Le mur de Lenardi
Les soubresauts achevèrent de retourner le Matis. Tombé à genoux, le visage enfoui contre l'humus fraîchement retourné, peu de ses compagnons lui portèrent un regard, absorbés par leur travail. Ceux qui tentèrent de le secourir, étaient les nouveaux, les pupilles encore intactes... C'était un peu le rite de passage sur le chantier, une sorte de face à face...Pupilles contre pupilles...
Yasson se pencha sur le mur en carton, maquette du plus ambitieux projet Matis depuis la Grande Ziggourat:
— Humm ... Ser Lenardi ? Que fait ce yubo perché sur le mur ?
— Oh ! Ce yubo est là pour représenter l'échelle, na Karan...
— Je vois...Vous auriez pu utiliser un Matis non ?
— Oui mais je voulais...humm...comment dire...refléter la grandeur du Royaume, na Karan, un Matis n'aurait pas fait l'affaire...
Le Roi leva les yeux vers Bravichi, ce dernier fit preuve d'un sang-froid à toute épreuve et Yasson, regardant à nouveau la maquette en souriant ,dit : — Lenardi, c'est magnifique, mon fils apprécierait le souci du détail, et il n'est pas le seul assurément... Bien continuez..., quand les jeunes pousses apprécient, les alinae annoncent le quatrain*... — oui Sire...
C'était un matin d'automne plutôt commun, au pas de l'hiver. Le chantier encore endormi, émergeait à peine de la chape de brume qui le recouvrait, voile protecteur éphémère troué ici et là par d'autres volutes délicates , végétales aiguilles bombant le torse de la science , brisant l'ultime protestation de la nature domptée par le génie Matis.
Bravichi Lenardi contemplait son oeuvre naissante, souverain architecte, assis sur le trône de l'œuvre d'une vie. Il avait travaillé seul durant presque deux années de Jena, arpentant les régions inconnues du nouveau Royaume, tour à tour cartographe, botaniste, creuset de découvertes inestimables et pionnier de la connaissance Matis sur ces territoires vierges.