Dans la lumière de Jena

De EncyclopAtys

Révision datée du 29 mai 2019 à 04:28 par Krinseus (discussion | contributions) (correction orthographique)

Première partie

Le sang s'écoulait de la blessure profonde d'Ameriana. Un sang vermeil, qui colorait l'Écorce d'un tatouage funeste. Mais la jeune Matis n'en avait cure. Elle ne sentait pas la douleur. L'énergie d'Atys crépitait dans ses mains. La sève affluait dans son corps tout entier, tandis qu'elle se concentrait pour canaliser des forces magiques destructrices. Pour la première fois, elle livrait bataille au nom de Jena. Et dans ses yeux dorés brillait la lumière de la Déesse.

Ameriana avait longtemps attendu ce jour. Depuis son arrivée à Yrkanis, la capitale du royaume matis, elle guettait des signes. Des signes de Jena, déesse du soleil, mère d'Atys et de tous les homins. Elle avait en vain cherché un temple où se recueillir. Les Élus de la sainte Karavan avaient tenté de dissiper ses doutes, sans vraiment y parvenir.

Car la flamme de la foi vacillait au plus profond de son cœur. Tant d'homins avaient déjà rejeté les enseignements de la Déesse ! Les barbares fyros, qui creusaient l'Écorce malgré les avertissements de la Karavan, à la recherche du Dragon qu'ils pensaient vaincre dans leur folie. Les mystérieux Zoraïs, qui se cachaient derrière leurs masques pour adorer les Kamis démoniaques. De nombreux Trykers, qui s'égaraient au nom de la liberté dans des chemins illusoires. Même parmi les Matis, peuple noble, fidèle parmi les fidèles, se répandaient à présent des discours séditieux, appelant au rejet des puissances qui les avaient guidés jusqu'ici. L'imminence d'une guerre sacrée effrayait les homins, et beaucoup préféraient nier l'évidence plutôt que d'affronter la réalité.

Pourtant, Ameriana avait refusé de tourner le dos à la Mère d'Atys. Elle avait seulement besoin d'être confortée dans sa foi.

Aussi, lorsque qu'un porte-parole de la Karavan avait annoncé la construction d'un temple à la gloire de Jena, la magicienne avait ressenti un immense soulagement. Enfin, un signe de la Déesse ! Le temps était venu pour les fidèles de se rassembler. Ameriana s'était rendue avec empressement sur le site choisi non loin d'Yrkanis pour proposer son aide. Peu importe la mission qu'elle aurait à accomplir, elle serait honorée de l'accepter. Un combattant karavanier vêtu de noir lui avait alors confiée la tâche de protéger les récolteurs. Ces derniers étaient chargés de rassembler les matières premières nécessaires aux artisans. Les précieuses ressources avaient été localisées sur de lointains îlots des terres anciennes, mais la distance n'était pas un problème grâce aux pouvoirs des Technosages. Ameriana avait donc été téléportée au coeur des Dunes d'Aelius, dans un camp établi à proximité des gisements.

L'endroit était animé d'une intense activité. Des barrières crépitant d'une énergie inconnue protégeaient les installations. De grandes colonnes de métal se dressaient telles des tours de garde, entourées d'un halo de lumière. Plusieurs vaisseaux de la Karavan flottaient au-dessus des baraquements, silhouettes rassurantes se découpant dans le soleil de fin d'après-midi. Des soldats armés de piques patrouillaient afin de prévenir toute attaque. Des groupes de fidèles s'organisaient pour former des expéditions. La jeune Matis avait été tentée de rejoindre l'un d'entre eux, mais elle avait finalement décidé d'explorer un peu l'île. Elle avait quitté le campement pour s'aventurer à l'ouest, suivant la falaise qui bordait la région.

Un vent aride avait commencé à souffler, sculptant la sciure des dunes de ses courants brûlants. Il portait avec lui des bruits de combat. Ameriana regarda au loin et aperçut des lumières. Des silhouettes couraient en tout sens. Les récolteurs et leurs protecteurs étaient sous le coup d'une attaque ennemie ! Des Fyros kamistes tentaient de piller les gisements pour le compte de leurs maîtres. Singeant la Karavan, les Kamis avaient en effet décidé de bâtir des parodies de sanctuaires en l'honneur de leur chef. Ameriana s'était alors lancée dans la bataille sans réfléchir, animée par une volonté farouche de défendre la cause de la Déesse.

