Histoire d’un jeune Fyros

De EncyclopAtys

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Page officielle de la Lore de Ryzom
Dernière édition: Zorroargh, 20.05.2018

de:Die Geschichte eines jungen Fyros
en:Story of a Young Fyros
fr:Histoire d’un jeune Fyros

Première partie

La nuit venait de tomber. Les derniers rayons du soleil avaient quitté l’horizon, emportant avec eux une chaleur réconfortante. Emmitouflé dans une couverture, Aetis maudissait son intrépidité. Jamais il n’aurait dû se fier aux dires du vieux fou. Un monde nouveau était en train de se construire plus à l’ouest ? C’était du n’importe quoi. Seul le désert s’affichait partout. Aucune trace de civilisation, aussi minime soit-elle.

Cela faisait près de cinq mois qu’il avait quitté son clan. Cinq jours à errer dans le no man’s land à la recherche de la route de l’exode vers les nouvelles cités que leur avait indiquée un vieux voyageur qui s’était arrêté dans leur attroupement pour une halte salvatrice.
- Mes amis Fyros, le monde est en train de guérir. Les kitins ont été dominés. Notre peuple est en train de reprendre sa place sur Atys, leur avait-t-il annoncé une fois repu.

Des sourires condescendants s’étaient affichés sur les visages des quinze membres du clan. Personne ne pouvait croire à une telle histoire. Tout le monde savait que le monde n’était désormais peuplé que de nomades et de petites tribus qui vivaient de cueillette et de chasse. Aucune cité n’avait résisté à l’invasion des monstres sortis des sous-sols de la planète. Pourtant personne ne remit les paroles du vieil homme en question. Il était très courant que passé un certain âge, les hommes perdent de leurs facultés. Mais de toutes façons, si personne ne croyait en ces histoires, tout le monde aimait se les entendre dire, redevenant un instant un enfant rêvant de mondes merveilleux.

Néanmoins, Aetis avait pris les paroles du vieil homme au pied de la lettre et quand les hommes et les femmes de son clan s’en étaient allés se coucher, il avait rejoint le visiteur pour lui poser tout un tas de questions, dont les réponses l’émerveillèrent au plus haut point. Il venait de trouver enfin une solution à son désir de fuir une destinée fade et sans saveur. Il allait devenir un héros. Il allait montrer à tous de quoi il était capable. Il allait prouver aux siens que le monde était en train d’éclore à nouveau.

A l’aube ses parents tentèrent de l’en dissuader, mais têtu comme un madakam, rien ne put lui faire changer d’avis. Alors à contrecœur, mais sachant pertinemment qu’il reviendrait vite, on décida de lui préparer une besace pleine de racines de takoda en guise de fortifiant, ainsi qu’une couverture pour affronter les nuits glaciales.
Les rires et les quolibets des autres adolescents l’accompagnèrent quand il quitta le campement. Seul le vieux Fyros lui envoya un geste de sympathie.
- Je vais être la risée de tous, si je rentre dès maintenant ! se dit-il en serrant les poings.
Un vent violent s’était levé dans la nuit, et des grains de sable venaient lui griffer son visage à moitié caché sous sa couverture.

Il ne lui restait guère de provisions, et il savait qu’il devait désormais choisir entre rentrer ou continuer en sachant qu’il n’aurait dès lors pas assez de quoi se restaurer pour faire chemin arrière. A moins qu’il n’arrive à tuer encore un de ses fichus yubos avec le couteau que lui avait offert son père. Il finit tout de même par s’endormir et au petit matin, il eut l’agréable surprise de voir que le vent s’était levé, et qu’un magnifique soleil brillait au-dessus de sa tête.

Il sortit de sa couverture et s’étira de tout son long. Soudain il aperçut un yubo. Il se figea sur place et pria pour que la chance reste de son côté. Il baissa la tête et aperçu un gros bloc d’ambre à moins d’un mètre de là. Il se courba en avant, attrapa l’ambre en faisant très attention à ne pas se faire remarquer par l’animal qui grignotait la fleur d’un résineux. Une fois le bloc bien en main, il arma son bras et d’un geste violent l’envoya sur le yubo.

Dans un grand bruit d’éclats, l’ambre explosa en mille morceaux à mi-vol.
Aetis ouvrit la bouche en grand, mais nul mot n’en sortit. Le yubo fuit à toute vitesse sans demander son reste.
Suis-je en train de devenir fou ? se demanda-t-il en constatant l’impossible.

Un frisson lui traversa l’échine. C’était le début de la fin. Le soleil avait dû lui monter à la tête. Un petit rire retentit derrière lui. Il se retourna et ne vit personne. La peur, mêlée d’un sentiment de gêne, s’empara de lui. Je suis fou ! se redit-il terrifié à l’idée de mourir ainsi.

Le rire se fit entendre à nouveau. Et d’un brusque mouvement de tête, Aetis sembla percevoir une forme étrange qui disparut aussitôt.
- Qui êtes-vous ?! hurla-t-il.
Je ne dois pas perdre mon sang froid, se força-t-il à penser. Il doit y avoir une explication.
- Montrez-vous ! explosa-t-il.

Au moins une chose était certaine, il lui restait assez de force pour se battre. Il sentait son cœur cogner dans sa poitrine comme les tambours de son oncle Denarius.
Alors apparut, sortit du néant, un être d’à peine un mètre de hauteur qui flottait dans les airs au niveau de son visage.
- Enchanté, jeune Fyros, quel est ton nom ?
- Aetis, répondit-il sans comprendre ce qui se passait.
Ca y est je suis devenu fou ! A moins que ? Mais cela n’était pas pensable. Personne dans son clan n’en avait jamais vu. Croire en une reconstruction du monde, oui, mais pas en ces personnages légendaires ?!

- N’aie pas peur, je suis un ami de ton peuple, fit l’être avant de lui sourire.
Aucune dent n’ornait sa bouche. Comment coupait-il les aliments ? pensa Aetis, qui secoua la tête, en s’en voulant de penser à des questions aussi bêtes.
- Vous êtes un Kami ? fit-il sans trop vouloir y croire.
- C’est ainsi que les homins nous nomment dans leur langue, répondit le Kami.
Il disparut brusquement. Aetis se frotta les yeux et comprit que sa raison lui avait joué des tours, mais soudain on le tira par la manche de son gilet. Il tourna la tête et vit le Kami.
- Comment est-ce possible ?! fit-il ébahi.
Le Kami sourit à nouveau.
- Il y a tant de choses que tu dois apprendre et désapprendre. Atys est bien plus complexe que les tiens peuvent le croire. Nous, Kamis, pouvons réaliser des merveilles, et sommes prêts à les partager avec vous, si vous nous faites confiance. Atys a besoin de jeunes hommes pleins de bonne volonté. Atys est loin d’être guérie. Nous comptons sur les jeunes générations pour la repeupler et la faire revivre.
- Vous pourrez m’apprendre à disparaître et à réapparaître ? s’enchanta Aetis qui ne doutait plus à présent de la véracité de ce qu’il vivait.
- Et quantité d’autres choses. Mais patience et travail tu devras avoir. Nombreux sont les jeunes hommes comme toi que j’ai amené à Kaemon y faire leur apprentissage et qui ne sont devenus que de vulgaires vauriens avides de richesses et de pouvoir.
- Je ne suis pas comme cela ! Je vous le jure ! fit-il avant de prendre un ton plus bas. Je vous en supplie ne m’abandonnez pas. Je suis prêt à tout pour que vous me meniez à cette ville. Je vous prouverai que vous aviez raison de me faire confiance.
Le Kami s’envola de deux mètres dans les airs, et le toisa de cette hauteur.

- Soit, alors prépare toi pour un grand voyage. La plus proche cité se trouve bien loin d’ici, fit le Kami.
Aetis bomba le torse et fixa fièrement l’être volant.
- Je suis prêt à vous suivre jusqu’au bout du monde. Je saurai faire face à tous les dangers, fit-il avec un enthousiasme non feint.
- Garde toujours cet esprit aventureux, jeune Fyros, car tu comprendras très vite que la vie peut être dangereuse dans les villes autant que dans les régions isolées.
Le Kami se rapprocha en flottant près d’Aetis. Il le regarda droit dans les yeux et rajouta :
- Tu auras besoin de toutes tes forces pour ton apprentissage. Tu as eu beaucoup de chance que je tombe sur toi, tu aurais pu errer durant des années sans que l’un de nous ne te trouve. Aussi je vais t’éviter une trop longue marche et te téléporter jusqu’à ta destination.
- Téléporter ? fit Aetis.
Il connaissait le terme issu des contes, mais un étrange sentiment le pénétrait. Se dissoudre d’un endroit, pour réapparaître des centaines de kilomètres plus loin ? Malgré la chaleur, un frisson glacé lui traversa les os.
- Tu as peur ?
- Non, fit Aetis d’un ton peu convaincant. Je suis prêt.
Le Kami sourit et ne fut pas dupe de la peur d’un jeune Fyros. Il fit un seul geste et soudain la terre sembla disparaître tout autour d’Aetis. Mais très vite la vision d’Aetis redevint parfaitement claire.

