Le Gingo
Estrak observait avec attention les traces laissées dans la sciure. Cela faisait déjà un moment qu'il avait repéré les traces du gingo, et qu'il le pistait à bonne distance. Il savait que le carnivore le mènerait directement au troupeau d'herbivores, la chasse du jour. Mais avant tout, il faudrait se débarrasser de l'animal une fois qu'ils seraient arrivés à proximité du troupeau.
" Reste derrière moi, Xan, garde une bonne distance d'au moins cinquante mètres. Tu pourras toujours me voir, et s'il m'arrivait un souci, alerter les autres chasseurs. N'oublie jamais ça, Xan : il y a des cas où la fuite n'est pas l'arme des lâches, elle est celle des sages "
Le jeune garçon acquiesça gravement, un bâton de bois pour seule arme dans la main. Estrak n'était pas près de lui offrir une lame, Xaneos était bien trop jeune encore. Mais il se débrouillait déjà bien avec le bâton, une arme d'apparence anodine mais capable d'assommer une proie en quelques coups bien assenés. Bien sûr, Xaneos n'avait pas encore beaucoup de force, mais Estrak lui avait enseigné quelques techniques de combat, et si les gestes de l'enfant étaient encore maladroits, il avait une certaine facilité à absorber les enseignements de son père. Comme tout futur chasseur, Xaneos savait déjà se faufiler entre les créatures du désert afin d'en éviter les plus dangereuses. Il n'était pas rare que sa mère l'envoie chercher des herbes, et l'enfant avait déjà plusieurs serpents à son carnet de chasse, dont il conservait les peaux avec une certaine fierté.
Estrak lui aussi était fier du garçon, qu'il percevait comme plus mûr et plus précoce que les autres garçons de son âge. Mais il se disait aussi qu'il n'était peut-être pas très objectif, et que Xaneos devrait peut-être, dans le futur, prouver deux fois plus sa valeur que les autres. Il veillerait à ce qu'il soit prêt.
Le gingo courait toujours une vingtaine de mètres devant le chasseur, qui dégaina très lentement et silencieusement les deux dagues de leur fourreau. Il était prêt à affronter le prédateur, il n'attendait que le moment où celui-ci se retournerait vers lui. Il ne s'inquiétait pas vraiment ; le gingo ne représentait pas un grand danger, du moment qu'il restait isolé de sa meute. L'avertissement à Xaneos était surtout un enseignement de plus, acquis sur le terrain. Et il préférait voir l'enfant à bonne distance, afin d'éviter de ne l'avoir pas inadvertance dans les jambes. Mais savait au fond de lui que Xaneos ne bougerait pas, concentré qu'il était à suivre le combat qui allait avoir lieu. Un combat au corps à corps, dent contre lame, où le plus rapide serait le vainqueur. Un combat dans lequel Estrak était passé maître.
Le gingo fit soudainement volte-face, prenant conscience de la présence du chasseur, et lui tomba dessus avec une vitesse foudroyante. Mais l'homin était prêt, d'une dague il trancha l'aorte de l'animal, de la seconde transperça son cœur. Le geste était net et précis, presque chirgurgical, et Estrak savait qu'un seul de ses coups aurait été fatal au carnivore. Mais il ne prenait pas de risque, il visait toujours deux points critiques, dans l'hypothèse où l'une de ses lames ne toucherait pas sa cible. Cela n'arrivait quasiment jamais…
Au loin, le garçon ne vit pas grand-chose. Une tache noire dotée de quatre pattes sautant sur un homin, un mouvement presque suspendu dans le temps où l'animal semblait terrasser l'homin, puis le prédateur à terre. Cela avait été trop vite, c'était trop loin. Lorsqu'il vit l'homin se relever, rassuré, il ne pu s'empêcher de courir dans sa direction. Il était à peine à deux mètres de lui lorsqu'Estrak, visiblement furieux, gronda :
" Fiche-moi le camp, morveux, je t'ai dit de rester à bonne distance. Les gingos ne sont jamais seuls, il y en a au moins un ou deux autres qui traînent. Je n'ai pas besoin de t'avoir dans mes pattes. Je pensais te l'avoir déjà dit, pourtant. "
L'enfant le fixa un long instant avant de faire un brusque demi-tour et de retourner à sa position initiale. Estrak avait eu le temps de voir les larmes monter dans les yeux de Xaneos. Il n'aimait pas être dur avec lui, mais il savait qu'il devait l'être. Il valait mieux qu'il s'habitue, la vie d'un Fyros dans le désert n'était pas facile.