Le ciel vide de tout nuage était dominé par le soleil rayonnant, tel un marteau sur une enclume, il frappait la cité de Pyr, réchauffant ses murs de terre jusqu’à la changer en four. A cette heure de la journée, les citoyens de Pyr s’abritaient dans la fraîcheur des caves de leurs maisons, ou traversaient à le hâte les allées ombragées du souk pour rejoindre un café.

Suant à grosses gouttes sous sa protection de chitine et de cuir usé, Konshu ne cessait de lever la tête au ciel, faisant visière de sa main ; il était perdu et la tête lui tournait, tant d’une impression de vide née de cet espace bien trop grand pour lui, que de la chaleur qui l’accablait depuis son arrivée.

Croisant quelques gardes vêtus de pourpre, qui guettaient depuis l’ombre d’une arche, il demanda son chemin et finit par dévaler les marches menant au « gosier en feu », c’était là une taverne, et pas un café ; durant la journée, l’endroit était d’un calme trompeur.

Le tenancier de l’établissement était un Fyros ayant vu bien des saisons, portant ses cheveux gris très court et cultivant des favoris d’une taille respectable ; il sourit en voyant le nouvel arrivant dans un tel état d’épuisement, il ne pouvait avoir aucun doute, c’était là un réfugié tout fraîchement arrivé de Silan. Ce qui trahissait Konshu, hormis sa désorientation évidente, était la couleur de sa Kostom ; à la surface, bien peu de Fyros s’habillaient de couleurs sombres, car la chaleur était le premier ennemi dans le désert, avant même les Kitins ou les bandits.

Avant que le nouveau venu n’ait pu souffler un mot, le tenancier lui versa une chope généreuse de bière locale.


« Bienvenue à Pyr, l’ami ; c’est la maison qui offre. »


Avec un sourire mêlant épuisement et gratitude, le réfugié se mit à lamper goulûment le contenu de sa chope ; le tenancier derrière son comptoir affichait toujours un sourire bienveillant et serein, il allait plumer ce gogo. Dans un premier temps, la bière n’étancherait pas sa soif, et dans un second, l’alcool allait agir sur ce pauvre hère déshydraté comme le venin du scorpion sur sa proie.


« Une aut’. »


Le tavernier sourit de plus belle et remplit à nouveau la chope.


« Ca te fera cinquante dappers l’ami. »


D’un geste violent, le réfugié aplatit les pièces d’ambre sur le bois du comptoir ; le tavernier sursauta, quelle vigueur ! Le client s’empara de la chope et la vida aussi vite que la première, faisant couler la mousse sur son menton, jusque dans son cou et à l’intérieur de la protection pectorale de son armure. Avec un rot sonore, il écrasa le cul de la chope sur le bar et d’un signe de tête comme en font les poivrots ; fit comprendre au tavernier qu’il ne comptait pas s’arrêter là.

Plusieurs heures et une petite fortune plus tard, Konshu ronflait, étalé sous une table au fond du « gosier en feu » ; il se réveilla en protégeant instinctivement son visage de ses avant-bras alors qu’il recevait une pluie de coups de balais.


« Allez, sors de là, on ferme, tu peux pas rester ici ; sors ou j’appelle la garde ! »


Traînant ses effets personnels qui raclaient sur le sol, il entama l’escalade des marches, sous le bruit sonore de son casque qui rebondissait à chaque pas. Les Kamis durent le guider, car malgré son ivresse, Konshu réussit à passer la porte est et trouver le fourrage d’une étable pour cuver son excès de boisson.

Réveillé par la langue râpeuse et l’haleine fétide d’un Mektoub en train de lui lécher le visage, le Fyros se demanda subitement s’il n’aurait pas préféré être mort… En guise de perceptions, il ne sentait qu’un vague picotement au bout de ses doigts, et sa vision était d’un flou absolu ; sa tête tambourinait comme sous la charge furieuse d’un Yelk piqué au vif, ses cheveux gras et sales s’ornaient de brins de paille qui accentuaient encore son allure sauvage.

C’est en traînant les pieds dans la poussière, que Konshu passa la porte de la cité, sous les rires et les quolibets des gardes en faction.


« La vie c’est qu’un gingo famélique et hargneux, du genre qui t’mord les mollets quand t’as une envie pressante. »


Le creux au vide de son estomac commença à se faire sentir, de même que sa langue semblait peser une tonne et être poisseuse comme un Kitin mort ; fouillant ses poches, il en exhuma ses dernier dappers pour s’acheter une miche de pain. Mâchonnant par petits bouts, comme un vieux Fyros édenté, Konshu continua son bonhomme de chemin en quête des bains publics.