Des larmes coulèrent de ses yeux et roulèrent sur joues.

Un petit village s’étendait plus bas. Des constructions. Des Homins comme lui. Ce n’était pas croyable.

Il avait réussi ! Il était un héros.

Une main lui frappa l’épaule. Il poussa un petit cri de stupeur. Un rire féminin lui répondit. Une jeune Fyros était à ses côtés.
- Toi le nouveau tu vas devoir apprendre à être plus discret si tu veux survivre, fit-elle en montrant du doigt un capryni qui les regardait méchamment.
- Ces herbivores sont très méchants quand ils se sentent agressés !

Aetis hocha la tête, incapable de prononcer un mot.
- Allez viens avec moi, il faut que tu ailles voir Boethus Cekian. Il t’expliquera de nombreuses choses, tu as beaucoup à apprendre avant d’espérer entrer dans les grandes cités.
Un vent léger vint lui rafraîchir les idées.
- Une vie nouvelle m’attend ici, se dit-il en descendant vers la tour.

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Deuxième partie

Le soir tombait sur Pyr, la capitale de l’Empire Fyros. Cela faisait près d’un mois qu’Aetis habitait la ville, et il commençait à en connaître les nombreux recoins. Il s’approcha d’une échoppe et interpella le marchand.

- Dylion regarde ce que j’ai pour toi ! Deux magnifiques peaux de gingo. Des bêtes que j’ai dépecées rien que pour toi ! fit-il en posant sa besace sur le comptoir.
Le vieux marchand se frotta le menton et toucha finalement la peau d’un air peu convaincu.
- Pas tout jeunes tes gingos ! La peau a perdu de sa douceur. Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ? se moqua le marchand. Allez, je t’en propose deux cents dappers, parce que je suis de bonne humeur.

Nombre de guerriers auraient senti le rouge leur monter au visage et seraient repartis vers un autre marchand en fulminant, mais Aetis connaissait son homin. Il savait que ce n’était qu’une façon d’entamer la négociation.
- Deux cents dappers ! Même pas de quoi me payer une nuit dans une auberge. En temps normal je t’aurais demandé le triple ! Mais je veux bien croire que tu sois le plus pauvre des commerçants du marché, aussi, je te les laisse à cinq cents dappers.
Dylion Tindix leva les yeux au ciel, comme poignardé.

La discussion continua encore dix minutes avant qu’ils ne se mettent d’accord pour trois cents dappers.
Plutôt satisfait de sa journée, Aetis pesa les perles dans sa main. Il s’engagea négligemment dans le Chemin de la Cuvette et s’arrêta devant le hammam de la ville. Il regarda le ciel et se dit qu’il avait encore du temps avant de dîner.

Il pénétra dans le vestibule où un employé vint à sa rencontre.
- Bonsoir, puis-je vous aider ? Demanda-t-il d’une voix mielleuse.
- Oui, donne-moi une cabine que je me déshabille. J’ai hâte de prendre un bain.
L’homin s’inclina brièvement et l’invita à le suivre. Une atmosphère lourde et chaude se dégageait des lieux. Longeant un long couloir empli de portes, Aetis se félicita de son choix. Il avait passé la journée à la chasse à suer sous un soleil accablant. Ses muscles avaient besoin de se détendre à la chaleur des bains. Il pénétra dans la cabine que lui montra son guide. Il se déshabilla entièrement avant d’ouvrir l’autre porte qui donnait sur le hammam. La vapeur emplissait toute la pièce recouverte d’ambre verte. Il s’approcha du grand bassin et fut contrarié à la vue des nombreux clients, en majorité des Fyros.

Il s’assit au bord du bassin, se pencha en avant et tendit le bras. L’eau était particulièrement chaude.
Il fit une moue et hésita un instant avant de prendre la décision d’entrer dans le bain. Il s’enfonça lentement dans l’eau en contrôlant son souffle.

Il étendit ses bras sur la margelle du bassin et ferma les yeux.
- C’est la première fois que je te vois ici. Cela fait longtemps que tu es arrivé à Pyr ?
Aetis rouvrit les yeux et tourna la tête sur sa gauche. Il découvrit le visage d’un Fyros à l’aube de sa quarantaine.
- Un mois, mais je ne compte pas y rester plus que de raison, répondit Aetis qui espérait que la conversation s’arrête là.
- Pourquoi nous quitter déjà ? Pyr ne te plaît-elle donc pas? continua l’inconnu.
Aetis sourit.
- J’ai envie de découvrir les nouvelles terres homines et leurs merveilles. J’ai soif de connaissance.
- Je m’en doutais ! s’exclama-t-il, riant. Je me nomme Partacles, je suis un des Sénateurs qui gouvernent notre peuple au nom de l’Empereur Dexton. Je suis en charge des affaires militaires et les Kamis savent que ce sont des affaires importantes !
- Hormis les kitins, je ne vois pas d’autres conflits à craindre, fit Aetis qui n’aimait pas la tournure de leur conversation.
Partacles se rapprocha d’Aetis et d’une voix plus basse ajouta :
- Crois-tu vraiment que la paix puisse durer éternellement entre les homins ? Songe à l’ambition de la Karavan, tu comprendras vite que les Matis nous sauteront à la gorge dès que possible. La paix ne dure que parce que chaque peuple est encore trop faible pour penser à étendre son territoire. Mais les choses vont plus vite que tu ne peux l’imaginer. Les quatre races homines reconstruisent leurs empires perdus. Notre bon Empereur rebâtira sa résidence impériale, et j’ai moi-même déjà nommé plusieurs généraux qui se chargent de recruter des guildes pour les enjeux à venir.

Aetis fit une moue consternée. Il n’avait aucune envie de rentrer dans ce genre de considérations. Il était un guerrier, un aventurier, il se moquait de la politique. Pourquoi lui révélait-il tout cela ? La main de Partacles se posa sur son épaule.
- J’ai besoin de jeunes Fyros comme toi pour me servir d’agents. Nous manquons d’informations sur ce qu’il se passe chez les Matis et les Trykers. Veux-tu être un de mes espions ? Et avant de répondre sache qu’il y a beaucoup de renommée et d’argent à gagner pour toi. Beaucoup pour un jeune homin, pense à tout ce que tu vas pouvoir t’offrir…
La confusion s’empara de l’esprit d’Aetis. En quittant son village, il ne pouvait soupçonner à quel point le monde était en train de changer. La guerre entre les homins allait peut-être recommencer. Un goût amer lui emplit la bouche. Il secoua la tête et regarda Partacles droit dans les yeux.
- Je vais y réfléchir, mais je ne vous promets rien, fit-il.
- Prends ton temps jeune Fyros. Il n’y a rien de pire que la fougue et les décisions hâtives.
Sur ces mots, Partacles lâcha la margelle et nagea jusqu’aux marches du bassin pour en sortir.

Aetis se relâcha enfin. Il aurait tant aimé qu’on le laisse tranquille. Il était ignorant des usages politiques de la société et il n’avait guère envie d’en apprendre davantage.Il resta encore de longues minutes à profiter du bain chaud et des vapeurs qui s’en échappaient. Avant de quitter à son tour le hammam, il prit une douche glacée qui lui raffermit tout le corps. Une fois rhabillé, il ressortit dans la rue et savoura la douce brise qui s’enfonçait dans les ruelles de Pyr.

Les paroles de Partacles lui semblaient désormais très loin de ses préoccupations. Son ventre gargouillait depuis quelques minutes et l’envie de se faire un repas particulièrement copieux était au centre de ses pensées. Il remonta la Rue Dexton et arriva Place de la Fontaine. Le bar se trouvait sur la gauche. Sans plus d’hésitation il pénétra dans la bâtisse et alla s’asseoir à une table libre.

