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Version du 8 octobre 2014 à 15:32
Reportée dans Lykos.
On fyren i an sharùk ansum
Des murmures s’élevèrent dans la Cour Impériale lorsqu’il fit son entrée, vêtu d’une simple hobenus noire. Les celiakos se tournèrent vers ce fyros dont l’aspect dégageait une forte aura de puissance, de force, et de respect. Derrière lui, une homine de l’âge de sharükos se tenait, aidée d’une canne. Epus entra à son tour, prenant soin de fermer les grandes portes derrière lui, puis il vint se mettre à la hauteur de la vieille homine, et lui proposa son bras, avec douceur, et une affection non feinte dans les yeux.
Contre toute attente, l’homin s’agenouilla au passage de la vieille homine, et tous les celiakos de la Cour Impériale firent de même. L’Impératrice Xania avança lentement, d’une démarche sûre mais claudicante, parmi les élus de l’Empereur Dexton. Elle gravit les marches, l’une après l’autre, lentement. Arrivée sur l’estrade sur laquelle son époux avait pour habitude de se tenir lors de sa venue au Sénat, elle observa longuement les celiakos assemblés, puis les vastes tentures brodées du sigle fyros, les fyren. Elle ferma quelques instants les yeux, puis les rouvrit et s’adressa à l’assemblée des Sénateurs de la Cour Impériale d’un ton affirmé par les ans, où la puissance de sa position teintait.
« Sénateurs, Patriotes et Frères. Nulle Impératrice n’a ici sa place si ce n’est en des temps troublés et de malheurs. Aussi, je viens à vous, dénudée et soumise au destin, pour vous annoncer de manière officielle ce qui court comme un rat dans notre palais sous forme de bruit, incipide et mat. »
Elle frappa de sa canne le sol de l’estrade, et un grondement sourd s’ensuivit, semblant éternel dans le silence observé.
« Dexton est atteint d’une maladie chronique qui ne lui offre guère de repos. Son esprit est troublé, son corps est celui d’un nouveau-né. Il ne peut plus… être à la tête de l’Empire, tant que ce mal le ronge. »
Certains celiakos détournèrent le regard un instant, d’autres gémirent.
« Moi, Xania, épouse de Dexton le Juste, Impératrice de l’Empire, suis incapable de mener l’Empire, je le reconnais et je l’avoue. Nulle honte en moi, nulle déception, car c’est la vérité et cela l’a toujours été. Je ne peux suivre les traces de Leanon, et Dexton n’a pas de soeur, ou de frère. »
Elle observa une pause puis regarda l’homin agenouillé qui ne s’était pas relevé depuis son entrée.
« Si le Sénat accepte l’état de Régence, alors elle acceptera le fait que Lykos, futur sharükos, en soit le Régent. Voici les simples mots, raisons de ma venue au nom de la Vérité. Celiakos, vous avez l’Empire entre vos mains, et je sais que mes frères feront le bon choix. »
Aidée d’Epus, l’Impératrice Xania descendit de l’estrade dans un silence stupéfié, où les Sénateurs semblaient être des statues, immuables et immobiles dans le temps. Les portes de la Cour Impériale se rouvrirent, l’Impératrice vieillie, voûtée, sortit, suivie de son fils de noir vêtu.
Les portes se refermèrent sur le Sénat.
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« Que se ferment les portes de la Cour Impériale ! »
Des grincements retentirent dans le Palais. Les gardes posèrent les loquets à l’extérieur de la Cour Impériale. Personne ne sortirait de cette salle avant que la décision ne soit prise, dussent-ils jeûner après avoir épuisé les maigres rations de nourriture prévues à cet effet.
Dios Apotheps, celle qui avait été élue par le peuple après l’assassinat par le poison du celikaos Axies, regarda les celiakos debout, alignés, devant elle. Elle inspira longuement. Jamais elle n’aurait cru être projetée ainsi au-devant de la scène, et encore moins pour la question soumise à la décision des Savants* de l’Empire. Et pourtant, tout allait se dérouler sous sa responsabilité… Elle croisa le regard d’Abycus Zekops, la soutenant silencieusement, mais aussi celui de celiakos totalement hostiles.
