Un chant d'Atysoël

De EncyclopAtys

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Un chant d’Atysoel [HRP]

Il est des destins auxquels on ne peut échapper, et qui coulent dans la sève des homins de génération en génération. La fatalité qui devait conduire Aekos Apocaps et Lini Antodera à se battre jusqu’à la mort était de cette nature. Voici le récit d’un conflit ancien, qui déversa un flot de sève sur les anciennes terres, mais qui pourtant vît naître un nouvel espoir à l’aube du Grand Essaim.

A l’époque des faits, Aekos Apocaps était un général en fin de carrière. Il était issu d’une grande lignée de guerriers fyros, de ceux qui ne baissent les yeux devant quiconque, pas même devant la mort en personne. Aekos était un vieux briscard aux tempes grises, au cuir parcheminé et dont les cicatrices rédigeaient l’histoire d’une vie tumultueuse. Ce grand général était d’imposante stature, le caractère rude et redouté de tous. Il se jetait dans la bataille sans ciller, son regard fier et d’un bleu acier transperçant l’ennemi comme une lame. On disait que ses yeux étaient encore plus arides que le désert, car jamais on y verrait couler une larme. Ses soldats étaient prêts à donner leur vie pour lui sans la moindre hésitation, et l’auraient suivi jusque dans l’antre du Grand Dragon si il leur avait commandé.

Lini Antodera, fraîchement promu capitaine de bataillon matis, connaissait fort bien la réputation d’Aekos Apocaps. Ce jeune matis ambitieux sortait d’une adolescence nourrie par les récits de batailles de son père, le Grand Duc Ciero Antodera. Les Antodera étaient une famille de la grande noblesse matis, et vouaient une animosité sans borne à la lignée des Apocaps, sans que personne ne sache plus vraiment où puisaient les racines de cette haine. A la mort du Duc, le jeune Lini se devait de prendre la relève. Son père disait toujours qu’il n’y avait qu’une seule façon décente de mourir pour un Antodera : en croisant la lame avec un Apocaps. C’est d’ailleurs face au général Aekos Apocaps que le Duc avait rendu son dernier souffle, la lame ardente de la stavon dévorant ses entrailles tandis que le regard froid du général transperçait son âme. Devant le cercueil en bois précieux du Duc, Lini se fît la promesse de vaincre Aekos, partagé entre le désir de revanche et la soif de surpasser son propre père.

L’occasion ne tarda pas à se présenter, lorsqu’au début de l’hiver les troupes d’Apocaps firent une incursion en pays matis. Ils ramenaient de Trykoth un contingent de jeunes trykers, afin de les former au combat dans les ruines de Coriolis. A cette nouvelle, les chefs d’armée matis sonnèrent l’alerte. En effet, un précieux convoi dirigé par une tribu zoraï se trouvait alors dans la même région que les troupes du Fyros. Ce convoi transportait une cargaison de goo hautement nocive extraite au cœur de la jungle corrompue, goo qui devait servir aux botanistes matis pour d’obscures expériences. Il fallait à tout prix arrêter les troupes d’Aekos avant qu’elles n’interceptent le convoi délétère. La garnison de Lini ayant établi ses quartiers d’hiver dans la région, le jeune capitaine matis reçut l’ordre d’intervenir au plus vite. Lini Antodera se frotta alors les mains en songeant à la nouvelle arme qu’il venait de mettre au point pour vaincre son ennemi juré.

La famille de Lini avait un talent particulier pour l’alchimie, ils étaient capables de confectionner des philtres aux effets redoutables. La récente trouvaille de Lini était un élixir dérivé de sève de Psykopla, et qui avait pour propriété d’assujettir les esprits. Même si la potion ne permettait pas encore de dompter l’esprit d’un homin, elle était assez puissante pour soumettre des hominoïdes primitifs. Lini avait donc fait capturer une tribu entière de gibbaï afin de tendre un piège à Apocaps. Les créatures velues avaient été parquée non loin du campement, et chaque jour un garde matis leur apportait de la nourriture, après y avoir versé quelques gouttes d’élixir. Le garde matis était aussi doux que possible avec ces êtres pouilleux, afin de gagner leur confiance, et grâce aux effets du philtre les gibbaï devinrent de plus en plus soumis à la volonté des matis. Chaque jour également, un soldat endossait une vieille armure fyros, imprégnée de l’odeur typique de cette race, et brutalisait les créatures afin d’attiser leur haine. Lorsque les troupes d’Apocaps arrivèrent en approche de la Gorge Moussue, les bêtes capturées étaient conditionnées pour faire un massacre. C’est alors que le convoi zoraï, prévenu par un éclaireur, vint se réfugier dans l’avant-poste matis. Lini fit part de son plan au chef de tribu zoraï, Fuan, une espèce d’illuminé qui en profita pour souffler à Lini quelques judicieux conseils.

Aekos Apocaps n’aimait pas passer par la Gorge Moussue, ses troupes y étaient vulnérables. Mais en ce début d’hiver il n’y avait pas d’autre route praticable. Des nuages anthracites s’étaient abattus sur eux comme une chape de plomb, et la neige se mit à tomber de plus belle, cinglant le visage endolori des soldats. C’est alors que de menaçantes silhouettes noires se découpèrent en face d’eux, leur barrant le passage. Aekos jeta un œil en arrière : trop tard [[Image:… d’autres ombres leur coupaient tout retraite. Il allait falloir se battre, et ce terrain neigeux n’était pas propice aux Fyros et Trykers qui l’accompagnaient… Quelle ne fut pas la stupéfaction des troupes d’Aekos lorsqu’elles virent déferler sur eux une horde de gibbaï purulents, recouverts de cloques violacées. Quelle pestilence avait donc pu frapper ces sauvages?… De la goo, ce ne pouvait être que ça. Leur force et leur fureur s’en trouvait décuplée. Telle était l’œuvre de Fuan, le manipulateur de goo, qui avait mis une touche finale et sordide au plan de Lini en contaminant ses créatures. Les soldats fyros et trykers se débattaient face aux bêtes informes, submergés par un flot de griffes acérées et de morsures infectes. Ce n’est qu’au prix de maints efforts qu’ils finirent par prendre le dessus sur ces immondes sauvages tout droit sortis de l’enfer.