Un trio de musiciens jouait un petit air de musique traditionnelle. Trois jeunes Fyros dansaient de façon fort gracieuse entre le bar et les premières tables. A la lumière des lanternes, elles ondulaient avec délicatesse et subtilité. Aetis commanda une bière de scrath et une côte de bodoc grillée aux larves braisées. Malgré les mouvement harmonieux des jeunes filles, ses pensées revinrent finalement aux paroles de Partacles. Avec l’argent, tout serait tellement plus simple ! Plus besoin de passer de longues heures à chasser pour obtenir à peine de quoi se loger…il pourrait vivre à sa guise sans avoir à se soucier du lendemain. Même les filles seraient faciles ! Avec un petit sourire de dérision, il secoua la tête. Il n’y a guère plus que les anciens pour croire que les femmes s’achètent encore. Depuis l’exil forcé dans les Primes Racines, la société fyros a bien changé. Les femmes fyros, inspirées par l’exemple des autres peuples se sont imposées, et la régente Leanon en est le premier exemple.

Si un Kami pouvait lire dans mes pensées, il me téléporterait aussitôt au fond du désert ! Se dit-il en laissant un sourire s’afficher sur son visage.
- Puis-je m’asseoir à vos côtés ? fit une voix à l’accent particulier.
Aetis leva la tête et croisa le visage d’un jeune matis.
- Je vous en prie, répondit-il.
Le Matis s’assit à ses côtés. Le visage plutôt débonnaire, de grands yeux bleus et une fine barbe qui le vieillissait quelque peu.
- J’adore votre ville. Vous avez de la chance. Savez-vous que Pyr est la plus grande cité homine d’Atys ?
Aetis fit non de la tête mais garda son regard fixé sur les belles Fyros qui débutaient une nouvelle danse.
- Vous n’êtes pas très loquace, mais peut-être devrais-je me présenter. Lato Nivaldo, ambassadeur matis. Je suis ici pour créer un lien avec votre peuple. Il me plaît de croire que la paix peut être durable entre nous.
- Ce n’est pas ce que j’ai entendu ailleurs… fit Aetis.
- Ah bon ? ! s’étonna Nivaldo. Et qu’avez-vous donc entendu ?
Aetis se sentit furieux contre lui-même et porta la bière à ses lèvres. Il s’était fait avoir comme un débutant! Le Matis était là pour lui soutirer des renseignements. Peut-être même l’avait-il vu discuter avec Partacles. Il devait se méfier de chacun de ses propos.
- La Karavan ne nous aime pas beaucoup, et à ce que l’on dit vous êtes leurs plus ardents défenseurs, dit-il en choisissant avec soin chacun de ses mots.
- Certes, mais ce n’est pas un crime d’avoir ses opinions. Jena est notre déesse, et guide nos actes, mais en aucun cas ses préceptes ne nous indiquent d’utiliser la force pour répandre la bonne parole.
Aetis fit une moue peu convaincue.
- Non, mais respectez-vous vraiment nos croyances ?
- Pensez-vous vraiment que je me serai porté volontaire pour être ambassadeur auprès des vôtres si je n’aimais pas votre peuple? Si seulement vous pouviez venir dans nos contrées, vous comprendriez combien vous avez tort de voir en nous des fanatiques illuminés.
- Ce serait avec plaisir mais que ferais-je là-bas sans dappers ni lieu pour dormir ? fit Aetis qui espérait ainsi mettre un terme à leur conversation.

Nivaldo prit un air soucieux et son front se plissa.
- Oui, l’argent est de plus en plus important dans notre monde, mais peut-être existe-t-il une solution. Je suis mandaté par le Duc Rodi di Varello, l’équivalent d’un de vos sénateurs, chargé, entre autres choses, du commerce. Il m’a chargé de lui envoyer des plantes aromatiques amères de votre pays.
Voyant le regard interrogateur d’Aetis, il répondit sans attendre à la question.
- Les nobles de mon peuple, comme de toutes les choses rares, raffolent de ces herbes. Rapportez moi disons… cinq sacs et je parlerais de vous au Duc. Je suis certain qu’il aura quelques missions lucratives pour vous une fois sur place.
Aetis se dit que finalement il ne pouvait échapper à son destin. Entre les propositions de Partacles et celles de Nivaldo, il allait devoir quitter la région. Soit ! Il en serait ainsi, mais une chose était claire, il travaillerait pour les Fyros et ne trahirait jamais son peuple.
- Je vais réfléchir, mais je dois dire que votre proposition me paraît alléchante, et si vous me payez mes trois prochaines bières, je pense que ma décision pourrait s’en trouver largement influencée en votre faveur.

Le Matis sourit et sortit des dappers de sa bourse.
- Tenez, avec ça, je suis même certain que vous aurez de quoi finir votre soirée dans le meilleur établissement de Pyr. Revenez avec les plantes ici même dans quatre jours, dit-il en marchant vers la sortie.

Aetis baissa alors le regard sur la table, prit les dappers et les soupesa dans sa main.
- Alors tel est le prix de la trahison…?

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Troisième partie

- Je suis heureux que tu aies pris la bonne décision, fit Partacles une fois qu’Aetis eut finit de lui conter sa rencontre avec Lato Nivaldo. Il faut se méfier des Matis comme de la Goo.

Aetis était retourné deux fois au hammam dans l’espoir de retrouver le sénateur. La seconde fut la bonne. L’homin profitait des bienfaits des bains dans le grand bassin.

- Je suis un Fyros et je n’aurais jamais accepté de travailler pour eux. J’aime mon peuple, répondit Aetis

Partacles lui fit un grand sourire. Il aimait ce genre de jeune homin qui faisait passer l’honneur et sa patrie avant l’argent.

- Eh bien ne décevons pas notre Duc. Tu vas accepter sa proposition, et lui remettre la quantité de plantes aromatiques qu’il demande. Un bon moyen de gagner sa confiance.

- J’aurai besoin d’aide, fit Aetis, qui se rendait compte de l’importance de son choix.

Il ne serait plus jamais le jeune Fyros insouciant et innocent qu’il avait été jusqu’alors. Il pénétrait dans une autre sphère pour le meilleur et pour le pire.

- Tu vas prendre contact avec le maître foreur Galeos Ion. En tant que chef de la guilde des Gueules Noires, il pourra t’aider à trouver les bras et le matériel nécessaire pour la collecte des plantes. Il a un caractère un peu rugueux mais tu peux lui faire confiance, Gueules Noires ont toujours servi l’Empereur. Tu iras le voir demain, le hall de sa guilde se trouve dans la rue Leanon.

Aetis hocha la tête et s’apprêtait à quitter le bain quand le sénateur lui empoigna le bras.

- Fais très attention à toi, jeune Aetis. Personne ne pourra te venir en aide, si les Matis apprennent que tu es en train de les duper. Garde-toi de trop parler. Le silence est ton meilleur allié.

Aetis le remercia et le salua.

Au lieu de se sentir apaisé à la sortie du hammam, il était au contraire épuisé par cette conversation. Il venait de rentrer au service de l’Empereur et sentait déjà toute la pression qui pesait sur ses épaules. Il était tout à fait clair qu’il n’avait pas le droit à l’échec.

Aetis se présenta le lendemain au hall de la guilde des Gueules Noires. Le bâtiment fourmillait d’activité. Ceux qui revenaient d’expédition exhibaient le produit de leurs efforts tout en racontant leurs exploits de la veille. D’autres au contraire se préparaient à partir et vérifiaient une dernière fois leur matériel ainsi que les emplacements des sources qu’ils comptaient exploiter. Quelques-uns enfin semblaient gérer la guilde proprement dite car ils répondaient aux différentes questions qui leur étaient posées tout en donnant des ordres à droite et à gauche.

Aetis demanda à parler à Galeos Ion. On lui indiqua un homin d’un certain âge en grande discussion avec trois Fyros qu’Aetis identifia à leur matériel comme des foreuses du désert. La fine poussière qui recouvrait leurs vêtements indiquait qu’elles revenaient sans doute d’une nuit de dur labeur.

- … d’une excellente qualité ! Enfin je vois que vous maîtrisez l’extraction de la fibre dzao. Ce n’est pas trop tôt. Allez voir Mila Abygrian, il pourra peut-être vous mettre en contact avec un artisan à la recherche de matière première.

Tandis qu’elles remerciaient Galeos et prenaient congé, Aetis qui attendait patiemment son tour s’avança.

- Ah, tu dois être Aetis, on m’a prévenu de ton arrivée. Je suis Galeos Ion…

Il appela deux jeunes homins qui discutaient dans un coin.

- … et je te présente Eree et Mokra. Ils font partie de la guilde des Gueules Noires que je dirige. Ils t’aideront dans ta tâche.

Les jeunes gens se saluèrent brièvement.