« Allumez les flammes. Honneur. Justice. Discipline… »
Les gardes présents allumèrent une à une les petites reproductions des flammes que l’on trouve dans les Dunes Impériales, symboles tangibles des Quatre Pilliers.
« …Vérité. »
La dernière flamme s’éleva, au coin nord de la salle. Régence, ou pas de Régence, les débats promettaient d’être rudes, voire houleux. Elle se fit l’image d’une bande de charognards se disputant le cadavre d’un Shalah, abandonné au souffle du désert. Qu’étaient-ils, sinon ceux qui allaient décider si sharükos allait être dépouillé de ce pour quoi il a toujours vécu ? Elle se reprit. Aujourd’hui serait le jour où ils décideraient si l’oisillon était apte à prendre son envol, pour le salut de l’oiseau-père. Rien de plus.
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« Folie que tout ceci, folie que cette mascarade ! Dexton ne peut mourir, terrassé par une maladie, en devenant infirme, alors qu’il a érigé l’Empire après la mort de Leanon !
- Peuh, Leanon n’était qu’une homine qui s’est trouvée là au bon moment et qui n’a jamais rien fait de mieux que de ne pas avoir d’enfants…
- Comment oses-tu souiller la mémoire de la Régente ! Espèce de Matis ! »
Assise, Dios Apotheps sentait une céphalée poindre, tandis que deux celiakos se disputaient et salissaient tout ce dont ils parlaient. Voilà déjà deux jours qu’ils n’avaient pu dormir, et la nourriture bien trop grasse lui donnait la nausée. Non loin d’elle, Abycus Zekops semblait être plongé en pleines réflexions. Certains avaient encore l’air hagard, assomés par la sombreur de la nouvelle, d’autres songeaient déjà à quitter leurs fonctions, ne se voyant pas verser leur sang pour une nouvelle régence.
Lasse de tout ceci, elle se releva, se sentant vaciller comme une flamme au vent. Les Sénateurs agenouillés se levèrent et le silence retomba dans la Cour Impériale. La discipline n’était plus une chose imposée chez les celiakos, elle était comme une partie d’eux-mêmes.
« Frères,
Je sais ô combien cela est une tâche pénible, pour certains plus que pour d’autres. Je sais aussi qu’il vous en coûte d’être dirigés par la plus jeune d’entre vous. Je ne suis pas aveugle, et croyez-moi, certains ici auraient eu plus de mérite que moi à diriger cette épineuse assemblée exceptionnelle. »
Silence dans la salle. Chaque homin présent était attentif, du plus vieux Sénateur au plus jeune garde. La scène paraît irréelle, même encore plus quand je couche ces mots sur le velin. Cela s’est-il vraiment passé de la sorte ? Ma mémoire me jouerait-elle des tours ? Quoi qu’il en soit, elle reprit.
« Notre Empereur, Dexton, n’est pas mort. Il n’est ni mort, ni consumé. Gardons cela en tête. Nous ne parlons pas de retirer les pouvoirs à l’Empereur, mais de donner à l’Empire une tête apte, capable et qualifiée pour redresser la situation qui est fâcheuse à l’heure actuelle. Nous savons, et vous le savez tous, de source sûre, que les Matis ne comptent pas rester inactifs s’ils apprennent que Dexton est malade. Vous savez autant que moi ce qu’il adviendrait de l’Empire si nous n’avions personne pour nous gouverner, tous, en cas de guerre. Prier serait tellement dérisoire … »
Certaines personnes se raclèrent bruyamment la gorge, mais personne ne troubla le discours de la Sénatrice.
