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Révisé le | 2015-04-17 | |||
Page(s) créée(s) | Ombres_hurlantes | |||
Page(s) modifiée(s) | Aucune |
L’année 2481 fut une année fatidique pour toute l’hominité et toutes les races souffrirent énormément. Mais aucune ne souffrit autant, à cause de sa propre folie et de son arrogance, que l’ancienne race matis. Certes, cela n’aurait pas changé grand-chose à l’issue finale, mais bien plus de vies aurait pu être sauvées sans l’avarice et la paranoïa des nobles matis et de leurs chefs militaires.
Lorsque se répandit la rumeur selon laquelle quelque chose d’anormal se tramait dans les tréfonds du désert ,et que l’armée impériale toute entière était de ce fait occupée à l’intérieur des frontières de l’Empire, les autorités matis y virent une opportunité de régler de vieux comptes et d’agrandir leur territoire. Profitant de l’aubaine, la quasi totalité de l’armée matis marcha vers les frontières de Trykoth, dans le but de soutirer la précieuse eau des sources du petit peuple à leurs protecteurs auto-proclamés, les Fyros. Alors que la grande armée quittait la Forêt, le peuple matis l’acclamait, lui souhaitant de rentrer auréolée de gloire, avec de nouvelles terres où s’étendre. Mais c’est alors que s’abattit sur eux une terreur sans précédent. Ces quelques longues heures du printemps 2481 restèrent dans les mémoires sous le nom de « la nuit des ombres hurlantes ».
Un vieil homme raconte son histoire avec une voix haletante, brisée par l’émotion.
« Je me souviens… oui, je me souviens. Il ne m’est pas difficile de me rappeler ces terribles instants car ils ont été gravés dans ma tête avec la lame aiguisée d’un maître artisan.
J’étais alors un jeune membre de la milice. Je l’avais rejoint à peine quelques semaines avant, et j’avais l’espoir de rejoindre un jour la garde du palais, pour finalement faire partie de la garde royale. Je ne savais pas alors que ma promotion serait bien plus rapide que je ne l’aurais jamais cru. Mais je ne sais toujours pas si je peux tirer une quelconque fierté de mes actes de cette nuit-là, en pensant à tout ce qui en a découlé par la suite… Mais je m’égare… Vous voulez que je vous parle de la « nuit des griffes » ou « nuit des cris d’ombre » comme certains poètes l’appellent. C’était définitivement une nuit des griffes, et des ombres hurlantes… oh oui il y en avait… J’étais l’une d’entre elles, à coup sûr.
La veille, notre armée était partie pour Trykoth dans le but officiel de « récupérer » des territoires qui auraient garanti à notre Royaume une source d’approvisionnement en eau stable pour les années à venir. Alors que le dernier soldat disparaissait dans la forêt, je ne rêvais que d’être avec eux. Pour atteindre la gloire et réaliser des faits héroïques qui me vaudraient une place dans l’histoire de notre peuple. Je ne savais pas encore que cette nuit serait l’occasion pour moi d’accomplir plus d’actes « héroïques » qu’en une vie entière.
J’étais avec quelques camarades en chemin vers la salle des gardes, avant de commencer notre ronde qui durerait du crépuscule à l’aube. Il faisait chaud, et les rues étaient encore remplies du bruit et de l’agitation de ces instants qui précèdent la fermeture des magasins. Nous étions en train de spéculer sur le temps qu’il faudrait à notre armée pour être de retour et sur ce qui pouvait bien retenir les Fyros et les faire faillir à leur devoir de protection envers les Trykers :
« Peut-être que ces yubos de Trykers ne les ont pas correctement payés », s’exclama un de mes amis.
Ce à quoi un autre répondit :
« Non, ils ont bien payé leur dû, mais les fyros sont fatigués de toujours garder leur paiement pour eux, et de ne rien recevoir en retour ».
Nous avons tous bien ri de la remarque, sauf Girio, notre chef d’escouade. Il nous regarda d’un air pensif.
« J’ai entendu dire qu’ils se battent. Certains parlent d’un nouveau grand feu, d’autres parlent d’une armée inconnue qui attaque l’Empire depuis la frontière sud. D’autres, encore, parlent de monstres … »
Sa voix tremblotait.
« Des monstres?! » répondis-je en riant, « Ils vont sûrement prendre la fuite en voyant les Fyros car aucun monstre qui se respecte ne frappe quelque chose de plus laid que lui-même! ».
Même Girio rit de ma remarque, et je me sentis fier pendant un instant. C’était idiot, je le sais… On a continué à marcher vers la salle de garde, inattentifs aux changements qui affectaient la ville dans un premier temps. Puis un de nos camarades a ralenti, la tête légèrement tournée vers la droite, comme s’il écoutait quelque chose. Nos avons stoppé nos plaisanteries, et avons attendu qu’il nous rattrape.
