La forêt Matis est belle au printemps et aujourd’hui est un jour qui s’annonce particulièrement beau. La petite Tryker s’est réveillée très tôt, tout le monde dans la maison Aquilon dort encore. Elle se glisse sans bruit hors de son lit. Elle parcourt les couloirs et va gratter à la porte de la chambre de son amie Elenaa. Un peu ensommeillée Elenaa ouvre, elle n’a pas l’air contente mais en découvrant Shinyu, elle sourit. Ses longs cheveux sont dénoués et Shinyu la trouve belle ainsi. Elle entre et chuchote :
−Viens, il fait beau, allons nous promener
−Mais que vont dire les parents?
−Ils n’en sauront rien!
Shinyu sourit, elle sait qu’Elenaa ne sait pas résister à son sourire.
−Viens habilles toi vite
Cette fois Elenaa ne se fait pas prier. En un clin d’œil, elle est prête. Les deux petites filles se glissent à travers la demeure endormie. Repassant devant la chambre de ses parents, Shinyu s’y glisse pendant qu’Elenaa fait le guet Elle ressort quelques instants plus tard, tenant fièrement une dague que son père a fabriquée. Dans sa main de petite tryker, cela fait comme une petite épée, elle a d’ailleurs pris un fourreau qu’elle attache à son côté après y avoir rangé la dague.
Il est très tôt, la lumière du jour, n’a pas encore percé. Une petite porte ouvre sur le jardin, elle n’est jamais gardée, les deux hominettes, se glissent dehors. La fraîcheur les surprend, mais le jardin dans l’aube naissante les émerveille.
−Attends!
dit Shinyu, elle enlève ses chaussures, et sans bruit, elle se glisse sous la fenêtre des cuisines, en s’aidant d’un arbre, elle escalade prestement et disparaît dans le vasistas ouvert. Elenaa, sourit en pensant que ce n’est pas la première fois que son amie s’y glisse. Shinyu revient par le même chemin sans faire plus de bruit. Ses yeux violets rient en montrant du pain, des fruits, des laitages, qu’elle glisse dans son petit sac. Elles traversent le jardin désert, elles se dirigent vers un gros buisson, à cet endroit le mur d’enceinte est abîmé, quelques pierres sont descellées et permettent de l’escalader sans peine. Pas question de passer par la porte qui est gardée…
Le mur est assez haut, mais les petites filles sont intrépides, elles sautent et roulent dans l’herbe douce en contrebas. Elles s’éloignent en courrant. C’est toujours en courant qu’elles traversent Avalae endormie. L’aube est maintenant bien installée, se tenant par la main, elles s’enfoncent dans la forêt alentour. Les bodocs paissent paisiblement. Elles grimpent sur une petite colline, s’asseyent et contemplent le lever du jour. En guise de petit-déjeuner, elles prennent quelques fruits.
La matinée passe comme un éclair, leur capacité d’émerveillement est infinie. Elles cueillent des fleurs, s’en servent pour se faire des couronnes et des colliers. L’astre du jour est maintenant haut dans le ciel, et la faim se fait sentir. Comme si elle n’attendait qu’elles, une grosse souche au milieu d’une clairière est une table idéale. Shinyu sort tout ce qu’elle a chapardé. Elenaa a été chercher des grosses feuilles pour servir d’assiettes. Shinyu n’a pas oublié une gourde d’eau. Le festin va être parfait. Elle sort la dague pour couper le pain, fière du travail de son père, elle la fait admirer à Elenaa.C’est un très bel objet solidement conçu dans des matériaux nobles et soigneusement ouvragée. La poignée est un petit chef d’œuvre, des branches sculptées s’y entrecroisent, sur la lame la signature de son auteur, une petite conque stylisée, rappelant que le père de Shinyu est originaire des lacs.
Jamais nourriture ne leur a paru aussi bonne, pendant qu’Elenaa s’affaire à ranger les restes de leur festin, Shinyu s’éclipse discrètement et se cache. Sentant le coup venir, Elenaa se retourne... plus de traces de son amie. Elle appelle et le silence lui répond. Saisissant un morceau d’écorce Shinyu le lance au loin. Entendant le bruit Elenaa s’écrie :
−Maudite tryker, je te tiens!
.
Elle s’élance dans la direction, et entame ses recherches/
− Je vais te trouver
.
Shinyu rampe pour venir dans le dos de son amie, qui fouille un buisson avec un bâton. En poussant un cri sauvage, elle lui saute sur le dos. Les deux petites roulent dans l’herbe en riant. Bien qu’ayant le même âge Elenaa a une tête de plus que son amie, et bien que la tryker soit robuste, elle a rapidement le dessous. Shinyu est immobilisée sur le dos, et Elenaa la maintient fermement au sol, assise à califourchon sur elle et lui tenant les mains.
−Shinyu je fais te faire manger de l’herbe
−Pitié Elenaa
dit elle en riant;
−de l’herbe comme le petit bodoc stupide que tu es
.
Shinyu arrête de se débattre, elle sourit à son amie et ses yeux violets sont comme deux petites billes. Elenaa relâche un peu son étreinte. D’un sursaut Shinyu se dégage, et se mets à courir, Elenaa la poursuivant. Le jeu se poursuit longtemps, jusqu’à ce qu’épuisée, les deux petites filles finissent par échouer aux pieds de la souche côte à côte. La mousse est douce, la chaleur du printemps les réchauffe. Elles s’endorment dans les bras l’une de l’autre.
La fraîcheur les réveille, la pénombre a envahi la clairière. Shinyu frissonne :
−Elenaa, il faut qu’on rentre
−Shinyu, tu connais le chemin du retour ?
−Bien sûr, qu’est ce que tu crois?
.
Mais Shinyu n’en est pas si sure, elle ne veut pas inquiéter son amie. Se tenant par la main, elles s’enfoncent dans la forêt, dans ce que Shinyu croit être la direction d’Avalae. Mais en réalité c’est vers le sud qu’elles se dirigent… Dans la pénombre naissante, la forêt présente un tout autre aspect. Les ombres dessinent d’inquiétants motifs, des bruits inconnus les entourent. Elles sont courageuses mais ce ne sont que de petites homines. Pour se rassurer, Shinyu a sorti sa dague et Elenaa ses gants de magie. Elles arrivent enfin dans un endroit dégagé, dans la nuit qui se lève, elle aperçoivent les bornes de la route en contrebas. Elles se mettent à courir, mais dans le noir, un gingo a aperçu les deux proies. Il s’élance...
−Shinyu! là!
Les deux petites filles ont la peur au ventre, mais courageusement elles font face au danger. Shinyu tente de maintenir à distance le gingo avec sa dague, mais elle ne fait pas poids. Sur la route un marchand passe, il entend le bruit et accourt, d’un coup de sa massue, il étourdit le gingo :
−Eh bien on dirait que j’arrive à temps, mais qu’est-ce que vous faites là ?
−Nous nous sommes perdues, nous venons d’Avalae
−Vous avez fait un sacré chemin, allez petites venez avec moi, je vais vous ramener chez vos parents.
Il installe les deux petites sur un de ses mektoubs. Déjà elles se demandent ce que leurs parents vont dire, elles réalisent combien ils doivent être inquiets et redoutent la colère de leurs péres. Mais la fatigue et le doux balancement des mektoubs aidant, elles ne tardent pas à s’endormir…