse et s’agenouillant face à elle, il se trancha le doigt porteur de son alliance. La douleur en théorie insoutenable lui paraissait n’être qu’une caresse, une ivresse presque, ivresse que la voix reprit aussitôt à son compte.
Toujours très docilement, l’œil vitreux, Amatsu s’avança alors vers son nouvel objectif d’un air menaçant imposé à son corps. Sur sa bouche, un sourire cruel, digne de celui de Saleem, se dessina tandis que Zorglor reculait sans comprendre la raison de cette folie. Mais la machine était en marche et même si ce dernier chuta au sol en se cognant contre un mektoub, l’épée le transperça à l’endroit indiqué sous le regard ahuri des spectateurs entourant la scène et de celui de Nymphea, qui ne tarda pas à crier avant de les rejoindre.
Mousse ne tarda pas à s’imposer face au regard d’Amatsu lorsqu’il remarqua que la lame changeait de direction pour prendre celle de Nymphea. Sans attendre et à juste titre, il attaqua le premier d’une vague rapide d’estocs et de coups tranchants mettant en sang le légionnaire devenu pantin. Pensant en avoir fait assez, il s’arrêta un temps pour l’observer, temps que pris la trykette dansante habituellement pour appliquer le conseil d’un ami : lui prouver qu’elle l’aime toujours énormément.
La voix continuait à ordonner violemment ces ordres.
Le baiser apporté ne déforma pas le sourire cruel qu’arborait toujours le légionnaire et tandis que Nymphea découvrait l’existence de la goo fluctuant dans le corps de son aimé, ce dernier lui enfonça sans ciller son épée de guerre droit dans le cœur jusqu’à la garde.
Elle s’effondra en murmurant.
Le réveil fut brutal, extrêmement douloureux pour le corps, et comme dans un mauvais rêve, son regard découvrit une scène d’horreur extrême. Nymphea était étendue sur le dos en appui contre l’étable de Fairhaven, son corps semblait guéri mais se voyait malgré tout baigné dans son propre sang, Zorglor quant à lui n’avait pas été épargné non plus du sang souillant aussi ses vêtements et enfin de son corps à lui, il remarqua de la goo qui s’écoulait de ses blessures. L’électrochoc était brutal, la réalité imposée et fatale, sa main avait apporté la mort à celle qu’il aimait et il le savait, elle ne le supporterait pas une seconde fois.
Zorglor le regardait à la fois terrifié et soulagé visiblement de ne pas le voir s’avancer plus encore, mais quand bien même, Amatsu en aurait reçu l’ordre, son corps refusait d’avancer plus loin et ce n’était qu’appuyé sur son épée de guerre qu’il pouvait encore tenir debout. Sa voix prenait le ton d’une plainte presque infinie, celle d’un regret et d’une tristesse qui hante une âme jusqu’à l’éternité.
Ces paroles surprirent quelque peu le prétendant au cœur de Nymphea, le laissant un peu désarmé face à la situation. Amatsu ne prit même pas la peine de le regarder, il ne pouvait détacher son regard de celle qu’il aimait plus que tout.
Le borgne blond prit enfin la peine de regarder celui qui lui parlait, les larmes aux yeux coulant sans sembler s’arrêter.
Zorglor semblait hésiter mais ne pouvait s’y résoudre.
Zorglor acquiesça de la tête doucement, toujours pas résigné à appliquer la demande d’Amatsu.
Son « bourreau » finit par accepter la tâche ingrate et de ses amplificateurs, lança un linceul de flammes qui commencèrent à le consumer dans la douleur la plus atroce. Sans quitter celle qu’il aimait du regard, Amatsu n’eut le temps que d’un murmure avant de sentir son cœur s’arrêter et se consumer.
Dans un nuage de sciure, le corps calciné fut rappelé par une puissance laissant Zorglor et Nymphea seuls, ensemble.
Et la voix retentit :
Un grand voile blanc se mit alors à envahir tout ce qu’Amatsu avait appris dans sa vie …