Lame
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La Lame

Ecrit par Rodi di Varelo, conseiller du Roi Yrkanis :

La lame « chantait » en fendant l’air d’arabesques complexes. L’habileté du bretteur, tel un chef d’orchestre donnant le ton d’une sonate, exerçait le fil de sa lame sur des aigus enlevés, et des basses murmurées.
En honneur de la lame déchue, Yrkanis s’était engagé dans une parade martiale : « L’Hymne aux Lames Brisées ».
Le roi n’était plus à convaincre de la perfection des oeuvres de son artisan. Assurément, Carranza insufflait une part de son âme dans chacune de ses créations.

« Une lame de Carranza », insigne honneur royal remis au plus talentueux des combattants des joutes de l’arène… avait été … « rejetée » par un guerrier Zoraï lors de la remise des trophées.

A l’ombre d’une stèle, commémorant les héros du royaume matis, érigée dans la salle d’entraînement, Rodi di Varello couvait son Souverain d’un regard empreint de respect, le visage impassible.
Toutefois, les poings serrés, les phalanges blanchirent un bref instant, trahissant la sourde colère qui animait le conseiller et confident du roi. Il eut une toux brève et d’une voix basse il dit :

« Une épée sortit de son fourreau n’est rengainée qu’après avoir accompli le chemin que révèlent les songes tourmentés… »
Le conseiller du roi ajouta un silence courtois avant de poursuivre.
« … afin que la vindicte s’apaise et clame son repos dans le lit de notre justice.»

Yrkanis demeura silencieux. Sa passe d’armes n’eut aucune saccade.

« Mon roi… l’affront impuni respire le crime de lèse-majesté, et il se fait l’écho que la passivité de notre Majesté pourrait être… », Rodi prit le temps de choisir ses mots et rajouta dans un murmure« perçue comme de l’indolence. »

La lame passa d’une main à l’autre. L’usage voulant que la suite de la parade soit exécutée par la main la moins adroite, symbole de la lame brisée dans sa course… Entre les mains d’Yrkanis, ce chapitre s’engagea avec la même virtuosité que les premiers.

« Ce Zoraï doit payer de sa vie ! », hurla Di Varello, perdant momentanément son calme.

Le roi parachevait ses arabesques, ne relevant pas l’exclamation. Il récita seulement la fin de l’ode qu’il avait jusque là psalmodiée intérieurement tout le long de la parade.

« … Quatre fois plongées dans le corps de l’ennemi, toi lame brisée, loyale amie, ainsi se meurt jusqu’à ta garde fichée au cœur. Ton destin s’achève perçant le cœur d’ambre froid et dur de celui dont nous ne voulions pas pour ennemi… »

La parade fut finie. Le roi apposa son front contre la lame, murmurant une bénédiction, un adieu… puis il la brisa violemment contre la stèle des héros.

Son honneur lui était rendu.

Yrkanis se tourna alors vers le Duc.

« Il est des temps où les puissants ont à être jugé de leurs actes. Il est des temps où l’on attend la clémence là où les puissants frappent, et des temps où le bellicisme voulu est désarmé par cette même clémence. _A tout un chacun, en ces temps, ces actions paraissent incohérentes, méprisables, irrationnelles, et nous le savons très bien. Mais un chef, un seigneur, un roi, agit selon des raisons qui dépassent l’entendement du commun car toute action qu’il commet est irrémédiable et lourde de sens. »
- Mais… il s’agit d’un affront Majesté qui a été fait en public devant des ressortissants d’autres peuples. Ne devrions-nous pas punir cette guilde le Cercle des Profondeurs ? Ne devrions-nous pas faire un… « exemple » ? »

La main d’Yrkanis caressa doucement le rebondi de la stèle, là où les noms de ses ancêtres côtoyaient ceux de personnages rendus illustres par leurs faits légendaires.
« - Ils sont… « un mal nécessaire » au service de la couronne. La diversité de leurs membres est un tissu multicolore symbolique du traité de paix signé entre nos quatre nations. Le royaume ne peut s’affaiblir d’une de ses guildes aussi brouillonne soit-elle. Nous sommes en péril à tout moment : maraudeurs, kitins, carnivores dominants… ceux-là guettent notre faiblesse. Ceux-là grondent et menacent mais ils attendent le vrai faux-pas. Et là, ils nous décimeront. Nous rendre exsangue de nos forces serait facile. Un mot suffit… mais aurais-je le droit de faire fi des vies que ces homins auraient pu sauver dans la ferveur des combats contre notre royaume ?
- Le royaume est puissant majesté ! »

Yrkanis eu un sourire bref alors que Rodi se reprenait.
« - Pardonnez-moi Majesté… Alors pour ce Zoraï au moins, nous devrions sévir ! Il est la cause de ce marasme ! »

Yrkanis prit le temps de la réflexion avant de répondre :
« - « Ce » zoraï a agit dans l’ignorance. Non pas dans l’ignorance de son geste immédiat qui était une provocation délibérée, mais dans l’ignorance de l’avenir incertain qu’il a créé pour lui et les siens. Son caractère impulsif lui a ôté la clairvoyance qui aurait dû être sienne au moment des faits. Affirmer son rejet de la sorte lui a valu, ainsi qu’aux siens, un déni du bien fondé de leurs actions. La promptitude des Jardins d’Atys, des Alkians, des Marcheurs d’Atys et de tant d’autres, à condamner cette effronterie, est une punition immédiate qui est plus lourde de conséquences que si nous avions dû pendre haut et court le fautif. Je ne veux pas de dissensions internes. »

Di Varello opinait lentement du chef en signe d’assentiment, Yrkanis poursuivit :
« - L’impassibilité de la couronne est dictée par la sagesse fondée par toutes ces réflexions. Le Cercle des Profondeurs, au regard de ses faits d’armes passés, de l’implication de ses membres à combattre jusqu’à la mort pour sauvegarder une frontière du royaume et empêcher le massacre de population, ne se verra pas admonester par la couronne. Ils ont besoin de notre clémence, comme nous avons besoin de leur présence. »
Rodi eut un sourire entendu.
« - Nos guildes sont nos veilleurs. Une avant-garde impétueuse ou tacticienne, extrême ou ordonnée, mais riche de sa diversité. Elles ont leur code, leurs règles et toutes ne comportent pas exclusivement des sujets loyaux et irréprochables. Il faut aussi celles qui accueillent les âmes errantes, quelles qu’elles soient. Que la vie reprenne son cours à l’ombre de nos forêts, Atys nous réservera bien d’autres épreuves. »

Le conseiller vit son ami franchir la lourde porte de la salle d’entraînement. Un sentiment d’orgueil respectueux de sa majesté animant tout son être. Le Roi était doté d’une sagesse particulière, peut-être acquise au contact des Zoraïs lorsqu’il fut sauvé par eux… Laissé seul, le duc passa le bout de son doigt sur la stèle des héros et des grands de ce monde et s’arrêta sur un nom : « Yrkanis Karan ».

« - Que votre lignée franchisse les âges, mon bon Roi ! »

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