« Pour beaucoup, sharükos était, et reste, cette puissance de la nature, cet homin au regard brûlant qui vous transperce comme si vous n’étiez qu’un fétu d’herbe sèche au vent du désert, capable de vous arracher le coeur si l’envie lui en prend. C’est ce même homin qui, après maintes réflexions, nous a tous nommés ici, à la Cour Impériale. C’est cette personne avec qui nous avons partagé le pain, la viande et l’alcool, sans nous soucier de l’instant macabre où tout s’abattrait sur l’Empire. C’est aussi cette personne qui, malade à en mourir, aura tenu les rênes de l’Empire, voyant chaque jour un peu plus son corps se flétrir, son esprit vagabonder.
Aujourd’hui, le Dexton qui nous a toujours gouverné, châtié, protégé, aimé, est enfermé dans son esprit et dans un corps malhabile qui ne peut plus être autonome. Il ne peut plus nous diriger. Il le pourra peut-être, s’il trouve la voie de la guérison. Et il la trouvera, mes frères, je le sais, car c’est sharükos ! »
Des lueurs d’espoir naquirent dans les yeux éteints de certains celiakos, brièvement.
« Nous ne pouvons attendre que le Destin décide, mes frères, car nous avons besoin d’être guidés. L’Impératrice a reconnu devant nous sa plus grande honte, et la raison de son silence. Comme peu ici le savent, l’accouchement de Lykos n’a pas été une épreuve sans risque pour Xania, et depuis, elle ne peut pas marcher sinon avec une canne. Quel peuple accepterait sans huer, sans railler, une homine infirme ? Xania le sait. Mais elle sait aussi que Lykos est aimé par les Patriotes, et que de toute manière, il est appelé à régner, prendre homine et assurer la descendance de la lignée de Cerakos II, que ce soit maintenant, ou demain.
A l’heure où nous discutons, le Peuple sait déjà ce qui se trame dans le Palais. Lykos et Xania ont tenu à ce que sachent les Patriotes, afin qu’ils ne prennent pas notre décision finale pour un coup en traître, car la réponse que nous donnerons devra être ce sur quoi nous sommes censés statuer : L’Empire doit-il être mis sous la Régence de l’Oisillon, ou devons-nous continuer ainsi jusqu’à ce que l’Empire explose ? »
Les mots restèrent en suspens, le temps sembla s’arrêter de manière brutale. Les mots de la Vérité avaient retenti, et tous en accusaient le souffle. Abycus Zekops leva une main osseuse, demandant la parole à Dios, qui la lui accorda. Ses mots furent simples :
« Trêve d’inutiles paroles à présent. Votons, le Peuple attend. »
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La cérémonie des Flammes… Instant solennel et prélude de grands changements. Les quatre flammes sacrées symbolisant les quatre piliers de l’Empire, ramenées en un seul et même lieu : l’Agora. L’Agora où, très bientôt, L’Impératrice elle-même, accompagnée du Prince Lykos, viendrait écouter la décision des Sénateurs représentés par Dios Apotheps, entourés de ces quatre flammes, lors de la Cérémonie de la Révélation.
Vérité, Honneur, Justice, Discipline. Les piliers se dressant fièrement à travers les Dunes Impériales allaient être réunis à l’Agora, afin de transcender chaque mot prononcé lors de la future Cérémonie.
Annoncée par le Crieur Public, la cérémonie des Flammes démarra officiellement à la Porte de Cerakos, où bon nombre de Patriotes et de curieux de tous horizons attendaient. Lyan Cexius, sénateur bedonnant, fit un petit discours avant d’ouvrir la marche, suivi du Porteur de la Flamme Eucalaon Ilakus et de tous les homins présents.
S’arrêtant presque religieusement devant chaque flamme, Lyan Cexius en expliqua tour à tour la signification profonde, tandis que Eucalaon Ilakus en récupérait précieusement une parcelle et la conservait sur son mektoub de bât.
Pendant ce temps-là, sur l’Agora, les magistrats en poste devant la Flamme de la Justice préparèrent les trois foyers destinés à accueillir ces flammes sacrées, les alignant devant la grande estrade, puis rejoignirent leur place. C’est à ce moment précis que le Porteur de la Flamme, le Sénateur et les homins arrivèrent sur l’Agora. L’Impératrice pourrait être fière, leur coordination avait été parfaite.
