TJ L'Esprit de Noël

De EncyclopAtys

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L’Esprit de Noël [HRP]

Un vieux tryker, un bonnet défraîchi sur la tête, tellement élimé par les années de Jena qu’on distinguait les cheveux gris sous le tissu, alignait tranquillement des paires de bottes de tailles différentes devant un des hublots de son appartement. Il sifflotait, le cœur empli de joie en cette nuit particulière. L’appartement était étrangement calme à part les ronflements sortant des hamacs dans les pièces d’à côté.
Il s’installa confortablement sur un des sofas, se versa une rasade de psykopinthe et, contrairement à ses habitudes, sirota son verre tranquillement, repensant à une certaine nuit…

La neige tombait sur la jungle, tantôt aussi douce qu’une caresse, tantôt aussi cinglante que la main d’une homine offensée.
Tomelin cligna des yeux sous l’action conjuguée des flocons qui battaient son visage selon les humeurs du vent et du voile d’une éclatante blancheur posée sur l’humus.
Il venait d’arriver dans le Pays Malade et le voyage par le téléporteur karavan le mettait toujours autant de mauvaise humeur.
- « Par les tétons glacés de Jena, toujours aussi froids, impersonnels ces sauts… », grommela-t-il, un nuage de vapeur sortant de la bouche.
Il baissa les yeux et remarqua devant lui, Varixia qui le regardait étrangement, la tête légèrement penchée sur le côté. Il sentait que le cerveau de sa fille était en train de s’emballer et que des idées inattendues et déconcertantes allaient débouler d’ici peu.
- « Popa ? »
- « Oy la Ptiote ? », tout en pensant que c’était parti.
- « Ch’est quoi tétons ? » demanda-t-elle en parfaite gamine sauvage ingénue.
Les ennuis commençaient… et les questions étaient toujours… surprenantes.
- « Hé biiieeeen… les tétons… les tétooonns… c’est… ca… sous tes poils… »fit-il en montrant du bout de sa hache les formes de la jeune homine peu cachées par l’armure moyenne.
Tomelin jugea que la gamine était en proie à une intense réflexion vu l’angle de sa tête.
- « Et Grena mettre tétons dans bière…comme les glachons ? Ronron pouvoir faire pareil dans lait ? »
Un silence pesant s’abattit sur la neige molle. Des visions de bière et d’homines dévêtues traversèrent rapidement l’esprit de Tomelin. Celui-ci secoua la tête.
- « Ronron… il va vraiment falloir que nous ayons une discussion sérieuse ! », dit-il.
- « Greuu ! », fit-elle pour seule réponse.
- « Bon ! On va la faire cette gromenade ? », demanda-t-il pour changer de sujet, « euh…. promenade. »
- « Ouaiiiis ! Gromenade ! », cria-t-elle tout en commençant à courir autour de lui, « Et Ronron veut joujou ! Ronron veut miam joujou Staro. »
Tomelin s’élança, le manche de la hache bien en main.
Jena ! Qu’est ce qu’il pouvait détester ce pays. Déjà l’été, c’était un labyrinthe sinueux dont tous les chemins se ressemblaient. Mais alors en hiver, avec la neige…
Ils cherchèrent longtemps le joujou de Ronron, mais la neige et le vent rendaient la tâche difficile.
Le ciel commença à s’assombrir mais cela était trop tôt dans la journée. Le vent se leva un peu plus, forcit puis se transforma en bourrasque. Le rideau de neige devint plus épais, cinglant les visages au point de les rendre rouges. Ronron restait le plus souvent derrière son père, se protégeant un peu des rafales qui plongeaient vers les deux trykers. Il devenait dur pour eux de trouver leur chemin.
Un son cristallin sembla percer de la neige qui tombait. Comme un bruits de clochettes. Tomelin leva la tête vers le ciel puis la secoua. Sûrement des stalactites de glace qui tintaient en haut des arbres.
La bourrasque forcit, elle aussi, pour se transformer en blizzard. La neige tombait drue, en gros flocons.
A nouveau ce son si particulier. Une fois encore, Tomelin leva la tête. Une trouée plus calme dans les rafales, le ciel devint un peu plus clair. Le tryker distingua une longue forme. Il s’arrêta brutalement, se frotta les yeux puis se retourna vers Varixia qui venait de le percuter.
- « Tu as vu la Ptiote ? », demanda-t-il, « là-haut dans le ciel ? »
- « An… Ronron regarder ses papattes ! »
Tomelin reprit sa course. Troublé, il repensa à ce qu’il avait vu.
Une carriole sans roue, posée sur des planches et tirée par des raspals. Dedans, un drôle de personnage au corps presque intangible, grand, bleu, coiffé d’un bonnet rouge ourlé de fourrure blanche.
On ne voyait pas à un mètre. Et finalement c’est Staro qui les trouva et non l’inverse. La rencontre fut brutale, mortelle… quelques minutes d’un combat perdu d’avance, à l’issue inévitable. Rapidement deux corps gisaient sur la neige, des fleurs écarlates éclosant tout autour d’eux. La vie s’écoulait au rythme des goutes de sève qui s’échappaient de leurs blessures.
Dans une vague inconscience rougeâtre, Tomelin distingua à nouveau l’être au bonnet rouge. Celui-ci se pencha vers lui, un grand sourire aux lèvres.
