La Fresque de Kladia

De EncyclopAtys




La Fresque de Kladia


par Liandra d’Alanowë, La Nouvelle Feuille d'Atys, le Quinteth, Nivia 11, 1er CA 2525 [1].






    Cette fresque, qui couvre le mur Est de la salle de réunion de l’Assemblée de Sokkarie, est l’œuvre de l’artisan Muldio, qui mourut en 2521. Elle représente le sacrifice du Duc Aarokyr lors de l’exode. On y voit le Duc monté sur un varynx domestique, coiffé de la couronne de Sokkarie et tenant son épée en direction d’un adversaire que l’on devine dans le lointain. Autour de lui, une furieuse mêlée se hérisse de piques et d’épées

     Je me promenais dans le palais, laissant le hasard me guider, lorsque je tombais sur cette fresque. Intriguée, je m’en fus à la bibliothèque dans l’espoir d’y trouver une critique. Ma déception fût grande lorsque, ayant enfin trouvé un texte s’y référant, je ne trouvais qu’un simple " Le Duc Aarokyr face à ses ennemis ". Devant ce manque consternant d’esprit critique, et n’ayant que peu d’occupations, mon état ne me permettant que peu d’activités physiques, je me suis attelée à cette tâche. J’ai donc pris possession de la salle de réunion de l’assemblée l’espace d’un après-midi. Voici donc le fruit de mes réflexions.

     « Un sacrifice au nom de l’espoir » par Kladia, tel est le sous-titre de l’oeuvre.

     La fresque mesure 26,25 sur 6,56 pieds. Elle est en bon état, on ne distingue que deux minuscules coquilles au niveau du coin inférieur droit et un léger éclat sur le cadre, à 2,37 pieds du bord droit, sur la tranche inférieure.

     Le cadre, d’une largueur de 1,64 pieds, est fait en mathae. Grâce à l’éclat manquant, on peut voir que le grain en est extrêmement fin, ce qui permet d’affirmer qu’il a été prélevé au coeur d’un ou plusieurs exemplaires centenaires. Des petits coups portés au niveau de l’éclat ne laissant aucune trace, l’hypothèse s’en trouve confirmée, le mathae devenant de plus en plus dur au fur et à mesure qu’il vieillit. A chaque coin a été sculpté une magdalena, fleur représentant la noblesse matis. Les bords eux-mêmes prennent la forme d’innombrables tiges s’entremêlant jusqu’à ce que l’on ne puisse plus distinguer quelle tige s’arrête où. Le bois a été protégé grâce à de la sève de bothonda (arbre se trouvant sur les terres zoraï, quasi inutile en temps que matériau, mais dont la sève, une fois séchée, a la particularité de durcir sans imprégner le matériau sur lequel elle est appliquée, ce qui a l’avantage de laisser sa couleur d’origine à la surface sur laquelle elle est appliquée). Plus qu’un simple ouvrage décoratif, on peut aisément imaginer la symbolique du cadre. Les magdalenas représentant la noblesse, les tiges peuvent représenter sa désunion, le fait qu’elles se soient totalement perdues tant les chemins qui les séparent sont devenus tortueux. En effet, les Maisons étaient, à l’époque, plus soucieuses d’asseoir leur pouvoir les unes face aux autres que de confirmer celui des Jardins eux-mêmes. Bien que très subtil, on pourrait le considérer comme un reproche de l’artiste aux Maisons de l’époque, qui, du fait de leur conflits, n’ont pas été capables d’écouter les avertissements et de s’unir face à l’adversité.

