La sorcière de la Forêt : Différence entre versions

De EncyclopAtys

(Page créée avec « Il était une fois dans les Anciennes Terres, avant que les quatre peuples se mêlent, un jeune matis du nom de Nivaldo. Il vivait dans une petite ville de province. Sa fa... »)
(Aucune différence)

Version du 7 janvier 2024 à 08:35

Il était une fois dans les Anciennes Terres, avant que les quatre peuples se mêlent, un jeune matis du nom de Nivaldo. Il vivait dans une petite ville de province. Sa famille sans être noble faisait partie des notables. Il avait une vie calme et tranquille, sans contrainte, mais il faut bien dire qu’il se sentait un peu désoeuvré parfois. Il avait étudié la botanique comme le devaient tous les jeunes de sa condition. Mais son plaisir secret c’était les histoires, celles qu’on lui racontait mais aussi celles qu’avaient vécues son entourage. Il rêvait de vivre une grande aventure lui aussi, quelque chose qui le sortirait de sa routine.


Un soir, près de l’étable, quelle stupeur de voir une grande homine à la peau bleue et portant sur le visage un masque. Une Zoraï ! Il la regarda subrepticement se demandant ce que pouvait faire cette étrangère parmi eux. La rigidité du masque ne lui permettait pas de déchiffrer ses pensées. Peut-être cherchait-elle quelqu’un ou quelque chose. Il s’approcha de la grande homine.


« Je vous souhaite la bienvenue dans notre ville Serae ! J’espère … »

L’homine le cloua sur place d’un regard glacial et d’un « va-t-en » qui coupa court à ses tentatives de dialogue.

« Tu vois pas que je suis très énervée ? Disparais avant que l’envie me prenne de te réduire en bouillie ! »


Nivaldo n’était pas lâche mais il n’insista pas outré de la réaction de l’homine. Sans un mot, il partit vaquer à ses occupations mais tandis qu’il arrosait les plantes de la serre et confectionnait des bouquets, ses pensées revenaient toujours à la Zoraï. C’est sûr, elle devait avoir une bonne raison de venir jusqu’ici. D’un coup, il eut comme une illumination. La sorcière de la forêt ! C’était une de ses histoires préférées. Si on en croyait cette histoire, vivait dans la forêt qui bordait la ville, une homine à la peau bleue. Elle était arrivée un jour sans qu’on sache comment. Elle vendait des philtres d’amour. Si on en buvait un, on devenait tellement éperdu d’amour qu’on ne pouvait plus détacher ses yeux de la personne aimée et on mourrait d’inanition. Nivaldo avait toujours trouvé cette partie de l’histoire difficile à croire mais tous s’accordaient sur le fait qu’une homine comme cela ne pouvait être qu’une effroyable sorcière. Et maintenant, voilà que venait d’arriver en ville une autre Zoraï. Sans vraiment réfléchir, il se désintéressa des bouquets et se retrouva à se diriger en catimini vers l’étable. Peut-être l’homine avait-elle déjà disparu et il pourrait retourner à ses occupations.

Mais non, elle était toujours là semblant se parler à elle même. Caché derrière un arbre, il l’espionna espérant presque qu’elle fasse un truc extraordinaire comme transformer un des mektoubs de l’étable en un yubo à cornes. Un peu déçu qu’il ne se passe rien, il allait s’en aller quand elle se dirigea droit vers lui.

« Arrête de m’espionner et dis-moi où je pourrais trouver une auberge pour la nuit ! »

Comment avait-elle pu le voir ? Elle avait à coup-sûr des pouvoirs magiques exceptionnels.

Il bredouilla un peu, certain de se retrouver bientôt transformé en une bouillie de psykopla.

« Serae, je ne vous espionnais pas ! Malgré votre rebuffade passée, je venais vous offrir mes services, me doutant bien que vous seriez un peu perdue dans notre grande contrée.

- Oh mais c’est qu’il a un beau vocabulaire notre espion local !

- JE NE SUIS PAS UN ESPION ! Et quant à vous, je ne sais pas si vous êtes une horrible sorcière, mais en tous les cas vous êtes fort malpolie. »

Et il tourna le dos à la Zoraï bien décidé cette fois à ne plus s’en préoccuper.

« Excuse moi, je suis effectivement un peu perdue et très fatiguée. Il me faudrait vraiment un endroit pour dormir. »

Il la regarda cherchant à percer son masque pour comprendre ses mimiques. Peut-être son agressivité venait-elle de son désarroi.

« La seule auberge de la ville ne pourrait convenir à une homine comme vous. » Il toussota, un peu gêné.

La Zoraï semblait sur le point de pleurer.

« Mais si vous acceptez mon hospitalité, mon habit-arbre est vaste et bien désert depuis que mes parents sont partis vivre chez ma sœur. Ce serait un immense honneur pour moi de vous y recevoir. »

Elle hocha la tête : « Je m’appelle Zhia. »

Il tendit son bras : « Nivaldo pour vous servir Serae. »


Au matin, après les politesses d’usage, Nivaldo attendit patiemment que la Zoraï se décide enfin à parler.