- Nous savons qu’il existe un endroit à la lisière de la forêt enflammée où le sol est riche en graines de plantes aromatiques. reprit Galeos. Faites très attention, elles ne sont pas faciles à extraire. Le gisement y est d’excellente qualité aussi faites bien attention. Vous devrez ménager la source si vous ne voulez pas la faire éclater et voir toutes vos précieuses matières s’enfouir à nouveau dans le sol. Mais si vous vous débrouillez bien, à trois vous devriez être capables d’extraire les huit sacs dans la journée. Du moins si vous ne vous faites pas exploser la tête !

Galeos partit d’un grand rire tonitruant.

Aetis eut une moue de consternation. Une drôle de façon pour le recevoir. Il tiqua soudain :

- Huit sacs ? je n’en ai besoin que de…

- Que crois-tu donc jeune Fyros ? le coupa sèchement Galeos brusquement redevenu sérieux. Que nous travaillons gratuitement pour toi ? Je devrais mettre deux de mes apprentis et trois mektoubs à ton service juste parce que tu me le demandes ?

Aetis sentit les poils de ses bras se hérisser. Il faillit réagir à la violence des propos de Galeos mais il repensa au conseil de Partacles : le silence est ton meilleur allié. Aetis se renfrogna et ne tenta pas de renchérir.

- Je vois que tu as compris, parfait. La matinée est déjà bien entamée. Je vous conseille de partir sur le champ si vous voulez être de retour avant la tombée de la nuit.

- J’aime bien travailler la nuit à la lueur des étoiles, fit Mokra.

- Grand bien vous fasse, je suis sûr que les goaris seront du même avis. Je n’aimerais pas perdre trois bons mektoubs pour si peu. Allez, partez d’ici, et faites honneur à la guilde et à l’Empereur.

Galeos s’en retourna à ses affaires sans un mot de plus et laissa les trois jeunes Fyros ensemble.

- Faut pas s’inquiéter, il est toujours comme ça, mais c’est un type honnête, le rassura Eree quand ils furent sortis. Viens, on va tout de suite aller aux étables sud, les mektoubs sont prêts à partir.

Arrivée à destination, Eree échangea trois mots avec le palefrenier qui lui sortit trois bêtes de l’enclos.

- J’espère que tu es déjà monté sur un mektoub, sinon tu n’auras plus qu’à nous rejoindre à pied, le moqua Eree en lui tendant les rênes. Mais nous aurons sûrement fini avant que tu n’arrives !

Aetis n’était pas certain d’apprécier l’humour de la jeune fille.

- Fais pas cette tête Aetis, elle a le même humour que Galeos, mais à la longue on s’y habitue comme la sciure sous la pluie.

Aetis n’était pas sûr d’avoir compris la comparaison mais ne demanda pas d’explication. Il se rapprocha tout simplement de sa monture et sauta en selle avec une facilité exemplaire.

- C’est bon, j’ai rien dit, fit Eree

- On va passer par le col aux canyons. J’adore ce coin, il n’y a pas trop de monde par là. Nombreux sont ceux qui redoutent ces territoires. Comme il me fait honte de savoir qu’il existe autant de Fyros peureux ! fit Mokra.

- Nous sommes là pour prouver le contraire, n’est-ce pas ?

- Tu l’as dit ! répliqua Eree.

Dans un cri simultané, les trois jeunes Fyros lancèrent joyeusement leurs montures au galop à travers le désert.

Ils galopèrent durant près d’une heure avant d’arriver en vue des grands arbres calcinés. La sueur coulait sur leur front. Les bêtes, harcelées par les coups de pieds, n’avaient pu relâcher leurs efforts et beuglaient d’épuisement alors qu’un long filet de bave sortait de leur bouche grande ouverte.

- La zone me semble bonne, qu’est-ce que vous en pensez ? fit Mokra.

- Un endroit qui en vaut un autre, répondit Eree.

Aetis hocha la tête. Il descendit de sa monture et lui caressa la trompe. Elle avait mérité une petite récompense. Il sortit de sa sacoche une boule de miel cristallisé et la lui donna. L’animal la dévora en un clin d’œil.

- Maintenant, laissez-moi faire, fit Eree en s’avançant de quelques pas.

Aetis l’observa avec curiosité. Elle sortit un peu de poudre verte d’une petite poche et commença à la frotter doucement dans ses mains. Ses traits trahissaient une grande concentration. La poudre se mit à luire faiblement tandis que son visage se plissait sous l’effort. Elle jeta la poudre à terre. Aetis vit soudain la sciure être aspirée en plusieurs endroits.

Il n’en revenait pas. Elle avait eu beaucoup de chance, ou bien elle avait un sixième sens exceptionnel. Quatre bulles vertes, des sources, étaient sorties de terre.

- Alors on remercie qui ? se vanta-t-elle en mettant les mains sur ses hanches.

Aetis ne put réprimer un sourire. Finalement cette fille lui plaisait. Avec son air frondeur et son côté garçon manqué dans sa tenue hoben beige, elle était sublime !

- Merci, merci, mais ne crois pas t’en tirer à si bon compte. Attrape ça ! répondit Mokra en lui lançant une pioche.

Ces deux là se connaissent depuis un certain temps, pensa Aetis. Il en conçut une pointe de jalousie.

Aetis décrocha sa propre pioche de sa selle tandis que Mokra et Eree commençaient l’extraction d’une des plantes. Plus à l’aise avec une épée qu’avec une pioche, Aetis resta encore un instant à les observer.

Eree creusait la gangue verte de la source pour y récupérer les précieuses plante qu’elle avait fait remonter tandis que Mokra s’occupait de la consolider sur les côtés pour éviter qu’elle n’éclate subitement, ce qui aurait anéanti tous leurs efforts.

Il se tourna vers Aetis.

- Jamais pioché ? allez viens on va te montrer, on prend vite le coup de main tu verras.

Ils passèrent ainsi près de quatre heures à creuser sans relâche. Ils se relayaient régulièrement : l’un piochait, l’autre insufflait de la vigueur à la source, le troisième se reposait.

À la fin de la journée, ils avaient rempli leurs sacs. Après les avoir chargés sur les mektoubs, ils se reposèrent enfin et prirent le temps de manger. Le soleil était en train de disparaître sous l’horizon tandis que les premières étoiles commençaient à clignoter dans le ciel.

- Je crois que nous avons mérité notre salaire, fit Mokra.

Malgré son entraînement de guerrier, Aetis ne sentait plus ses muscles. Il n’aurait jamais pensé que creuser puisse être aussi fatigant.

- Mais le jeu en valait la chandelle, fit-il, allongé sur la sciure du désert.

- Des dappers en plus, ouais, ça fait toujours du bien, fit Mokra.

- De quoi payer le voyage ouais… laissa-t-il échapper avant de se mordre la lèvre.

Pourquoi faut-il toujours que je parle trop ? pensa-t-il.

- De quoi tu parles ? fit Eree soudain intéressée.

Il voulut se taire, mais devant le regard brûlant de curiosité d’Eree, il sut que le combat était perdu d’avance.

Il leur raconta tout, en leur faisant promettre de ne rien révéler.

- Quelle histoire ! A croire que tout Pyr te surveille depuis ton arrivée ... et tu veux vraiment te rendre là-bas ? demanda Mokra. Pouah, pour rien au monde, je ne m'y rendrais

Eree garda le silence. Aetis se pencha vers elle.

- Tu ne diras rien, n’est-ce pas ? fit-il en priant qu’elle soit sérieuse.

Elle fit semblant d’hésiter puis répondit.

- Si tu acceptes que je vienne avec toi, je te promets de ne rien dire.

Il s’attendait à tout, sauf à ça. Il ne savait que répondre.

- Tu dis que le Matis avait du mal à trouver des Fyros prêts à travailler pour lui, insista-t-elle, il devrait donc accepter sans trop de problème tu ne crois pas ?

- …Mais… et Galeos ?

- Galeos ? Ma vie ne lui appartient pas ! J’en ai assez de creuser la sciure. j’ai envie de voir à quoi ressemble le reste d’Atys. De toute façon, d’accord ou pas d’accord, tu n’as pas le choix. Je viens avec toi, un point c’est tout !

Aetis se garda bien d’ajouter quoique ce soit, mais quand ils prirent le chemin du retour un grand sourire illuminait son visage.

Dans les locaux de la guilde des Gueules Noires, Galeos accueillit plus chaleureusement les trois sacs qui lui revenaient que la nouvelle du départ d’Eree. Il maugréa un moment mais devant sa détermination, il n’eut d’autre choix que de la laisser partir.

Lato Nivaldo ne fut guère plus difficile à convaincre.

- Mais volontiers, je suis heureux que vous ayez pu gagner des gens à ma cause, sourit l’ambassadeur une fois qu’Aetis eût fini de lui expliquer la raison de la présence d’ Eree.