« Qui a-t-il? » lui demandais-je.
« Vous n’entendez pas? » répondit-il.
Nous nous sommes alors tous arrêtés pour écouter. Un bourdonnement étrange se faisait entendre et des branches lointaines craquèrent, comme si quelque chose d’énorme se déplaçait à travers les broussailles. Avant que nous ayons pu réfléchir davantage à la cause de ce bruit, un cri perça le froid de la nuit. Il venait d’au-dessus de nous, et, au début, je n’étais pas sûr de ce que je voyais. Au sommet d’une des passerelles enjambant les arbres-maisons, deux personnes couraient. Une ombre s’y installa alors à une vitesse surnaturelle, clignotant étrangement dans la pénombre du couvert. Quelque chose tomba alors par-dessus la rambarde de la passerelle et atterrit juste devant nous. J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’une branche ou d’une décoration de l’arche du pont ; mais ma joue fut éclaboussée par quelque chose d’humide, tombée juste devant moi dans un bruit mat, et je compris ce dont il s’agissait réellement. Sidérés, nous avons tous regardé le bras coupé qui se trouvait devant nous. Je vis avec horreur que ses doigts étaient encore en train de bouger, dans un dernier spasme. Quand j’ai retiré ma main de mon visage, elle était rouge de sang. Et alors nous entendîmes de nouveaux cris. De toute part dans la ville des cris de terreur pure résonnaient. Alors que je regardais à nouveau en l’air, ce que je vis me glaça le sang. L’ombre étrange que nous avions aperçue s’était éloignée de la voûte. Volant dans les airs avec la facilité du prédateur, ses ailes immenses bourdonnant, une trainée de sang derrière elle, coulant à flot depuis la forme d’un homin empalé sur ses extrémités avant. Puis l’espèce d’insecte-criquet géant se secoua, et l’homme tomba de son aiguillon. Il tomba mollement et s’écrasa dans un buisson à côté de la rue. Le bruit de sa chute nous fit sortir de notre torpeur. Tel un seul homin, nous commençâmes à courir vers la salle des gardes, alors qu’autour de nous la panique et la confusion commençaient leurs ravages au sein des promeneurs du soir. Tout le monde courait sans savoir où aller et/ou cherchait quelqu’un. Des cris de panique retentissaient dans toutes les rues, et la forêt entourant la ville semblait emplie d’êtres invisibles. Les cloches de la caserne se mirent à sonner, appelant tous les hommes valides à prendre les armes, et quand nous arrivâmes, nombre de nos camarades étaient déjà équipés et prêts à riposter contre ce qui nous attaquait – quoi que ce soit. Toutefois, la plupart n’avait encore aucune idée de ce que nous allions affronter. Et, par Jena, j’aurais souhaité ne jamais le savoir. Au milieu de la confusion, notre capitaine criait des ordres pour nous calmer et nous amener à faire notre devoir. Nous avons saisi nos piques et nous sommes précipités à l’assaut des rues. Nous avons essayé de nous diriger vers la périphérie de la ville, mais alors que nous étions encore à mi-chemin, des gens se sont mis à courir vers nous. Je n’avais jamais vu - et n’ai jamais revu - tant de regards terrifiés. Nombre d’entre eux criaient quelque chose à propos de la forêt qui venait pour eux et bousculaient inconnus, amis et famille pour fuir plus vite. Certains parlaient de monstres qui étaient brusquement sortis de sous terre et attaquaient tout ce qui se trouvait sur leur chemin, d’autres parlaient de créatures volantes qui essayaient de pénétrer dans les étages supérieurs des arbres-maisons. Nous avons couru, et, les poumons douloureux à cause de l’effort, avons finalement atteint la périphérie de la ville. Étrangement, tout était calme, à l’exception du bourdonnement qui était de plus en plus fort. Il n’y avait personne aux alentours, les plus petits arbres-bâtiments étaient abandonnés, et les arbres-maisons barricadés contre les envahisseurs. Nous nous approchâmes prudemment de la lisière de la forêt. Ces bois n’avaient jamais paru si sombres, si maléfiques à mes yeux. Je crus voir un mouvement entre les grands arbres et les sous bois. Quelque chose d’incroyablement rapide surgit alors que nous approchions des sombres buissons, dans un sifflement profond. Nous nous sommes arrêtés, et la chose fut sur nous en un bond soudain. C’était aussi rapide qu’une étoile filante, sa carapace vert foncé brillant à la lumière des lampadaires. La chose se précipita sur nous avec une férocité inouïe, ses quatre pattes jouant un staccato sur le sol dur. Ses pattes avants étaient dressées, avec des extrémités tranchantes, sa large tête plate formant un bouclier protégeant son torse. Elle faisait à peu près la moitié d’un matis adulte, et elle essayait de nous frapper avec ses pattes avant. Ensemble, nous l’avons combattue, Nous en vînmes rapidement à bout grâce à nos piques, gardant nos distances pour éviter ses larges coups meurtriers. Nous nous regroupâmes autour de son corps agonisant, agité de spasmes.