Discipline ! Honneur ! Vérité ! Tour à tour, chaque petit foyer s’embrasa d’une des flammes sacrées qui crépitait et ondulait au vent, donnant à la place une dimension symbolique sans égal. S’approchant du foyer de la Flamme de la Justice, Eucalaon Ilakus y jeta d’un geste sûr ses épées porteuses de Flammes.
Tout était prêt pour la Cérémonie de la Révélation.
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Ce fut un évènement sans précédent. L’intégralité de la Cour Impériale se rendit sur l’estrade de l’Agora de Pyr, menée par Dios Apotheps et Abycus Zekops, pour la cérémonie de la Révélation, sous couvert des valeurs Fyros symbolisées par les quatre flammes sacrées. Spectacle ô combien émouvant, car, de mémoire d’homin, ce fut la première apparition de l’Impératrice Xania, épouse de Dexton. Elle qui, depuis que la vie l’a rendue infirme, a choisi de vivre recluse afin de ne pas faire rejaillir sur l’Empereur le déshonneur de sa faiblesse physique. Elle qui, pour cette même raison, ne pourra jamais gouverner, mais dont la droiture et la grandeur d’âme sont toujours restées intactes. Xania, l’Impératrice qui, en ce jour, se montrait enfin à son peuple afin de lui redonner espoir en l’avenir, et qui venait écouter le résultat du vote des Sénateurs. Le décret de l’Etat de Régence, avec le Prince Lykos à sa tête. Telle était la demande de Xania, tel était son espoir pour l’Empire.
Le Prince Lykos, à la fois devant les Sénateurs et devant son Peuple, attendait, patiemment, que la Vérité soit exprimée. Ses traits tirés par sa longue veille au chevet de son père contrastaient avec la détermination de son regard. Dexton restait l’Empereur, mais si le Sénat en avait décidé ainsi, alors il se sentait prêt à devenir le Régent de l’Empire. Il se sentait prêt à diriger cet Empire qui serait un jour le sien.
Un geste de l’Impératrice fit taire les murmures parmi la foule présente à l’Agora.
« Rendez votre décision, celiakos. Je l’écoute de tout mon être. »
Vêtue de sa toge blanche de sénatrice, Dios Apotheps s’avança devant elle, puis, d’une voix claire et assurée malgré sa fatigue des derniers jours, clama devant tous la réponse du Sénat, entourée des quatre flammes sacrées :
« Impératrice Xania, comme l’exigent les valeurs fyros, les Sénateurs ont fait Honneur à notre civilisation, ils ont témoigné de notre Discipline et leurs mots ont été Vérité. En cet instant, j’incarne la Justice pour vous donner notre réponse : l’Etat de Régence est déclaré, et le Régent de l’Empire sera votre Fils. »
A ces mots, tous s’agenouillèrent devant Lykos tandis que Dios Apotheps, celiakos Prime de l’Empire, le sacrait Régent :
« Lykos, fils du Juste, petit-fils du Destiné, Maître de Guerre Fyros et celiakos Impérial, entends mes mots ! Moi, Dios Apotheps, celiakos Prime de la Cour Impériale, je te sacre Régent de l’Empire, par les pouvoirs qui me sont conférés en ce jour, et ce, au nom de l’Empire ! »
De fervents “Lykos pyrèkud !” fusèrent des rangs agenouillés des sénateurs, repris en chœur par les Patriotes venus assister à cet événement hors du commun. Dexton restait vivant dans leur cœur, mais leurs espoirs reposaient désormais sur son Fils.
La Régence de Lykos venait de débuter.
p>. Extrait de l’ouvrage “Journées au Sénat, nuits aux bains, Pyr la Brûlante”
Chapitre “La tête de la Régence”, écrit par Icalus Detreus, en 2551 .
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Note : Le titre signifie “Quatre feux et un Empire sont liés”.
* : « Savant » était le nom historique donné aux Sénateurs aux débuts du Sénat Impérial._