- Même si j’ai du mal à imaginer qu’Yrkanis puisse être une aussi belle cité que Pyr, j’ai envie de tenter l’aventure.

- Très bien, alors rendez-vous à l’autel de la Karavan au sud de Pyr. L’Hôte Karavan me connaît, il vous fournira des pactes pour la capitale des Sommets Verdoyants. Ne vous inquiétez pas, la qualité des plantes que vous m’avez apportées me permet largement de vous payer tous deux le voyage. Je préviendrai le duc de votre arrivée, il vous suffira…

En écoutant les dernières instructions de l’ambassadeur, Aetis sentit son cœur s’accélérer dans sa poitrine. Ils allaient découvrir une nouvelle région, un autre peuple. Eree et lui se regardèrent et leurs yeux brillaient d’excitation à l’idée de l’aventure qui les attendait.

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Quatrième partie

Avant d'ouvrir les yeux, Aetis et Eree prirent un instant pour retrouver leurs esprits. La téléportation Karavan n'avait pas la sensation à laquelle ils étaient habitués. L'impression d'être enveloppés les avait saisis pendant le voyage. Coupés de l'extérieur, ils n'avaient pas ressenti la dispersion de leur corps dans le réseau, comme lors des téléportations Kami. La même chaleur était pourtant née dans leur crâne et étendue à leur corps entier.

Ils ouvrirent les yeux sur la forme grise de l'autel. Un rapide coup d'oeil suffit à leur indiquer qu'ils étaient arrivés à destination. Les immenses arbres roussis par l'automne ne laissaient aucun doute.

Yrkanis, la cité végétale, s'offrait aux deux jeunes Fyros.

Ils avancèrent sur le chemin le plus proche, vers le centre d'Yrkanis. Scrutant de tous côtés pour admirer l'architecture de chaque bâtiment, ils ne remarquaient pas les regards méfiants de quelques Matis.

- C'est magnifique ! s'exclama Eree. Je n'aurais jamais cru être aussi enchantée, toute cette végétation. C'est si...

- ...étourdissant, termina Aetis.

Eree sourit et lui prit la main.

- Êtes-vous envoyés par l'ambassadeur Lato Nivaldo ?

Aetis et Eree se retournèrent. Un vieux Matis aux lèvres fines et figées les observait froidement.

- Oui, nous devons rencontrer le Duc Niero di Va..., commença Eree.

Le Matis la coupa sèchement.

- Bien. Suivez-moi, je vous prie !

Les deux Fyros se regardèrent, l'un et l'autre surpris de cette intervention. Le Matis était déjà parti sur un chemin sans se retourner. Avec un haussement d'épaules, Aetis lui emboîta le pas, accompagné par Eree.

- Je suis Dino Valetti, l'intendant du Duc, dit-il. Il m'a chargé de venir vous chercher et de vous amener jusqu'à son bureau.

Aetis était très agacé par leur guide. Eree, au contraire, profitait pleinement de la cité et regardait de tous côtés.

- Crois-tu que ça va marcher ? marmonna-t-il en direction d'Eree.

- Bien sûr. Notre texte nous a déjà été écrit. Il suffit juste d'être de bons comédiens, répondit-elle doucement.

Aetis sentit le trac lui nouer le ventre. Il se concentra pour se souvenir de l'entretien qu'ils avaient eu avec Partacles dans son bureau avant de partir.

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- Ce que nous allons dire ici ne devra pas sortir de mon bureau. Je vous ai choisis car Di Vanochi verra en vous deux jeunes Fyros crédules et manipulables.

Aetis fut étonné par les paroles du sénateur, mais se garda de dire quelque chose. Partacles avait l'air beaucoup moins détendu et amical que lors de leurs rencontres dans les bains.

- Di Vanochi est un homin fourbe mais très intelligent. Il faudra donc faire très attention à chacune de vos paroles !

Il quitta sa chaise pour marcher dans le bureau.

- Le Guide des Zoraïs, le Grand sage Mabreka, souhaite nous faire parvenir le Livre des Révélations, où les paroles de Ma-Duk sont consignées. Cette relique est de la plus haute importance pour nos deux peuples ! insista-t-il.

- Vous ne voulez tout de même pas qu'on le transporte nous-même ? demanda Aetis, incrédule.

- Bien sûr que non ! Je ne suis pas assez fou, dit-il avec un sourire. Je veux que vous alliez voir Di Vanochi en vous faisant passer pour deux jeunes Fyros assoiffés de dappers. Nous savons que ce Duc a eu vent de cet envoi. Mais il n'a aucune idée de la date, ni du chemin que le convoi va prendre à partir de Zora. Je veux qu'il stoppe ses recherches...il est bien capable d'arriver à ses fins.

Il marchait devant eux la tête penchée. Il semblait réfléchir tout en parlant.

- Vous allez donc la lui donner. Sur ces mots il se tourna vers eux. Le sourire sur son visage était inquiétant.

- Pardon ? demanda Aetis, étonné.

- Vous allez lui dévoiler la bonne date, mais le chemin sera bien différent. Celui que vous lui indiquerez ne laissera qu'une seule possibilité d'embuscade... dans le défilé du Nœud de la Démence. Là, le groupe qu'il enverra aura une petite surprise. Nous aurons ensuite, je l'espère, des preuves de la culpabilité de Di Vanochi à présenter devant le roi Yrkanis. Mabreka compte aussi se débarrasser de la tribu qui agit pour le Duc. Ces mercenaires ont beaucoup contrarié les intérêts zoraïs ces derniers temps.

- Mais il ne peut pas s'en prendre à un convoi zoraï. Ce serait comme déclarer la guerre ! s'exclama Eree.

- Bien sûr que non ! Il utilise apparemment une tribu du Pays Malade. Di Vanochi est prêt à tout pour s'attirer les faveurs de la Karavan et du Roi. Il est persuadé qu'il sera un héros auprès de son peuple et qu'Yrkanis le comblera d'honneurs après ça. Cependant il préfère assurer ses arrières et ne pas prendre le risque d'être découvert.

- Mais... s'il s'aperçoit de la supercherie, nous sommes morts ! s'exclama Aetis.

- Vous n'avez pas cru que ce serait facile, j'espère ? demanda Partacles, feignant l'étonnement. Vous allez devoir vous justifier auprès du Duc, et j'ai déjà préparé cette explication pour vous. Le contact avec la guilde des Gueules Noires n'était pas anodin. Le lien étroit qu'ils ont avec les Faces Brûlées, les gardes impériaux d'élite, a permis à Galeos d'apprendre les informations dont vous disposez. Son penchant pour l'alcool vous aura dévoilé ce petit secret, dit-il souriant à Eree.

Il se rapprocha des deux Fyros. - Vous serez grassement payés par l'empire une fois votre mission accomplie.

Il se pencha et mit ses mains sur leurs épaules. Il les empoigna avec une force redoutable.

- Mais, si vous pensez une seule seconde à me trahir, je vous promets que vous préférerez vous retrouver au milieu d'une kitinière.

Il n'avait pas haussé le ton de sa voix, mais il n'en avait pas besoin. Son regard et sa poigne montraient combien l'homin était dangereux et déterminé. Il marqua une pause, fixant les deux Fyros qui luttaient contre la douleur, et, comme si rien ne s'était passé, il reprit son sourire habituel et relâcha leurs épaules.

- Malgré tout, bon voyage ! J'espère que vous apprécierez l'exotisme d'Yrkanis. Nous nous verrons à votre retour.

Le sénateur ne laissait pas la place pour une réplique. Il s'assit à son bureau et retourna à ses affaires.

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L'intendant les amena à un bâtiment circulaire un peu à l'écart des autres.

- Si vous souhaitez revenir ici, vous êtes dans le sud-est du district de Yasson, indiqua Dino Valetti. Voici le bâtiment privé du Duc.

Deux gardes étaient postés à l'entrée. Ils n'accordèrent aucune attention au passage de l'intendant et des deux Fyros. Dino Valetti pénétra dans l'ascenseur, suivit par Aetis et Eree. Ils arrivèrent au premier étage dans une pièce lumineuse. Un Matis d'une trentaine d'année se trouvait assis à un bureau, la tête penchée sur des documents. Les deux Fyros entrèrent dans la pièce, et, sans un mot, l'intendant referma l'ascenseur. Il laissait ainsi les deux jeunes homins seuls avec celui qui semblait être le Duc.

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Cinquième partie

Aetis et Eree se sentaient mal à l'aise. Le Duc n'avait pas encore levé la tête de ses documents.

- Excusez-moi, nous...

- Un instant ! interrompit le Matis.