La magicienne parvint au bout de son incantation malgré les coups portés par son assaillant. Le Fyros à la chevelure hirsute hurla de douleur quand des nuées acides le touchèrent de plein fouet, dévorant ses chairs avec avidité. Malgré la blessure sérieuse qu'il avait infligée à la jeune Matis, il comprit qu'il avait perdu l'avantage de la surprise. Ameriana perçut son hésitation et invoqua à nouveau les éléments. Le barbare brandit sa hache cleven et tenta d'asséner un puissant coup de taille pour briser la concentration de son ennemie, mais il était trop tard. Amplifiée par les gants enveloppant les mains de la magicienne, l'énergie des profondeurs d'Atys se déversa sur lui. Il s'écroula dans un râle et sombra dans l'inconscience. Ameriana resta aux aguets, redoutant l'intervention d'un guérisseur kamiste. Mais bientôt, le corps du Fyros disparut. Les démons l'avaient emporté dans leur demeure infernale, afin de le ressusciter pour une nouvelle vie de servitude.

La jeune Matis regarda autour d'elle. Les partisans des Kamis semblaient battre en retraite. De nombreux homins gisaient encore au creux des dunes, témoignant de la violence des combats. Ameriana inspecta brièvement sa blessure. Le sang s'était finalement arrêté de couler. La magicienne remercia Jena de sa protection, et se soigna rapidement. Une grande fierté emplissait son coeur. En terrassant son ennemi, elle s'était montrée digne de la Déesse.

Soudain, un crépitement se fit entendre. Ameriana sentit ses longs cheveux noirs se hérisser. Une odeur piquante agressa ses narines. Avant qu'elle ne puisse réagir, un éclair la foudroya de plein fouet.

Hébétée, la jeune Matis faillit tomber à terre. Un Zoraï la fixait, impassible, le masque orné de quatre cornes menaçantes. Autour de ses mains gantées virevoltaient des étincelles.

La bataille n'était pas terminée.

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Deuxième partie

Ameriana se concentra. La magicienne savait que son adversaire ne lui laisserait que peu de temps pour réagir. Face à elle, l'élémentaliste zoraï rentra en transe, s'élevant dans les airs avec la grâce d'un danseur. Il tournoya, ramassé sur lui-même, puis se détendit brusquement pour libérer un sortilège. La jeune Matis sentit une vague engourdir son corps et son esprit. Son incantation fut brisée. Invoquant les forces mystiques des lacs, le Zoraï avait tissé un lien d'étourdissement.

Ameriana était prise au piège dans la toile de son ennemi comme un papillon affolé. Elle était à sa merci ! Une terreur intense la submergea.

Le sorcier kamiste se prépara à appeler la foudre une seconde fois. Impuissante, la magicienne pouvait deviner le sourire cruel derrière le masque blafard.

Le Zoraï leva les bras. Soudain, il poussa un cri de douleur. Une forme avait bondi derrière lui et avait tracé dans son dos deux lignes sanglantes, rompant sa concentration. Il se retourna. Des dagues fyler lui entaillèrent les côtes. Le visage sardonique d'un Tryker se devinait derrière le ballet incessant de deux poignards. Le sorcier tenta d'invoquer les éléments, mais son adversaire était trop rapide. Les coups répétés, la douleur cuisante rendaient impossible toute incantation.

Le lien d'étourdissement se dissipa. Ameriana reprit ses esprits, rendant grâce à Jena. Elle canalisa les forces des profondeurs. Un projectile acide fila vers le Zoraï. Le Kamiste tenta de fuir, mais il était trop tard. Il s'écroula sous les assauts conjugués des lames et de la magie.

Le Tryker jongla habilement avec ses couteaux.

- Je me suis permis d'interrompre le cours de vos débats avec le sans visage, gente Dame. J'espère que vous me pardonnerez cette intrusion. Mais vous sembliez être à court d'arguments dans la discussion.

Il éclata de rire. Ameriana sentit le rouge lui monter au visage.

- Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle dans cette situation, répliqua-t-elle d'un ton sec. J'ai failli perdre la vie !