     La toile elle même est centrée sur la personne du Duc Aarokyr. Chevauchant un varynx, il est posté sur le corps d’un kitin impressionnant de par sa taille, ce qui le surélève par rapport à la mêlée. Il est équipé d’une splendide armure noire sans la moindre décoration. Sa seule et unique parure étant sa couronne, ce qui sous-entendrait que c’est plutôt le guerrier que le puissant Duc que l’on a voulu représenter. Son visage, d’un blanc diaphane, est impassible, seuls ses yeux noirs semblent exprimer une froide détermination. Il tend son épée vers le spectateur, semblant inviter un nouvel ennemi dans un combat à mort. Il est à noter que malgré le fait que la bataille représentée semble acharnée, le Duc est exempt de toute trace de sève, de coups, ni d’aucun des outrages auxquels l’on est exposé à la bataille. On peut y voir là l’idée que la noblesse matis ne saurait être touchée par les insanes fluides de l’ennemi, reniant par delà même qu’elle pourrait être vaincue.

     Le varynx est un spécimen imposant de sa race. Il est harnaché, et sa posture semble le montrer totalement soumis à son cavalier. Ses griffes sont enfoncées dans le cadavre qui gît sous lui, et sa gueule dégouline de sève. L’ensemble cavalier/monture sous-entend plusieurs choses ; le matis prouvant sa supériorité face à une créature inférieure, et le fait que, malgré tout, un matis peut se révéler le plus sauvage et terrible des adversaires. Le toucher permet de confirmer une impression visuelle ; l’artiste est arrivé à donner du relief à son oeuvre, en faisant en sorte que, par exemple, l’armure soit totalement lisse au toucher, ou que l’on ait l’impression de réellement caresser un varynx. La méthode utilisée m’est totalement inconnue, il faudra faire des recherches d’archive pour essayer de trouver la trace d’une telle technique, que je n’ai d’ailleurs vue mise en oeuvre que sur cette toile.

     La mêlée semble particulièrement sanglante. On peut dénombrer de nombreux cadavres, cependant une inspection plus poussée nous montre qu’il y a plus de matis gisant à terre que de kitins. Les guerriers eux-mêmes sont toujours représentés acculés, ce qui ne laisse aucun doute quant à la tournure que prend la bataille. Tous tournent le dos à une citée en flamme, Sokkaria sans aucun doute. Toutefois, derrière eux se dresse la lisière des Jardins Majestueux, ce qui nous indique que le combat que livre les homins se veut pour la défense de toute la patrie matis, et pas uniquement du Duché lui-même. La couleur dominante parmi les matis est le blanc du deuil, signifiant une fois de plus que nul parmi eux ne songe à une possible victoire. Les kitins, eux, représentent tous des membres imposants de leur espèce (seuls les plus fort seraient à même de rivaliser face à un noble guerrier matis ?). Leurs membres sont tous difformes, sans qu’il n’y ait la moindre harmonie, au contraire des guerriers matis qui, même dans la mort, gardent leur beauté parfaite.

     Le jeu de lumière est assez intéressant. L’ensemble de la scène du combat est "terne", comme si l’on avait jeté un léger voile sur l’astre du jour. Seule une zone de la toile est baignée de lumière. Y sont représentés des silhouettes, tournant le dos au combat et semblant se diriger vers l’horizon. Forte symbolique de l’Exode, prouvant qu’à l’époque des faits l’espoir ne se situait pas dans le combat mais dans la fuite. On peut donc en conclure que les personnages mis en avant sur la toile n’en sont pas, en définitive, l’élément principal.

     En conclusion, on peut affirmer qu’il ne s’agit pas là d’un hommage au sacrifice du Duc, mais plutôt une image donnant une utilité à sa mort. Il ne s’est pas présenté sur le champ de bataille pour l’honneur, ni pour sa maison, mais pour permettre à son peuple, et à sa descendance, de survivre à cette épreuve. Le plus important ne serait donc pas le sacrifice lui même, mais sa raison. Si après sa mort rien n’avait subsisté, elle aurait été inutile et oubliée de tous. Les actions égoïstes sont donc indignes d’être citées, alors que les actions purement altruistes sont dignes d’éloges. Si le Duc est ici représenté à la première place, c’est donc plus pour le remercier en se souvenant de lui que dans un quelconque but de glorification guerrière.

     Cette fresque a été faite pour que nous n’oublions pas que se sont d’innombrables sacrifices qui ont permis au peuple matis de survivre à cette épreuve.




  1. samedi 9 octobre 2004.