Le silence retomba dans la pièce. Les deux Fyros étaient toujours devant l'ascenseur et se jetaient des regards inquiets.

Finalement, le Matis mit les documents de côté et releva la tête. Il fixa longuement les jeunes Fyros devant lui.

- Bienvenue à vous, fit-il avec un sourire. Je suis le Duc Niero di Vanochi. Je suis vraiment désolé, mais ma fonction m'oblige à m'occuper de paperasserie assommante et bien souvent j'en oublie la politesse.

Il se leva sur ces paroles. Et d'un grand geste les invita à prendre place sur les deux chaises devant son bureau.

- Approchez, approchez. L'ambassadeur a fait vos éloges dans son dernier courrier. Vous avez fait de l'excellent travail avec ces herbes. Heureusement, car la viande de yubo est tellement fade sans elles. Il se rassit en même temps qu'eux.

- Lato m'a dit que vous voudriez rester quelque temps ici, c'est ça ?

- Oui, mais l'argent... commença Aetis.

- ...est toujours un problème ! s'exclama Di Vanochi. Ne vous inquiétez pas, j'ai quelques missions pour vous. Oh, rien de bien méchant, en général de la récolte de matières premières puisque vous y excellez.

Il fixa les deux homins qui étaient à nouveau mal à l'aise.

- Qu'y a-t-il ? Vous paraissez soucieux. Pourtant Lato m'a bien dit que vous rêviez de venir ici.

- C'est-à-dire que... commença Aetis incertain.

Le Duc se pencha en avant, soudain plus intéressé.

- Oui ?

- Eh bien, nous ne sommes pas là pour gagner quelques dappers avec des petites missions, continua Aetis.

- Comment ?! Je vous fais l'honneur d'être les premiers Fyros à travailler pour moi. Je vous fais confiance et vous me crachez au visage ? rugit Di Vanochi.

- Pas du tout, se hâta de dire Eree. Nous serions honorés d'accomplir ces missions pour vous. Mais nous avons quelque chose de beaucoup mieux que des herbes à vous offrir.

Le visage du Duc perdit le rouge qui l'avait coloré pendant quelques instants. Il avait maintenant retrouvé son calme et son sourire.

- Racontez-moi.

- Nous voulons être payés cinq cent mille dappers. Nous ne vous dirons rien avant, dit Eree.

- Vous voyez, certaines de mes affaires ne concernent pas la couronne. Je ne peux pas sortir une telle somme de mes fonds personnels pour une information dont j'ignore la nature, dit-il le regard triste.

Il se leva et se dirigea sur la droite de son bureau.

- Il me faudra beaucoup plus qu'une simple promesse pour vous donner cette somme, dit-il en croisant les bras. Racontez-m'en un peu plus, je déciderai si ça en vaut la peine.

Aetis regarda Eree. Tous deux paraissaient aussi incertains l'un que l'autre.

- J'ai pu obtenir des informations sur un important convoi zoraï qui va partir pour Pyr, avoua Eree.

- Pourquoi venir me voir ?

- J'ai entendu dire que ce genre d'informations vous intéressait. Ma rencontre avec Aetis a été l'occasion inespérée d'en tirer profit.

Le Duc semblait douter des propos d'Eree.

- Le seul problème, c'est que j'en sais déjà beaucoup sur ce convoi. De quelles informations disposez-vous ?

À nouveau, les deux Fyros se regardèrent, chacun attendant que l'autre fasse le premier pas.

L'impressionnant Duc ne leur laissait pas le choix.

- Nous connaissons la date du convoi, ainsi que le chemin qu'ils vont prendre.

- Et puis-je savoir comment deux jeunes Fyros, sans expérience, sans relations, sans dappers et sans loyauté ont pu entrer en possession d'une information que mes meilleurs agents cherchent en vain ?

Il s'était retourné. Son sourire avait disparu, il scrutait leur réaction. Eree ne perdit pas son sang-froid.

- J'ai des relations figurez-vous ! fit-elle en montant le ton de sa voix. Je suis membre de la guilde des Gueules Noires !

- Félicitation ! répondit le Duc, un faux sourire aux lèvres. Mais je ne vois toujours pas comment un insecte connaît ce secret.

Aetis commença à se lever. Il en avait plus qu'assez des manières du Duc.

- Si vous souhaitez survivre à cette journée, je vous conseille de vous rasseoir, jeune homin.

Il n'avait pas bougé, mais son regard força Aetis à se rasseoir.

- Désolé de cette interruption, continuez s'il vous plait, demanda-t-il à Eree, impatient.

- Ma guilde est étroitement liée à celle des Faces Brûlées, les gardes d'élites impériaux. Mon chef de guilde est au courant de toutes leurs missions, celle-ci n'a pas fait défaut. Il entretient aussi des bonnes relations avec l'alcool de shooki et il s'en est trop vanté auprès de la mauvaise personne...

Eree lui fit un sourire ironique. Di Vanochi, lui, ne bougeait pas. Il la regardait, cherchant le moindre signe de faiblesse.

- Je ne vous crois pas... commença-t-il.

Un frisson parcourut l'échine d'Aetis.

- ... mais étant donné que je n'ai pas d'autres sources d'informations pour le moment, je vais essayer de vous faire confiance.

Son sourire n'avait rien de rassurant.

- Je vous écoute, que savez-vous ?

- L'argent d'abord, dit Aetis qui avait retrouvé son calme.

- Vous avez compris, je pense, que je crois que vous me mentez. J'espère alors que vous comprendrez combien je suis généreux dans mon offre. Je vous propose donc deux cent mille dappers tout de suite et cinq cent mille supplémentaires si l'information se révèle juste.

- Mais c'est plus que ce que nous vous demandions ! s'étonna Eree.

- Je sais. C'est juste un petit encouragement pour vous aider à me donner la bonne information... mais si vous avez besoin de plus d'encouragements, mes gardes seront heureux de vous les fournir.

Il retourna à son bureau et prit une petite cloche. Il l'agita rapidement et tout de suite, Dino Valetti entra dans la pièce.

- Oui, mon Duc ? demanda-t-il.

- Rapportez-moi un sac de deux cent mille dappers, rapidement, ordonna le Duc.

L'intendant partit sur-le-champ. Le Duc resta là, fixant les deux homins sans lâcher un mot.

Quelques instants après, l'intendant revint tenant un sac dans la main. Il le posa sur le bureau du Duc et sortit aussi rapidement qu'il était entré.

- Voilà votre argent. Prenez-le, dit le Matis en montrant le sac.

Aetis se leva et saisit la bourse.

- Maintenant, racontez-moi tout, fit-il, souriant.

Eree exposa alors toutes les informations dont ils disposaient.

- Je pensais bien que ces sournois passeraient par le portail. Ils espèrent gagner Pyr le plus rapidement possible.

Le Matis déroula une carte d'Atys sur son bureau.

- C'est ici qu'il faut tendre l'embuscade.

Il pointait son doigt sur le défilé du Nœud de la Démence.

- Vous aimez voyager et découvrir des nouvelles cultures n'est-ce pas ?

Les deux Fyros le regardaient, incrédules.

- Magnifique ! dit-il sans attendre la réponse. Vous allez donc organiser cette attaque pour moi !

- Comment ? Nous ? Mais...

- Bien sûr, l'un de mes gardes les plus fidèles vous accompagnera... Car si vous m'avez trompé, je vous veux morts dans l'instant.

Il n'avait pas levé les yeux de la carte. Ces derniers mots avaient été dits avec une désinvolture effrayante.

- Pardon ? s'étonna Aetis.

- Assez discuté ! Vous devez partir dans l'heure. Vous avez un long voyage à faire. Natto ! cria-t-il. Natto vous accompagnera sur le territoire zoraï et veillera à votre... sécurité. Vous allez ici, dans le Bosquet de l'Ombre.

Les deux Fyros se retournèrent pour voir le guerrier matis qui venait de rentrer.

- Je vous présente Natto, le chef de ma garde.

Le Matis les salua d'un signe de tête.

- Vous allez rencontrer une sympathique tribu qui a déjà... travaillé pour moi : les Antékamis, continua le Duc. Natto sera là pour veiller au bon déroulement des transactions. Ils devront attaquer le convoi. Le butin sera divisé en deux : le pillage pour eux et le Livre pour vous. Natto, tu me le rapporteras immédiatement, accompagné, je l'espère, de nos deux amis. Vous avez peu de temps, partez maintenant.

Natto les invita à sortir de la pièce d'un mouvement du bras.

Les instants qui suivirent furent consacrés à la préparation du voyage.

- Nous utiliserons des pactes Karavan pour nous rendre au Bosquet de l'Ombre. Là nous aurons une journée de marche jusqu'au camp de la tribu, avec de la chance.