« J’appartiens à une shizu très profondément attachée aux Kamis. Mon père est souvent intransigeant à ce sujet. Enfant, j’étais toute dévouée à ses ordres et pleine d’admiration pour cette vie de dévotion. Mais à l’adolescence, j’ai commencé à remettre en question certains de ses ordres. Cela a vite dégénéré en querelles de plus en plus stériles. Et pour finir, je me suis enfuie de chez moi sur un coup de tête sans réfléchir à ma destination. »

Elle engloba d’un regard la pièce et ses décorations si différentes de celles de son enfance.

« Je me suis jointe à une caravane puis une autre sans trop savoir où cela allait me mener. Je ne garde qu’un souvenir un peu confus de cette période. Les Kamis seuls savent pourquoi je me suis retrouvée dans cette région mais dans la dernière caravane, un homin se vantait d’avoir obtenu un philtre d’amour... »

Nivaldo ne put retenir son exclamation : « La sorcière de la forêt !

- Oui la sorcière… J’aimerais lui parler. Je sens que c’est important. Pourquoi une Zoraï, si s’en est bien une, vivrait dans cette partie de la forêt.

- Mais la forêt est dangereuse. Les chasseurs y croisent de grandes meutes de ragus et de gingo. Et en plus, personne ne sait vraiment où se trouve la sorcière.

- C’est pourquoi hier, j’ai passé tant de temps à réfléchir à l’étable. Y aller ou faire demi-tour et rentrer chez moi. Les Kamis me font un signe. » Elle secoua la tête et murmura tout bas. « Mais lequel ? Comment être sûre que ce n’est pas mon impatience et mon arrogance qui me poussent à penser que les Kamis se préoccupent de moi ? »

- Serae, mon épée est à votre service. Je vous accompagnerai dans la forêt et vous y trouverez vos réponses ! »

Et sans plus écouter les protestations de Zhia, Nivaldo courut préparer ses affaires et peu de temps après, ils quittaient la ville et s’enfonçaient dans la forêt.


Les chemins étaient larges et les arbres clairsemés au début mais petit à petit, alors qu’ils progressaient vers le centre de la forêt, les arbres devenaient plus hauts, les interstices bouchés par des buissons et des crolices et le chemin se transformait en un sentier. Ils entendaient des bruits dans les fourrés sans rien voir à cause de l’épaisseur de la végétation. Nivaldo avait tiré son épée et surveillait les alentours. Soudain retentirent des hurlements de gingo. La meute était en chasse.

« Serae, restez bien près de moi que je puisse vous protéger mais si jamais nous sommes dépassés, fuyez sans vous occuper de moi. Je les retiendrai le plus longtemps possible.

- Nivaldo, ignorerais tu que les Kami nous ont fait un don, celui de la magie ? Je ne suis pas une de tes fragiles dames. Avance et je te soutiendrai ! »

Se rappelant qu’elle l’avait menacé de le transformer en bouillie, il reprit le chemin avec un peu d’appréhension.

Au sortir d’un tournant, ils débouchèrent sur une clairière. Le chemin semblait reprendre de l’autre coté. Mais dans la clairière ils seraient à découvert. Nivaldo devinait des ombres menaçantes tout autour. Pas question de faire le tour de la clairière !

Il se tourna vers Zhia.

« Je vais entrer dans la clairière et les attirer si possible un par un vers moi. Restez bien à l’abri, Serae ! »

Zhia parut sur le point de dire des gros mots mais se retint juste à temps et se contenta de hocher la tête.

Nivaldo se remémora les conseils donnés par les chasseurs et entra dans la clairière. Le plan se déroulait assez fidèlement mais l’épée était lourde et il commençait à fatiguer quand il sentit une vague l’envelopper et lui redonner sa vigueur. Zhia ! Il ne pouvait détourner les yeux des gingo mais il était persuadé qu’elle avait fait agir sa magie. Il continua alors avec plus d’assurance. Les gingo semblaient moins nombreux. Ils avaient réussi ! Il se tourna vers la Zoraï.

Zhia qui ne l’avait pas quitté des yeux, vit soudain le sourire de triomphe qu’il lui adressait, disparaître, remplacé par un cri d’horreur alors qu’une meute menée par un énorme gingo leur tombait dessus par derrière.

« Attention !! »

Nivaldo se précipita tentant de s’interposer entre les gingo et l’homine.

Elle continuait de le soigner mais tous deux fatiguaient et le flot de gingo lui ne ralentissait pas.

« Serae, il faut fuir !

- Pas question !

- Nous ne tiendrons plus longtemps !

- Mais pas question pour autant ! On va reculer pas à pas vers le bout de la clairière et le chemin d’en face. Prêt ? »

Nivaldo hocha la tête et recula continuant de maintenir les gingo à distance.

La manœuvre se passait assez bien et ils étaient proches du chemin quand Nivaldo trébucha contre une racine en poussant un cri. Zhia essaya de le rattraper mais les gingo les pressaient de toute part. Elle se concentra et lança un sort formidable qui parvint à remettre Nivaldo debout mais la laissa sans force et elle s’effondra sur place. Nivaldo la sentant tomber vit une fureur terrible s’emparer de lui et les gingo tombèrent sous les coups qui pleuvaient de son épée. Et soudain, il se retrouva seul haletant dans la clairière, entouré de gingo morts.