- Allons, la mort n'est qu'un passage, une parenthèse douloureuse dans le glorieux récit de votre destinée ! Et le giron de la Déesse est un lieu plutôt hospitalier…

La magicienne fronça les sourcils. Ce Tryker était d'une telle impudence ! Elle s'apprêta à répondre, mais le manieur de couteaux commença à s'éloigner.

- Nous poursuivrons cette discussion plus tard ! Les foreurs ont besoin de notre protection, sans quoi les chantiers n'avanceront pas. Passez donc me voir au campement après la tombée de la nuit, en tout bien tout honneur évidemment. Je tâcherai de ne pas vous étourdir comme l'a fait ce fou de Zoraï !

Sur ces dernières paroles, il disparut derrière une dune. Ameriana chercha des yeux le corps du sorcier kamiste, mais il avait déjà été rappelé par ses maîtres impies.

Un groupe de récolteurs karavaniers approchait, en quête de bois et de résine. La magicienne se dirigea vers eux pour offrir son aide. Elle jeta un coup d'oeil en arrière. Rien n'indiquait qu'un combat avait eu lieu quelques instants plus tôt, et qu'elle avait failli être tuée.

Elle ne savait même pas comment s'appelait l'homin qui lui avait sauvé la vie.

- Caugan le fylerien ? Il a planté sa tente au nord du camp, près des barrières d'énergie.

Ameriana remercia le garde et se rapprocha des yourtes. Les étoiles piquetaient le ciel nocturne comme des fils dorés sur du brocart noir. Ça n'avait pas été difficile de découvrir le nom du Tryker. Sa réputation de féroce combattant l'avait précédé. Il avait été l'un des premiers guerriers karavaniers à cautionner le projet des temples de Jena. Il était parti pour les Dunes d'Aelius et avait mis ses dagues au service de la Déesse. Ameriana pensait que sa rencontre avec le Tryker n'était pas fortuite.

Des étincelles voltigeaient telles des lucioles au-dessus des feux de camp. Des homins discutaient, se réchauffant près des flammes, buvant à grandes rasades du vin de pissenlit. Ils venaient en majorité des forêts ou des lacs, mais il y avait parmi eux quelques Fyros, adeptes de Jena, engoncés dans leurs armures kostom brûlées par le soleil du désert. Ils semblaient préparer une expédition. La nuit était tranquille, mais la magicienne savait que ce calme était trompeur.

Le rideau de la tente était relevé, laissant voir la silhouette d’un Tryker assis en tailleur devant une cage à feu. Il semblait occupé à examiner un cube d’ambre jaune.

- Puis-je entrer, Maître Caugan ?

Ameriana avait utilisé un ton déférent, qu’elle n’avait pas l’habitude d’employer quand elle s’adressait à des homins qui n’étaient pas de sève matis. Mais elle avait conscience de s’adresser à un personnage de valeur, envers qui elle se sentait redevable.

- Tiens, mais c’est notre jeune adepte des arcanes ! Je ne vous attendais plus. Approchez, n’ayez pas peur, je suis doux comme un gnoof !

La magicienne se raidit. Décidément, Caugan avait le don de l’agacer.

- Je ne suis plus une novice depuis bien des cycles. Ce Zoraï m’a attaqué par surprise, et j’aurais très bien pu…

- Je ne voulais pas vous offenser, Dame Ameriana des Sommets Verdoyants. Asseyez-vous, et partagez avec moi quelques gorgées de bière lacustre. Avec un soupçon de miel, son amertume s’en trouve adoucie.

Caugan se leva et s’inclina, invitant Ameriana à s’asseoir sur un coussin de toile. Les deux homins s’installèrent près du feu. Le guerrier attrapa un pichet et remplit deux gobelets d’un liquide aux reflets bleutés.

- Cette bière est brassée par mon ami Naroy, qui tient un bar à Avendale. C’est l’une des meilleures de tout Aeden Aqueous ! Sa couleur très particulière lui vient d’un mélange secret de baies et d’algues.

La jeune Matis trempa timidement ses lèvres dans le gobelet de bois.

- J’étais en train de lire un cube d’ambre qui m’a été remis par l’intendant de Fairhaven, continua Caugan. On y apprend des choses intéressantes sur l’origine de notre monnaie…

- Je suis venue vous remercier pour votre intervention de cet après-midi. Votre aide a été providentielle.