Le Matis parlait tout en marchant. Les maigres provisions qu'ils emportaient n'avaient pas pris longtemps à être achetées. Ils se dirigeaient maintenant vers l'autel Karavan.

Aetis et Eree n'avaient eu que peu de temps pour visiter la magnifique cité matis. Ils avaient profité de chaque instant, les yeux grands ouverts. Cette courte visite leur avait permis d'oublier un peu leur mission.

Le guerrier matis, qui avait semblé tellement froid au premier abord, leur expliquait des détails historiques à propos de la ville.

- Je sais que vous voudriez visiter un peu plus Yrkanis, mais nous avons trop peu de temps devant nous. Vous aurez largement de quoi profiter de la ville à notre retour. Je crois de toute façon que vous devrez rester ici. En tout cas, loin des Kamistes.

Il avait le visage plus souriant que dans le bureau de Di Vanochi.

- Nous y voici. Attendez-moi ici, je vais parler à l'Hôte Karavan.

Les deux jeunes Fyros restèrent à distance, tandis que Natto se dirigeait vers l'Hôte.

- Ça marche jusqu'à présent, dit Aetis.

- En effet, je pense qu'il nous fait confiance, acquiesça Eree

- Dommage qu'il faille le trahir...

Les deux Fyros se regardaient tristement.

- Qu'y a-t-il vous deux ? demanda Natto en revenant. N'ayez pas peur. Les terres zoraïs où nous allons sont hostiles, mais j'ai l'habitude d'aller là-bas. Il n'y aura pas de problème.

- Nous sommes prêts, lui dit Aetis, sans joie.

- Vous avez encore des doutes sur vos actes, c'est ça ? Écoutez, il faut faire des choix dans la vie. Vous avez déjà fait le vôtre. Vous ne pouvez plus reculer quoi qu'il arrive. Alors acceptez-le et vivez ce que vous avez décidé de vivre !

Aetis se sentit d'autant plus abattu par les paroles du Matis. Il tenta tout de même de sourire.

- Tu as raison. Nous allons vers un nouveau pays. J'aurais vu plus de choses en une journée que dans toute ma vie.

Le Matis éclata de rire.

- Voilà ! C'est beaucoup mieux. La téléportation est faite pour ça !

Il leur donna à chacun leur pacte.

- Avant de le briser, je veux que vous preniez en compte certaines règles. Vous marchez où je marche, vous parlez quand je vous dis de parler, vous obéissez sans discuter à mes ordres et vous ne jouez pas les héros. Je peux compter sur vous ?

Eree et Aetis acquiescèrent tous les deux.

- Très bien. Alors, allons-y !

Il écrasa le pacte dans sa main et disparu dans l'instant qui suivit.

- Il a raison, nous ne pouvons plus reculer, dit Eree.

Elle brisa son pacte et s'évanouit à son tour.

- Alors... allons-y.

Cette fois le voyage s'était mieux passé. Ignorant le léger mal de tête, Aetis ouvrit les yeux. Plusieurs bêtes étranges l'observaient. Elles étaient rondes et énormes. Leurs yeux globuleux jaunes étaient braqués sur lui. L'une des bêtes commença à s'approcher. Elle avait une longue trompe d'où sortaient des petites langues de feu. Aetis mit instinctivement la main sur la garde de son épée.

La main de Natto le retint.

- Ne t'inquiète pas, il est juste curieux. Les wombaïs sont doux comme des agneaux, si on ne les énerve pas. Il est même arrivé que certaines tribus zoraïs arrivent à les utiliser comme montures !

Le wombaï était devant lui et commença à renifler sa tunique du bout de la trompe. Natto l'écarta doucement. L'animal hésita puis se retourna pour rejoindre ses congénères.

Aetis regarda autour de lui. Ils se trouvaient devant l'autel Karavan, au beau milieu d'une plaine.

- C'est ça le pays zoraï !? s'exclama-t-il.

Eree elle aussi avait l'air déçue.

- Je croyais que c'était une jungle.

- À part l'herbe, on se croirait dans le désert, confirma Aetis.

- C'est normal, ici nous sommes dans les bordures du pays. Cela permet aux Karavan de mener les tests dont ils ont besoin sur la Goo. Ils n'ont pas la même réaction que les Kamis face à la maladie, ils pensent que son étude permettra son contrôle et donc son éradication. C'est mieux que de courir et d'appeler à l'aide les homins. Vous iriez combattre ça si un Kami vous le demandait ?

Il se tourna et pointa du doigt vers l'horizon. Aetis vit alors la maladie qui rongeait le pays. Une mer mauve s'étendait aux bordures de la plaine. Des vapeurs s'échappaient de la terre en la consumant. L'odeur était insupportable, même à cette distance.

Aetis mit instinctivement la main sur sa bouche et son nez.

- Ne t'en fais pas, même si toutes les vapeurs sont toxiques, à cette distance, nous ne risquons rien. La Goo n'infecte les homins que lorsqu'elle est concentrée ou lors d'une exposition prolongée. Nous avons une certaine résistance à sa puissance de destruction.

Aetis s'avança pour mieux voir. Natto l'empoigna rapidement.

- Tu ferais mieux de ne pas t'approcher plus, il arrive que les sources de Goo soient sous terre et surgissent lorsque l'on passe au-dessus. Il semblerait que cette chose, quoi qu'elle puisse être, soit intelligente. Nous ferions mieux de partir d'ici, plus on est loin d'elle, mieux on se porte.

Ils s'éloignèrent de l'autel et se dirigèrent vers l'ouest.

- La région est très dangereuse, il n'y a pas que des wombaïs ici. On croise des kitins de temps en temps, et il y a les bandits. Le pire, bien sur, ce sont les gibbaïs qui se promènent un peu partout.

Le Matis marchait d'un pas rapide.

- Il n'y a pas une grande distance jusqu'au camp, mais je préfère m'éloigner de la Goo, nous devrons faire quelques détours.

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Sixième partie

Comme l'avait dit Natto, ils durent souvent s'arrêter pour choisir un autre passage. Plusieurs fois, ils rebroussèrent chemin pour éviter des groupes de gibbaïs, facilement repérables avec leur fourrure bleu nuit. Ils purent même apercevoir un primitif rouge. Il était beaucoup plus grand que les autres et ses poils dressés lui donnaient un aspect enflammé.

- Celui-ci est appelé Gibbakya par les Zoraïs. Il dirige les dégénérés de la région. Je me suis déjà frotté à lui, croyez-moi, il vaut mieux partir.

Le primitif leva la tête et se mit à renifler autour de lui.

- Dépêchez-vous, je crois qu'il nous a repérés.

Ils marchèrent longtemps sans dire un mot. Ils virent enfin de loin le mauve caractéristique de la terre malade.

- Je croyais que vous vouliez vous éloigner le plus possible de la Goo, demanda Eree.

- Ce que vous voyez, même si elles ont la même couleur que la Goo, sont les tentes du campement de la tribu des Antekamis. C'est la teinte traditionnelle chez les Zoraïs. Je ne sais pas pourquoi ils l'ont gardé s'ils haïssent tellement leur peuple. Ces fous vont même jusqu'à mutiler leur masque pour défier les Kamis. Ils ne gardent que le strict minimum, sans cela, ils ne pourraient survivre.

- Comment ça ? Ce n'est qu'un masque, les Zoraïs le gardent pour être liés aux Kamis. Aetis n'avait jamais eu trop d'échange avec les Zoraïs. Il voyait ce masque comme un snobisme religieux.

- Bien sûr que non ! répondit le Matis. Le masque Zoraï est fixé à l'âme par la magie Kami. Le retirer, ce serait perdre son essence vitale. Rien qu'en arracher des morceaux, c'est déjà de la folie pure ! Les Antekamis n'ont plus aucune branche à leur masque. Ce qu'il reste sont les parties qu'ils n'ont pas pu retirer. Dépêchez-vous, nous avons pris du retard.

Ils s'approchèrent des tentes. Immenses, elles avaient été fabriquées avec des matériaux riches et onéreux. Les trois compagnons s'avancèrent prudemment, Natto en tête. Quatre Zoraïs apparurent au coin de la première tente, leur barrant le passage. Chacun était armé d'une longue pique. Aetis jeta un regard derrière lui. Quatre autres Zoraïs se tenaient derrière eux, empêchant une retraite.

- Ne vous inquiétez pas, dit le Matis, ils m'ont reconnu. Le chef ne va pas tarder à venir.

Aetis et Eree ne se sentaient pas plus rassurés pour autant. Les Zoraïs se rapprochaient, leurs piques menaçantes baissées à mi-hauteur.