Tandis que la plupart des gibbaï gisaient dans la neige tachée de sang, et qu’Aekos croyait ses troupes sorties d’affaire, Lini Antodera sonna la charge et un bataillon entier de matis, auquel se mêlait quelques zoraï, fondit sur la légion affaiblie du vieux général. Les armes des homins s’entrechoquèrent en un fracas plus violent qu’une pluie de grêlons. Aekos pesta contre les méthodes sournoises de son ennemi, et malgré la fatigue il se mit à trancher du matis en une valse énergique, faisant virevolter sa stavon qui laissait une traînée de braises à chaque coup porté. Lini se fraya un chemin dans la foule belligérante, à la recherche de son ennemi juré. Lorsqu’il arriva à proximité du général Aekos, le visage de Lini se fendit d’un rictus et ses yeux se mirent à briller d’un éclat sinistre. Lini pointa sa lance en direction d’Aekos, comme pour le défier. Mais le général fyros avait l’air subitement perdu, ne prêtant même pas attention à Lini, il semblait chercher vainement quelque chose au milieu de ce fatras de corps disloqués qui jonchaient la gorge.

Le sang de Lini ne fit qu’un tour : « J’aurai ta peau, vieux fou |]] ». Alors que Lini se jetait sur Aekos, le visage du général, occupé à d’autres pensées, s’illumina soudain. Sans même chercher à éviter la lance de Lini, Aekos arrêta d’un revers du bras l’épée d’une de ses recrues tryker qui s’apprêtait à pourfendre un des gibbaï encore en vie. L’épée ondulante entama durement le brassard du général, et le sang se mit à suinter le long de la lame, mais Aekos ne broncha pas. Stupéfait, le jeune tryker resta pétrifié sur place, à l’instar de Lini que la surprise avait figé dans sa course. Pourquoi s’inquiéter de la vie d’une de ses immondes créatures, au risque d’y perdre un bras ? L’onde de stupeur se propagea et peu à peu les combattants des deux camps s’interrompirent. Le général grommela de sa voix grave :
« Ecoute… »

Au pieds du général gisait un des primitifs, à peine sorti de l’enfance, qui serait contre lui la dépouille purulente d’un des siens. De ce petit corps misérable s’élevait un chant, tout d’abord couvert par le vacarme de la bataille, mais qui résonnait de plus belle tandis que le combat s’éteignait. Le chant de ce jeune gibbaï était si pur et si intense, que jamais de mémoire d’homin on avait entendu pareille grâce. La complainte s’éleva jusqu’à emplir la gorge d’une troublante harmonie. C’est alors que les nuages gris, comme en réponse à une prière, se déchirèrent pour déverser un flot de lumière pâle sur les homins abasourdis.
« C’est un chant d’Atysoël !…» s’exclama Aedan, le jeune tryker.
« Mais enfin… comment cette bête… pourrait… » rétorqua Lini, désemparé. Comment pareille beauté pouvait naître d’une créature aussi laide et grotesque ? Aucun palais, aucun bijou ne pouvais rivaliser avec la magnificence d’un tel chant. A son écoute, le soldat le plus endurci devenait aussi inoffensif qu’un enfant. Toute haine semblait avoir disparu.
Lini dévisagea Aekos, dont les yeux humides brillaient sous les rayons du soleil d’hiver. Des larmes. Il avait fallu une vie entière pour que des larmes naissent dans ces yeux. Une vie passée à repousser la mort en attendant une révélation. Le vieux général s’inclina et déposa sa stavon ardente aux pieds de l’hominoïde. Puis il se redressa et murmura :
« Je l’ai connu. Merci… Aujourd’hui je suis prêt à mourir… »

Lini s’avança en direction du général, sa lance vivante à la main, et déclama :
« Je suis Lini Antodera, fils du Grand Duc Ciero Antodera, venu en ce lieu pour prendre ta vie. »
C’est alors qu’à la surprise de tous, Lini déposa sa lance sur la sol, puis tourna les talons et s’éloigna du champ de bataille. Ainsi, peu à peu chaque soldat, quel que soit son camp, imita le geste des deux héros et déposa son arme en offrande à la créature, comme un signe de paix. Fuan le zoraï enjoignit les siens d’administrer les premiers soins aux gibbaï encore vivants, afin de les soulager des blessures et de la goo qui rongeait leurs chairs.

En ce jour d’hiver, sur une écorce blanche et rouge, un simple chant d’Atysoël émanant d’une créature improbable avait su rappeler aux homins la force du lien qui les unis sur Atys. Ce jour de pardon avait semé les graines d’un nouvel espoir, une entente qui permettra plus tard aux homins de s’unir sous une même bannière face à la déferlante kitin et de fonder le mouvement que l’on appellera : la Force de la Fraternité.

p>. Texte soumis par Shinki lors du concours d’Atysoël 2009.
Note : 6,4/10 avec 13 votes.