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L’alcool bu ce soir d’hiver éclaire d’ambre mon âme enfumée, et alors que je fixe le verre, la plume à la main, je me souviens de ces années. Ces cernes colorées, de ma jeunesse atysienne, qui trônent à présent sous les yeux fatigués d’un vieil homme emphysème.La surface de la coupe à moitié remplie d’un vin couleur miel, concentre par vagues d’ondes hypnotiques mon regard éthylique.
Je me prends à songer à l’Olao, cet arbre qui a la propriété de créer des anneaux de moins en moins épais chaque cycle, finissant par ne plus évoluer du tout. Singularité ! Alors que chaque année apporte son lot de strates, de racines, tour à tour sols et voûtes, Primes ou canopée.
Il y eut une année où tous les vins furent bons ; en cette année de 2539, la saison fut si chaude que les fruits furent comme confits. Il me reste encore aujourd’hui des vins de ce temps-là ; mais ils sont réduits à une espèce de miel âpre.
S’il fallait relever, sur la coupe transversale d’Atys, les cernes prépondérantes de l’histoire homine, nul doute que les règnes du Roi Yrkanis, de l’Empereur Dexton, du Grand Masque Mabreka Cho et du Gouverneur Denen Toen ressortiraient comme des périodes clefs depuis la Poussée Verte.
Ce fut le fils de Cerakos II qui donna l’impulsion en créant la première assemblée politique ouverte aux réfugiés ; les Akenak, des patriotes fyros, élus par leurs pairs, et amenés à gérer le quotidien immédiat du peuple du Désert sous l’égide de l’Empereur et du Sénat.
Depuis quatorze cycles, des homins venus des Terres d'Antan, affluaient aux portes des nouvelles cités bâties par ceux qui avaient fuit, il y a près de soixante ans, l’horreur kitine grâce aux Arcs en ciel. Pour la première fois, un rôle majeur leur était confié.
L’une des premières tâches de ces « Honorables » fut de participer à un autre projet ambitieux de l’Empereur : La Légion Dexton. Un nouveau corps militaire d’élite, constitué de patriotes, sous le commandement du Stratège Icaphotis Dylidus.
Très vite se posa le problème de l’équipement de ces soldats et Sharükos décida dès les premières manœuvres de fonder une académie d’artisans impériaux chargée de confectionner l’armement de sa Légion : Du rouge pour leurs armures ! Kostomyx fyros écarlates, et armes ardentes, de la meilleure qualité possible seraient fournies. C’est ce moment que choisirent les Alchimistes impériaux pour annoncer à leur Empereur une formidable découverte : l’affinage de matières continentales excellentes en matières continentales suprêmes de même type et qualité…
L’Histoire se répète, dit-on. Tel Jinovitch, qui fut tué et abandonné par la noblesse et l’armée aux frontières des Eaux de Jino, le Roi Yrkanis faillit perdre la vie dans la capitale Matis, lieu aussi éponyme que les Lagons de Loria jadis rebaptisés.
Dans les Jardins Majestueux, les feuilles bruissaient sous la colère du Souverain. Le Royaume venait d’être attaqué. Une certaine Akilia Tempête de Cendres avait mené une poignée de Maraudeurs aux portes de la capitale. La noblesse n’avait pas bougé et la cité ne fut sauvée que grâce à l’intervention de quelques réfugiés.
Karan Yrkanis, furieux, réunit ses vassaux indolents et les guildes matis. Ces dernières furent renommées Maisons au même titre que les plus anciennes Familles de la noblesse Matis et ceux qui étaient à leur têtes anoblis. Les protestations vite étouffées de certains membres de la Cour n’y changèrent rien…
Dans le même temps les rapports des espions du Roi affluaient, la Légion Dexton était murmurée dans les salles de conseil du Palais. Les Fyros s’armaient, pourquoi ? Nul doute qu’Yrkanis se souvint alors de ce qu’il disait lui-même sous le règne de son oncle tyrannique.
« Si l’ambre pourrit, que doit faire la fibre ? »
Un cube d’ambre oublié qui ressurgit du passé lorsque personne ne l’attend. Voilà comment Fen Han-Go, surnommé Supplice aurait pu annoncer le retour d’un autre Sage à Zora. C’est lors d’une réunion des Cercles Zoraï, que ce nouveau venu se nomma lui-même Saison, proposant son aide pour lutter contre tous les ennemis du Pays Malade, et rappela le rôle que les Kamis avaient donné à son peuple. Bien davantage tourné vers la Tradition que Supplice, il sut se faire écouter par certains, mais aussi s’attirer la méfiance des autres.
Les vaguelettes de mon vin ambré, ont cessé de lécher les bords de mon verre. Buvant une nouvelle gorgée, je souris en pensant aux Lacs qui ont connu eux aussi leur lot de tempêtes et d’ondées…