- Je me nomme Natto, cria-t-il. Je souhaite parler à Pei-Jeng Luun.

- Et je suis là, mon ami.

Les quatre gardes devant eux s'écartèrent pour laisser place à un autre Zoraï. Plus petit, il se déplaçait cependant avec plus d'assurance. Derrière son masque, son regard n'avait pas le mystère des autres Zoraïs qu'Aetis avait déjà rencontrés. Il était ordinaire, presque vide.

- Bienvenue. Nous apportes-tu à nouveau quelques divertissements ? demanda-t-il.

- Oui, une nouvelle faveur pour le Duc. J'ai ramené l'habituelle compensation.

- Et eux ?

Il pointa du doigt Aetis et Eree.

- Le Duc veut être sûr de leur... loyauté.

- Je vois.

Il détourna le regard des deux Fyros qui avaient peu d'importance à ses yeux.

- Combien nous apportes-tu cette fois ? demanda le chef de tribu.

- La somme habituelle : trois cent mille dappers.

- La somme habituelle a doublé, mon ami. La dernière mission a coûté la vie à sept des membres de ma tribu.

Le Matis ne semblait pas étonné.

- Le Duc pensait bien que vous voudriez un supplément. Il a donc prévu cinq cent mille dappers de plus après la mission. Et il y a la petite prime de servir vos intérêts aussi.

Le chef de tribu scrutait le Matis.

- Nos intérêts ? Tu vas devoir t'expliquer, mon ami.

- La mission consiste à attaquer une procession zoraï pour récupérer le précieux Livre des révélations.

- Où est le piège ? Le Duc n'a jamais été généreux. Pourquoi ce soudain changement ? demanda Pei-Jeng Luun.

- Disons qu'il est très désireux de voir cette mission menée à bien, comme vous j'en suis sûr. Voyez cela comme une prime pour vos précédents services.

- C'est une grande nouvelle. Nous allons frapper nos ennemis au cœur. Une grande fête aura lieu ce soir, nous partirons demain.

- Non, dit sèchement Natto. Nous devons partir au plus tôt. Il nous faut être au défilé du Nœud de la Démence demain à la tombée de la nuit pour l'attaque.

- Il sera fait selon tes désirs.

Le chef de la tribu se tourna vers une Zoraï, près de lui.

- Pingi, ma fille, tu prends le contrôle de la tribu en mon absence. Je veux une trentaine de guerriers prêts à partir dans l'heure. En attendant, vous pouvez vous restaurer dans ma tente, dit-il à Natto.

Il les invita à le suivre. Les gardes étaient déjà partis se préparer.

La nuit venait de tomber. La tribu Zoraï avait forcé le pas toute la nuit précédente et ils étaient arrivés au défilé dans l'après-midi. Seuls les éclaireurs n'avaient pu prendre de repos. Toute la tribu était prête au combat. Ils s'étaient disposés tout autour du défilé afin de ne laisser aucune porte de sortie. Ils attendaient depuis plus d'une heure, et aucun signe de la procession. Les deux Fyros commençaient à s'inquiéter.

Ils étaient restés en haut de la falaise, Natto avec eux. Dès que l'attaque commencerait, Aetis savait qu'il devrait agir vite et tuer le Matis. Malgré la sympathie qu'il avait pour lui, il savait que Natto était trop fidèle au Duc pour les laisser partir en vie.

Aetis distingua difficilement deux éclaireurs de la tribu. Ils revenaient faire leur rapport à Luun. Cela ne dura que quelques instants. Le chef se tourna alors vers Natto et lui fit des signes rapides.

- Ils arrivent. Juste dix gardes et deux chariots, ils seront là dans quelques instants.

- Dix gardes ? Impossible ! Pourquoi ont-ils protégé un convoi d'une telle importance avec seulement dix gardes ? dit Natto, soucieux.

Il doute, pensa Aetis. Le moment est proche.

Quelques minutes s'écoulèrent dans un silence total. Aetis ne voyait plus du tout les Zoraïs en bas. Puis, la lumière des torches transforma le défilé petit à petit. La couleur orange effaçait le sombre noir sur les rochers.

Les premiers gardes zoraïs étaient visibles, portant chacun une torche. Il n'y avait effectivement que dix gardes. Ils entouraient deux chariots tirés par des mektoubs.

Les gardes étaient lourdement armés et épiaient chaque recoin du défilé. Ils arrivèrent rapidement au niveau de l'embuscade. Les Antekamis se déplaçaient silencieusement à couvert pour se mettre en position d'attaque.

Juste au moment où la tribu allait engager le combat, une lumière bleue apparut dans le premier chariot. Tous les Antekamis s'arrêtèrent, déconcertés. Le toit du fourgon explosa. Un magicien zoraï se trouvait au milieu. Les particules magiques couraient encore le long de ses amplificateurs. Autour de lui, trois autres Zoraïs se levèrent à leur tour. Le deuxième chariot explosa alors. Dans celui-ci un magicien Fyros se tenait debout. Quatre autre Fyros étaient déjà descendus du chariot en sautant pendant l'explosion. Aetis ne les avaient jamais vus auparavant, mais il savait qu'il s'agissait des Faces Brûlées, la garde d'élite. Ils se dirigeaient en courant vers les Antekamis encore abasourdis par l'effet de surprise. Le premier tomba rapidement d'un coup d'épée.

Pei-Jeng Luun reprit alors ses esprits et ordonna l'attaque. Malheureusement pour les Antekamis, les Kamistes étaient trop organisés. Les guerriers zoraïs protégeaient férocement les chariots d'où les magiciens lançaient leurs incantations. Les tireurs de la tribu furent les cibles principales des rapides guerriers fyros.

Aetis ne vit pas la suite du combat. Il avait été tellement étonné qu'il en avait oublié Natto. D'un violent revers de la main, le Matis l'envoya au sol. Eree tenta d'attaquer le guerrier dans le dos, mais il bloqua sa main et fit tomber sa dague dans le défilé. De son autre main, Eree essaya de le frapper, mais le Matis était beaucoup plus rapide. Il lui brisa le poignet gauche avec une facilité déconcertante.

Elle lâcha un cri de douleur avant d'être jetée au sol.

Natto se retourna vers Aetis qui se remettait sur pied.

- Je vous ai fait confiance, traîtres, rugit-il.

Il avait sorti son épée.

- Nous sommes restés fidèles à notre peuple, et aux homins.

Aetis fit de même avec son arme.

- Restés fidèles aux homins ? Vous vous faites manipuler et agissez comme des pantins !

Il lança une première attaque. Aetis savait qu'il ne pouvait pas lutter contre la force du Matis et s'écarta. La lame passa à quelques centimètres de lui.

- Pourquoi chercher à tout prix le conflit ? Les peuples sont en paix et le Duc cherche la guerre.

Il attaqua à son tour. Il visa le cou du Matis avec un coup rapide. Mais le guerrier avait de l'expérience. Il bloqua l'attaque et tendit la main pour prendre la garde de l'épée d'Aetis. La force brute parla et Natto envoya le Fyros au sol d'un coup d'épaule.

- Les peuples ne seront jamais en paix ! Cesse de te voiler la face !

La pointe de sa lame touchait la gorge d'Aetis. Celui-ci sentit le sang commencer à couler le long de son cou.

- Misérable serviteur de démons, tu n'aurais pas dû t'attaquer à plus fort que toi.

Un roc lui arriva alors en plein visage, écrasant son nez dans un bruit d'os brisés. Aetis tourna la tête. Eree était debout, elle tenait son bras et faisait une grimace de douleur.

Natto poussa un grognement. Il avait lâché son épée et tenait son visage en sang. Aetis n'attendit pas plus longtemps et décrocha un violent coup de pied dans le torse du Matis. Celui-ci fut projeté par la violence du coup inattendu. Il recula de quelques pas et son pied heurta le bord de la falaise. Il disparut dans un cri effroyable.

Aetis se remit debout et s'approcha du défilé. Natto était en bas. Un des guerriers zoraïs s'approcha avec une torche. Le corps du Matis était déformé tel un pantin désarticulé et le sang maculait les rochers en dessous de lui. Le Zoraï releva la tête et fit signe aux deux Fyros de descendre.

Les Kamistes n'avaient eu aucune perte. Un seul Antekami avait été pris vivant. Le reste de la tribu avait été décimé. Les magiciens soignèrent les blessures des deux Fyros et les installèrent sur l'un des chariots.

- Nous retournons vers Zora. Mabreka veut vous remercier, Vous avez fait du bon travail. Le voyage va prendre quelques temps, profitez-en pour vous reposer.

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