« Au nom de Jena, qu’est-ce donc?
- Par la Déesse, si je savais !
- C’est une araignée, regarde ses pattes.
- Une araignée a huit pattes, ce truc en a seulement six, c’est une sorte d’insecte.
- C’est un sacré insecte!
- Restons groupés les gars, on sait pas si y’en a pas d’autres plus loin.
- OK, on a intérêt de rester sur nos gardes… Au moins, ces trucs sont faciles à tuer. »
A cet instant, le bourdonnement que nous entendions depuis le début gagna encore en intensité, et un cri à glacer le sang surgit de l’obscurité bordant la ville. Un autre lui fit écho à notre droite, puis encore un vers la gauche, suivi d’une cacophonie de cris, grondements profonds, claquements, émis par la forêt tout autour de la ville. D’au-dessus nous venait le bruit de branches cassées. D’immenses créatures étaient en train de se forcer un passage au travers de la canopée, et, derrière nous, nous entendîmes les cris des homins et le tintement frénétique des cloches du corps de garde. Puis la forêt obscure prit vie. Je me souviens de la sensation provoquées par ces immenses jambes grêles se désolidarisant des troncs sur lesquels les créatures s’étaient tenues, camouflées, accroupies contre l’écorce brune ou derrière les buissons. Tout autour de nous, la forêt se mit à venir vers nous. Horrifiés, nous tournâmes les talons et fuîmes aussi vite que possible. J’en suis profondément honteux, mais c’est ainsi que cela se passa. Nous avons tous fui cette nuit-là. Nous n’avions aucune chance. Quelques pauvres fous restèrent pour se battre, mais pour la plupart, nous nous contentâmes de ne pas regarder derrière nous et de courir tout droit, parfois dans les griffes des kitins.
Bien sûr, nous ne les connaissions pas encore sous ce nom-là. Personne ne s’était encore préoccupé de donner des noms à tous ces monstres. Ils étaient juste là, horreurs sans nom, tuant tous ceux qui passaient à leur portée. Homins, homines ou enfants, ils ne faisaient aucune distinction. Ils se déplaçaient dans la ville, tel le moissonneur dans son champ de blé, récoltant la terreur et le sang. Ils s’écoulaient par milliers de la pénombre de la forêt. Ils se laissaient tomber des passerelles, montant et descendant de nos arbres-maisons, déchirant l’écorce de leurs membres supérieurs comme si elle n’avait été qu’une simple feuille de papier, pour atteindre tout être vivant caché à l’intérieur. Ils volaient dans les airs, fauchant les gens en plein vol, leurs pinces et leurs dards acérés les tailladant en de nombreuses pièces qui retombaient telle la pluie sur les homins horrifiés en dessous.
Je me rappelle de ma première rencontre avec ce qu’on appelle maintenant un kipesta. Il plongea vers un groupe d’homins blottis sous une grande racine, essayant d’abord de les atteindre avec son aiguillon, mais voyant qu’il n’y arriverait pas, il a simplement vidé son étrange sac sécrétoire dans le creux. L’air s’est alors instantanément empli de flammes brûlantes. J’étais bien trop loin pour pouvoir agir, et sous le choc devant une telle perversion contre nature. J’étais un témoin impuissant du massacre, et les cris des homins prisonniers et brûlés vifs continuent de hanter mes nuits après toutes ces années. J’ai vu des kipuckas, lourdement protégés sous leur carapace, tombant de la canopée comme d’immenses pommes de pins, écrasant les homins malchanceux de leur poids. Quelques secondes plus tard, lorsqu’ils émergeaient du cratère ensanglanté, la danse meurtrière de leurs pattes créait d’autres ravages. J’ai survécu. Je ne sais pas si on peux appeler ça de la chance – Par Jena, cela tient bien plus du châtiment. Je n’ai fait que fuir, lâcher ma pique et fuir, évitant les homins comme les kitins, courant à corps perdu dans la forêt, jusqu’à ce que mes jambes me lâchent et me laissent inconscient, épuisé et en état de choc. Plus tard, je fis la rencontre d’autres fuyards, et, ensemble nous arrivâmes à un camp Karavan dont ils avaient entendu parler. Ceci est mon honteuse histoire, et je n’en dirai pas plus pour l’instant. »
p>. in « Témoignages » de Ridio Sillia, barde itinérant.
(Merci à Acridiel pour cette chronique)