Il resta un bon moment sous l’eau froide, ouvrant la bouche par moments pour laisser le liquide descendre dans sa gorge ; en fait, il resta appuyé dos au gros bloc de marbre bien frais jusqu’au début de l’après-midi… Malgré son estomac malade, il devait manger, mais il se rendait bien compte qu’il devrait d’abord trouver de l’argent.

C’est ainsi, que se guidant au bruit ; Konshu gagna le cœur de l’enfer, le haut fourneau de la forge impériale… Dans une chaleur à peine concevable, les artisans forgerons s’activaient, produisant les armes qui faisaient la puissance militaire du peuple Fyros ; après quelques tergiversations avec le contremaître, Konshu se mit torse nu et s’attela à la tâche. Dans la symphonie des marteaux cognant le métal, le bruissement des soufflets, le crépitement des flammes et le sifflement du métal chauffé à blanc puis plongé dans l’eau, l’après-midi passa comme un étrange rêve éveillé ; le ciel se teintait déjà de la couleur du feu, un ocre tout en nuances ; et malgré le peuple de Pyr qui reprenait possession de ses rues, tout semblait d’une paix parfaite, une fois sorti de la forge.

Avec ses quelques dappers, Konshu s’offrit un plat de semoule aux épices avec un bon bout de viande et un bol de lait de Caprini ; c’était plus qu’il ne lui en fallait… Le bonheur se trouvait dans cet étrange tableau fait de senteurs puissantes, de couleurs vives et de passions ; Pyr vivait comme un cœur battant, charriant ses citoyens comme le sang dans ses artères.

Konshu se fondit dans la foule, prenant la direction de la place du marché ; c’était un endroit très animé à la tombée de la nuit, mais il allait au delà, en dehors des portes, vers l’avenir.

C’est assis sous un bosquet d’arbre, au flanc d’une des collines entourant la cité, que Konshu fit la connaissance de ses deux premiers libres frontaliers ; c’étaient des gens peu semblables aux autres homins de la surface, lorsqu’ils passaient dans un endroit, c’était comme voir les flammes de sa torche se refléter sur la surface de l’ambre brut… Ils appartenaient au décor, mais quelque chose en eux chantait qu’il y avait plus caché au fond de leurs cœurs, là où la lumière des flammes et le regard ne pouvaient se rendre.

Le premier d’entre eux ressemblait aux homins orfèvres de Silan, son parler était comme la musique de l’eau ; Konshu ne comprenait pas les paroles, mais entendait l’émotion qui sous-tendait la mélodie, c’était la passion, la magie des mots contre laquelle sa mère l’avait mis en garde : des idées. La seconde était une Fyros, elle parlait peu, ses mots claquaient comme autant de coups de fouets, définitifs. Mais ces trois homins, assis sous leur arbre, avaient néanmoins quelque chose en commun qui transpirait de leurs regards, posés sur Pyr et son parterre de lumières ; ils aimaient cette terre, ils aimaient la vie.

Les autres libres frontaliers étaient à l’image de leurs chefs, hétéroclites, et pourtant liés ; à travers leurs différents langages, tant parlés que corporels, il n’y avait qu’espoir. Konshu était très gêné, se sentant maladroit sous l’attention d’autant de personnes ; mais il fut accueilli avec plus de chaleur et de simplicité que par ses propres gens à Silan. Il allait falloir redoubler d’efforts pour se montrer à la hauteur de ces gens, de ces idées ; avec ses pauvres mots, Konshu s’y engagea néanmoins. Un homin, ne devient accompli que lorsque sa nature, se marie avec sa fonction ; face à l’unité des ruches Kitin, la grande force des homins résidait en leurs différences, pour peu qu’ils les surpassent pour apercevoir alors, leur complémentarité. L’harmonie, Atys, se construisait dans l’imbrication inévitable de deux pôles ; mâle et femelle, Ma-Duk et Jena, les Kamis et la Karavan. Pendant un court instant, le blason des libres frontaliers épinglé sur sa poitrine, Konshu cessa de se sentir perdu ou inutile ; à d’autres d’exprimer ces idées par des mots, lui le ferait à sa manière, dans l’action ; et dans sa tête, il dit à ses parents.


« On va faire un truc, pour tout le monde. »


Et Konshu, commença à faire « des trucs » dès le lendemain matin… Au grand dam de certains.

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