Arpenter la Voie, deuxième partie : traverser les Primes Racines (1/2) [ première partie ]

La jeune zoraï Melile a vécu une expérience surprenante dans les Sources Mystiques des Cités de l'Intuition. A la suite, elle décidait d'explorer les lointaines contrées d'Atys afin de perfectionner une éducation très incomplète tant sur la géographie que sur les autres homins de la planète, leur histoire et leurs coutumes. Elle abhorre le fanatisme aveugle, l'ignorance qui mène au renfermement sur soi, à l'obscurantisme, à la fin de la civilisation. Pour elle cette démarche participe de la progression sur la Voie : tout à la fois discipline de vie, état d'esprit, manière d'appréhender le monde et but spirituel.

Melile partit de Min-Cho. Son voyage qui devait l'emmener en premier lieu à FairHaven, la cité lacustre des Trykers, a véritablement débuté quand elle pénétra pour la première fois dans les Primes Racines par le portail de l'Arc Caché du Bosquet de l'Ombre. D'après ce qu'elle avait glané d'information sur l'endroit, le chemin sous la surface menant des Terres Malades à Aeden Aqueous semblait assez court, en distance du moins. Bien que connaissant la sinistre réputation des Racines pour les voyageurs sans expérience (ce qu'elle était), elle pensait pouvoir traverser la zone rapidement sans trop de difficulté. La naïve! Après le vortex commençait une longue galerie débouchant au cœur d'une gigantesque grotte. Elle fut surprise et déroutée par l'aspect de ce vaste espace sous la surface.

La végétation tout d'abord : point d'arbre majestueux, d'herbe folle et de verdure éclatante comme dans la jungle, mais des plantes pâles, translucides, irradiant la seule lumière naturelle faible et évanescente. La voûte était si haute que le regard se perd dans les ténèbres que venait parfois percer un infime rayon de soleil ayant réussi à se faufiler sous l'écorce. Plus que la fraîcheur ambiante, c'était l'absence de la caresse du vent et de la douce chaleur solaire qui faisaient trembler Melile. Tous ses repères étaient bousculés ; le temps qu'elle connaissait n'avait pas de prise, lui échappait. Très vite elle se sentit perdue, désorientée, effrayée. Les sons différaient de ceux qu'elle avait appris à reconnaître dans la jungle : le sol spongieux par endroit émettait un désagréable bruit de succion ; la plainte sourde et grave de l'écorce qui travaille répondait aux hurlements stridents de quelque animal affamé. Il flottait dans l'air humide des relents de moisissure.

Elle se reprit, transformant cette peur qui noue les tripes en alliée qui aiguise les sens et maintient alerte. Si, malgré l'omniprésente menace kitin, l'homin est un conquérant de la surface d'Atys, la prudence et la circonspection sont ici de mise. C'est un théâtre hostile où se tapissent d'innombrables dangers que l'obscurité dissimule à vos yeux jusqu'au dernier moment, domaine du plus rusé prédateur - jusqu'à ce qu'il soit battu par meilleur que lui. Un lieu si peu marqué de l'hominité qu'on passe vite de chasseur habile à proie facile : sous l'écorce personne ne vous entendra crier.

L'entrée est gardée par deux formes sombres plus grandes que deux zoraïs : des kinchers, les soldats kitins. On dit qu'ils se déplacent et frappent si rapidement qu'un bataillon d'homins aguerris peut être décimé par quelques-uns de ces monstres avant de pouvoir réagir. Melile se sentait si petite, si faible à côté de ces géants... Comment passer ? Les kitins semblaient coordonnés, patrouillant inlassablement les lieux, prêts à défendre ce qu'ils considéraient comme leur territoire telles les sentinelles vigilantes d'une contrée en guerre. L'un d'eux se dressa brusquement sur ses pattes, immobile, aux aguets. L'autre l'imita juste après ; ils se tournèrent vers les ténèbres, attentifs à un signal qu'eux seuls pouvaient percevoir. Cachée derrière un pan d'écorce Melile faillit défaillir. Avait-elle été repérée ? Non, les kinchers s'éloignèrent d'elle, disparaissant à sa vue. Elle en profita pour se glisser à l'intérieur, soulagée, remerciant les Kamis.

Melile progressait prudemment de couvert en couvert, pistant d'éventuelles traces récentes, humant l'air. Elle s'était roulée dans les herbes et la boue afin de masquer au mieux son odeur. Les techniques de chasse apprises dans la jungle lui étaient d'un grand secours malgré tout. Elle dépassa les ruines d'un ancien camp homin datant sans doute d'avant le Grand Essaim. Un jour peut-être, si les Kamis le veulent, des homins bâtisseurs viendront reconstruire le camp et le défendre, établir un comptoir et une halte sûre pour tous ceux qui voudront voyager d'un pays à l'autre. Mais ce jour-là n'est pas encore arrivé et le camp est toujours occupé par la végétation qui recouvre tout, effaçant peu à peu la seule empreinte laissée par les homins.

Melile avançait depuis plusieurs déjà, lentement mais régulièrement, et pensait avoir franchi une grande partie de la distance la séparant du vortex de sortie quand elle s'arrêta net au détour d'un passage étroit. Sans un bruit elle se laissa choir sur le sol. Elle distinguait devant elle la silhouette massive et puissante, reconnaissable entre mille d'un des plus féroces félins d'Atys, le varynx ce tueur implacable. Son pelage était sombre, très sombre, et Melile ne l'aurait pas remarqué s'il n'était pas en train de s'affairer sur une carcasse encore fraîche. Il était en plein milieu du passage impossible à éviter si on voulait passer. Melile n'avait pas remarqué d'autre alternative et elle voulait quitter cet endroit au plus vite. En effet elle avait déjà consommé le peu de provisions séchées et la moitié de son eau qu'elle avait emportée de sorte que tout délai supplémentaire rendait son expédition plus périlleuse encore.

Le varynx dont les yeux brillaient d'une lumière maligne paraissait toujours occupé alors que Melile faisait travailler sa tête à toute allure. Soudain d'un seul mouvement inouï il bondit.

(à suivre)


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