Ameriana regarda le Tryker droit dans les yeux. Elle s’attendait à un ricanement, mais Caugan n’était pas un homin prévisible. Il croisa ses mains devant lui, saluant à la manière des nobles matis.

- C’est la Déesse qui a voulu que nos chemins se rencontrent, gente Dame. Je suis à son service, tout comme au vôtre.

Ce fut Ameriana qui sourit. Elle observa plus attentivement son hôte. Des mèches de cheveux pourpres retombaient sur son front, lui donnant un air batailleur. Ses yeux verts étaient petits pour un Tryker. Ses joues pleines étaient ornées d’un tatouage vert et rouge, imitant un sentier sinueux. Quelques minutes passèrent, ponctuées par le crépitement du foyer. Caugan en attisa les braises puis reprit la parole.

- Nous n’avons pas terminé notre précédente conversation. Permettez-moi de vous poser une question indiscrète, Dame Ameriana. Avez-vous déjà senti sur vous le souffle de la mort ?

La magicienne baissa les yeux.

- Jena n’a pas jugé bon de me rappeler à elle.

Ameriana releva la tête pour affronter le regard du guerrier.

- … et en cela je la remercie. Car parfois j’ai peur de ne pas être à la hauteur, et de ne pas revenir des ténèbres où la mort m’enverra. Caugan fit tourner son gobelet dans ses mains, l’air pensif.

- Il est naturel d’avoir peur de l’inconnu. Mais vous n’avez rien à craindre. La force de votre foi vous ramènera sur Atys. Un temps nous est imparti par la Déesse, et le vôtre n’est pas arrivé à son terme. J’en suis convaincu.

- J’aimerais avoir votre certitude, répondit Ameriana d’une voix triste. J’ai vaincu un Fyros aujourd’hui. Un Kamiste, un adepte des démons. En le combattant, j’ai ressenti une immense exaltation, comme si je baignais dans la lumière de Jena. Mais cette lumière a disparu. J’appréhende ce que nous réserve l’avenir…

Le Tryker vida son gobelet d’un trait. Son visage était illuminé par les flammes, et ses yeux brillaient comme des soleils.

- Seules les Puissances connaissent notre futur. Quant au passé, il repose avec les morts. Notre domaine est le présent. Il n’appartient qu’à nous, ne l’oubliez jamais.

Caugan sourit, et jeta son gobelet dans la cage à feu. Il invita Ameriana à faire de même.

- Ainsi disparaissent les doutes et les ténèbres. Dans les mâchoires d’un fauve dompté par les homins !

La magicienne éclata de rire. Elle imita le Tryker, faisant jaillir du foyer une gerbe d’étincelles. Dehors, les étoiles semblèrent luire avec une nouvelle intensité. Elles saluaient l’amitié qui venait de naître.

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Troisième Partie

Durant les mois qui suivirent leur rencontre, Caugan et Ameriana ne se quittèrent plus. Lorsque la Sainte Karavan mit un terme à la prospection dans les Dunes d'Aelius, ils explorèrent ensemble le Lac d'Olkern. Les récolteurs karavaniers exploitaient les gisements à la recherche de fibres, de résine et d'écorce. Ces matériaux étaient nécessaires à la construction des murs des temples édifiés à la gloire de Jena.

Les affrontements avec les Kamistes se faisaient plus violents au fur et à mesure de la progression des chantiers. Plusieurs batailles avaient eu lieu, et la sève des homins avait coulé en abondance. Le temps de la paix était révolu.

Les deux amis menèrent bien des combats, poussés par une foi qui se renforçait chaque jour. La Mort semblait se désintéresser d'eux, préférant tourner son regard vide vers des proies plus faciles.

Finalement, les Technosages annoncèrent que le lac d'Olkern avait fourni aux chantiers toutes les ressources nécessaires. La dernière étape de la prospection dans les Terres anciennes fut lancée : les Karavaniers furent transportés dans le Bois d'Almati, une forêt sauvage cachant dans ses profondeurs des gisements exceptionnels.

Ce fut au cœur de cette contrée que les yeux de la Mort s'arrêtèrent sur Caugan et Ameriana.

Les premières brumes de l'aube coloraient les arbres d'un voile nacré. La petite troupe d'homins fit halte dans une clairière. Le plus âgé des foreurs interpella le Tryker qui menait la marche.

- Sommes-nous encore loin du gisement, Maître Caugan ?