Il se précipita vers Zhia. Elle respirait encore mais très faiblement et ses mains étaient très froides. Il sortit une couverture de son sac et l’enveloppa, l’appelant et essayant de la réveiller mais en vain. Il la prit dans ses bras et partit vers la sorcière. Obstinément, il avançait, ses bras tétanisés dans l’effort de porter Zhia mais refusant de la poser.


Et soudain, une nouvelle clairière et là, au beau milieu, semblant méditer, la sorcière de la forêt !

Il posa délicatement Zhia devant l’homine qui ne réagit pas puis s’assit à son tour.

« Je vous en supplie Serae ! On dit que vous avez de grands pouvoirs magiques ! Cette homine de votre race s’est sacrifiée pour me sauver. Pouvez-vous faire quelque chose ?

- Que peux-tu me donner en échange ? » La voix semblait venir de très loin.

« Rien, si ce n’est ma reconnaissance. Rien de ce que je possède ne conviendrait pour rémunérer une telle tâche.

- Alors je te propose de travailler pour moi. Es-tu prêt ?

- Je le suis, Ô sorcière de la forêt !

- Commence par allumer un feu dans la clairière. Fais attention, les arbres autour craignent le feu. Protège le bien pour qu’il ne se propage pas. Puis tu installeras ta compagne auprès du feu pour qu’elle bénéficie de sa chaleur. »

Une bonne flambée brilla rapidement dans la clairière et la sorcière approuva d’un hochement de son masque.

« Tu travailles bien. Maintenant, tu vas aller chercher de l’eau dans le petit ruisseau qui coule au nord d’ici. Fais attention que l’eau soit bien claire. Il ne doit y avoir aucune impureté. »

Quand il revint, la sorcière s’était à son tour rapprochée du feu. Il ne l’avait pas vue bouger. Peut-être avait-elle simplement lévité d’un endroit à l’autre. Elle inspecta l’eau dans le flacon puis lui tendit un récipient à long bec.

« Tu vas verser l’eau dans ce récipient en la filtrant avec ce tissu fin. »

Patiemment, il remplit le récipient à la forme étrange.

« Maintenant, tu vas bâtir un petit trépied pour y suspendre le récipient au dessus du feu. Il faut que l’eau chante en se réchauffant. »

Nivaldo commençait à trouver tous ces préparatifs bien longs mais un coup d’oeil à Zhia la lui montra moins pâle. Elle semblait juste dormir et son souffle était régulier.

L’eau commença à frémir puis à chanter dans le récipient.

« Apporte-moi l’eau et ne la renverse pas ou nous devrions tout recommencer. »

La sorcière prit quelques feuilles séchées dans une bourse qu’elle portait à sa ceinture et les jeta dans l’eau frémissante.

« Compte maintenant jusqu’à 180. »

Il ouvrit la bouche pour protester mais croisa les yeux de la sorcière derrière le masque et la referma bien vite.

« 179 et 180 ! »

Une odeur plaisante s’échappait du récipient et Nivaldo s’en sentit tout ragaillardi.

La sorcière désigna un autre récipient qu’elle avait posé près du feu.

« Verse le liquide dans ce récipient en te servant du tissu pour enlever les feuilles et viens t’asseoir avec nous. »

Nous ! Elle avait dit nous ! Ce nous chantait dans sa tête comme une promesse. Mais il se concentra néanmoins sur son filtrage. L’arôme répandu tout autour l’incitait à ne perdre aucune goutte du breuvage.

Il leva enfin la tête, son devoir accompli et se tourna vers la sorcière. Zhia était assise à son coté la tête bien droite.

« Dépêche toi, tête de bodoc ! On va pas attendre 107 ans que tu te décides à arriver ! »

Nivaldo sourit ; elle avait toujours aussi mauvais caractère.


La sorcière prit le récipient et versa le liquide ambré dans des tasses dont les parois ressemblaient à de délicats pétales de fleur. Elle offrit une tasse à chacun et prit une petite gorgée qu’elle savoura en silence.

Zhia suivit son exemple et soupira d’aise.

« Hum aussi bon que celui que prépare ma mère !

- Comment s’appelle ta mère jeune zoraï ?

- Vuai-Muang. De la shizu Quo. »

La sorcière prit une gorgée du breuvage et reposa sa tasse sans un bruit. Le feu crépitait joyeusement. Aucun autre bruit ne troublait la quiétude du moment. La sorcière détacha la petite bourse qui contenait les feuilles et la tendit à Nivaldo.

« Prends cette bourse. Maintenant que tu sais préparer le chaï, tu pourras en faire profiter tes amis. Je dois te remercier de m’avoir amené ma sœur. Je suis Quo Zhua-Peng et ma mère est Quo Vuai-Muang. »


Et des années après, devenu un grand diplomate, Nivaldo continuait de préparer le chaï suivant la recette de la sorcière de la Forêt car qui peut dire ce qu’il va advenir quand les homins se rassemblent autour d’un feu et d’un chaï.