- « Ronron… », murmura d’une voix quasiment inaudible le tryker, avant de partir dans un maelström noir…
…On lui léchait le visage. Il ouvrit doucement les yeux et, petit à petit, le noir fit place à une lumière orangée. Au-dessus de lui, le visage de Ronron, légèrement inquiet, en train de lécher ses joues.
Il se leva lentement, grimaçant de douleur tellement son corps lui faisait mal, s’essuyant au passage les joues abondamment mouillées.
- « Popaaaaa ! », fit la gamine, « Ronron faire léchouilles pour réveiller toi, mais le grand bleu, là, le ’orai choigner nous. »
Tomelin regarda autour de lui. Ils se trouvaient dans une hutte zorai. De l’autre côté, un zorai l’observait, le masque impassible.
- « Lui trouver nous devant sa hutte, Popa ! Lui s’occuper de nous ! », continua Varixia, visiblement excitée.
- « Grytt ! », lâcha Tomelin, accompagnant ses paroles d’un hochement de tête.
Pour toutes réponses, le zorai prit une écuelle, remplit celle-ci d’un ragoût de viande et de légumes fumant et la tendit à Tomelin. Varixia reniflait le plat avec méfiance.
Le tryker mangea en silence, attendant patiemment le temps où il pourrait parler. Il reposa son écuelle, ragaillardi par la nourriture chaude.
- « Merci encore pour votre aide Nair-zorai ! J’ai une question ? »
Un silence que le tryker finit par prendre pour un assentiment.
- « Il m’a semblé entendre des sons surprenants et voir un être tout aussi bizarre ! », déclara Tomelin, tout en décrivant ce qu’il avait vu et entendu, « Peut-être savez-vous ce que c’est ? Ou qui c’est ? »
Le tryker crût distinguer un sourire sous le masque.
- « Tu as croisé un kami, petit être des Lacs, un kami particulier ! L’Esprit de Noël ! », répondit le zorai, avant de se taire.
Tomelin et Varixia attendirent patiemment, sachant que le zorai parlerait quand il en aurait envie.
- « C’est un esprit particulier, qui n’apparaît que très rarement. Un esprit d’amitié et de partage. Et rares sont ceux qui ont pu le croiser ! Tu as eu de la chance petit être ! Une chance indicible ! »
Le zorai se tut à nouveau.
- « Laisses sa puissance et son énergie t’imprégner en cette nuit. », fit le zorai.
Celui-ci se leva, chercha dans un petit coffre et ramena une paire de bottes qu’il plaça devant la porte.
- « Ce soir, tu devras mettre tes bottes devant la porte. C’est une tradition le jour de l’Esprit de Noël. Si ton cœur s’est ouvert à sa puissance, tu auras peut-être un cadeau. »
Tomelin déposa ses bottes, imité par Varixia, plus quand même pour ne pas froisser leur hôte que pour autre chose. Puis ils passèrent une bonne partie de la nuit à discuter de l’Esprit de Noël et de ce qu’il représentait. Ronron somnolait à côté de son père, sa tête sur les genoux de ce dernier. Tomelin caressait négligemment les cheveux de la Ptiote. Puis la fatigue de la journée eut raison de tout le monde et chacun s’allongea pour la nuit.
Tomelin ne dormait pas, perturbé par les évènements. Puis, pris d’une inspiration subite, il tâtonna à la recherche de sa ceinture et dégagea de leur fourreau deux dagues ondulantes délicatement ouvragées. Il se leva discrètement et glissa les dagues dans les bottes du zorai. Puis il se rallongea et finit par s’endormir.
Dans la pénombre, sous le masque, un zorai souriait avant de sombrer lui aussi dans le sommeil.
Le lendemain Varixia se leva la première et poussa un cri de joie.
- « Popaaa, regardes ! Un grubo ! Un grubo de noël ! »
Tomelin écarquilla les yeux et regarda en direction des bottes. Ronron, les yeux brillants, était déjà en train de lécher un yubo vivant, terriblement apeuré, enserré entre ses bras. Puis il regarda vers ses bottes et eut la surprise d’y découvrir une paire de dagues zorai de grande qualité et tout aussi finement ouvragées. Il regarda le zorai qui était en train de sourire.
- « l’Esprit de Noël, petit être ! », fit celui-ci laconiquement, « L’esprit de Noël ! »…

Le tryker sortit de sa rêverie, se rendit compte que son verre était presque sec et décida d’aller se coucher, non sans avoir glisser quelques friandises dans les bottes.
Le reste, c’était l’affaire de quelqu’un d’autre.
Le lendemain, il fut réveillé par les cris de joie de la nombreuse marmaille et des adultes réunis chez lui pour l’occasion. Il se leva, le bonnet toujours vissé sur la tête, enfila un vieux pantalon Ry-Lithen de couleur bleue et rejoignit le groupe. Les enfants battaient des mains et les adultes riaient.
Devant le hublot, les bottes étaient garnies de cadeaux et de sucreries. Il se mêla aux enfants, joyeux, comme il le faisait maintenant depuis cette nuit dans le Pays Malade.
Une chose le turlupinait encore malgré toutes ses années.
Il se demandait comment l’Esprit de Noël faisait pour remplir les bottes dans son appartement submergé…

p>. Texte soumis par Tomelin lors du concours d’Atysoël 2009.
Note : 6,4/10 avec 35 votes.