- Nous allons bientôt arriver. Lorsque nous serons sur place, il faudra vous hâter. Il semblerait qu'un important groupe de Kamistes ait été téléporté sur l'îlot hier soir. Nul doute qu'ils chercheront à s'approprier les sources d'ambre stellaire.

- Nous ferons de notre mieux.

Alors que le groupe s'apprêtait à repartir, une fine silhouette apparut entre les arbres.

- Ameriana ! As-tu des nouvelles ? demanda Caugan à la magicienne tout en lui offrant une gourde d'eau fraîche.

- Oui, la Déesse est avec nous ! répondit la jeune Matis en se désaltérant. Nos ennemis commencent tout juste à faire leurs préparatifs. Nous avons plusieurs heures d'avance sur eux.

- Louée soit Jena ! Mettons-nous en route sans tarder.

Les Karavaniers s'éloignèrent vers l'est. Quelques moments plus tard, une grande ombre cliquetante pénétra dans la clairière. Elle s'immobilisa un court instant, comme à l'écoute des secrets de la forêt. Puis elle quitta les lieux précipitamment, traçant dans sa hâte de profonds sillons dans l'humus.

Les sources brillaient comme des perles végétales éparpillées sur le sol. Révélées par la poudre de forage, elles semblaient palpiter au rythme d'Atys. Les récolteurs en extrayaient l'ambre stellaire, qui allait servir à fabriquer la pièce maîtresse du temple de Jena.

Pendant que les prospecteurs étaient au travail, une poignée de guerriers surveillaient les environs, guettant toute intrusion des Kamistes.

Caugan était assis sur une souche, le regard allant d'un arbre à l'autre. Il semblait nerveux.

- Tu n'as pas dit un mot depuis près d'une heure. Quelque chose ne va pas ? s'inquiéta Ameriana.

- J'ai un mauvais pressentiment. J'ai l'impression qu'une armée entière va surgir des bois pour nous écraser.

- Les adeptes des démons ne sont pas si nombreux. Avant qu'ils n'arrivent, nous serons déjà repartis avec des sacs remplis d'ambre. Et nous…

- Chut ! Écoute !

La magicienne tendit l'oreille. Pas un bruit. Le chant des oiseaux s'était tu. Toute la forêt semblait retenir son souffle.

Caugan se leva, attentif. Il fronça les sourcils. - On dirait…

Un hurlement l'interrompit. De grandes silhouettes vertes apparurent parmi les fougères et se jetèrent sur les homins. Comme si les arbres avaient levé leurs racines pour châtier ceux qui osaient troubler leur repos.

Le Tryker bondit, dégainant ses deux couteaux.

- Kitins ! Kitins !

Les grands kirostas balayaient les foreurs comme des fétus de paille. Les dards acérés perçaient les armures légères et injectaient un poison qui brûlait les veines. Protégés par leurs épaisses carapaces, les soldats kitins tailladaient les membres, claquant leurs mandibules en cadence pour rythmer leur danse macabre.

Passé le premier moment de stupéfaction, les combattants karavaniers réagirent. Menés par Caugan, ils s'interposèrent entre les monstres et les prospecteurs. Les guérisseurs entamèrent leurs incantations.

Les guerriers cherchaient les points faibles dans la cuirasse des kirostas. Caugan frappait sans relâche, les pointes de ses dagues s'insinuant dans la moindre jointure.

Ameriana libéra l'énergie des profondeurs sur les créatures. Mais les kitins résistaient à ses sortilèges acides. Elle utilisa alors la magie de son peuple, invoquant des flux empoisonnés. Un kirosta finit par s'écrouler, recroquevillé dans un dernier spasme comme une gigantesque main aux doigts crochus. Un autre monstre prit sa place.

Une vague de terreur serra le coeur des homins. Allaient-ils tous mourir en cet endroit ?

- Ameriana ! Emmène les récolteurs loin d'ici ! s'écria Caugan, dégageant ses poignards du corps d'un soldat kitin. Nous ne pouvons pas gagner ce combat ! Mon groupe va tenter de les retenir le plus longtemps possible.

- Hors de question, je ne t'abandonnerai pas !

- Il n'est plus temps de discuter ! L'ambre stellaire doit parvenir au campement de la Karavan. C'est notre mission !

La jeune Matis serra les dents. Son ami avait raison. Jena lui avait confié une tâche, elle devait tout faire pour la remplir. Caugan s'approcha d'elle et prit sa main entre les siennes.

- Souviens-toi, la mort n'est qu'un passage ! Si je ne reviens pas, nous nous reverrons dans la lumière de Jena !

Ameriana n'eut pas le temps de répondre. Déjà, le Tryker regroupait les derniers combattants.

- Montrons à ces créatures comment meurent des Karavaniers ! Pour la Déesse !

Il se jeta dans la mêlée, attirant l'attention des kirostas. Ses poignards décrivaient des arcs mortels. Il semblait invincible.

La magicienne rassembla hâtivement les foreurs. Les homins s'élancèrent à sa suite, chargés des précieuses ressources, courant à perdre haleine pour échapper aux monstres implacables. Ils prirent la direction de l'ouest.

Des larmes coulaient le long des joues d'Ameriana. Dans son cœur se mêlaient rage et désespoir.

Lorsque le dernier guerrier tomba, les soldats cliquetants hurlèrent leur triomphe. Puis ils se fondirent parmi les arbres.

Bientôt, les oiseaux chantèrent à nouveau.

Les eaux de la baie d'Avendale miroitaient sous les feux du soleil couchant. Ameriana descendit de son mektoub et l'emmena aux écuries du village. Puis elle marcha vers les pontons. La brise du crépuscule faisait osciller les bannières écarlates. Les habitants des lacs rentraient chez eux après leur journée de travail. Quelques voyageurs en route pour les Lagons de Loria chargeaient leurs bêtes de bât. Tout était paisible ici, loin des tumultes de la capitale tryker. Ameriana demanda la direction du bar de Naroy Ba'Dardan.

Cela faisait plusieurs jours que la magicienne avait perdu espoir de revoir Caugan en vie. Après avoir mené les prospecteurs sains et saufs au campement du bois d'Almati, Ameriana avait vainement attendu le retour de son ami. Elle était repartie vers les gisements d'ambre à la tête d'un groupe de Karavaniers, et avait trouvé l'un des poignards du Tryker fiché dans le cadavre d'un kitin. En l'absence de corps, la jeune Matis avait espéré que Caugan ait été béni par la Déesse et ramené sur Atys grâce au miracle de la résurrection. Elle s'était rendue à Yrkanis et à Fairhaven, sans succès. Nul ne semblait avoir vu le guerrier aux couteaux.

Envahie par le chagrin, Ameriana s'était rappelée de cette nuit où son amitié avec Caugan était née, où le Tryker avait partagé avec elle une boisson de son pays. Elle avait alors pris le chemin d'Avendale, au nord-est d'Aeden Aqueous. Elle voulait goûter une nouvelle fois à cette bière lacustre, à l'amertume adoucie par le miel. Elle voulait se souvenir.

Ameriana s'approcha du comptoir puis héla le barman. Naroy Ba'Dardan servit deux pêcheurs disputant une partie de dés avant de venir vers elle. Sa coiffure hérissée de touffes blondes surmontait un visage franc et sympathique.

- Bonsoir, dit poliment la jeune Matis. Je voudrais boire à la mémoire d'un ami disparu. Pouvez-vous m'apporter un verre de votre bière maison ?

- Avec plaisir. Soyez la bienvenue dans mon humble établissement, Ameriana.

La magicienne écarquilla les yeux de surprise.

- Comment connaissez-vous mon nom ? Je ne suis jamais venue ici auparavant.

- Le guerrier installé à la table du fond m'a dit que vous viendriez par ici, répondit le barman en remplissant un pichet sculpté dans un coquillage. Il n'est pas bon de boire seule par une nuit aussi splendide. Voyez comme les étoiles brillent ce soir. La bière lacustre se déguste entre vieux amis.

Naroy indiqua de la tête une silhouette assise au fond de la salle. Un Tryker aux cheveux pourpres contemplait les eaux de la baie, jonglant avec un couteau.

Apercevant Ameriana, il se leva, puis s'inclina en croisant les mains.

- Je vous attendais, gente Dame. Me ferez-vous l'honneur de partager ma table ? Ensemble, nous pourrons parler du destin des homins. Qui sait, peut-être ferons-nous disparaître les doutes et les ténèbres !

Tandis qu'Ameriana courait vers lui, Caugan sourit comme un enfant

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