De EncyclopAtys
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Version du 15 décembre 2006 à 10:10
Background, Première partie
Background, Deuxième partie
Deux saisons plus tôt...
Mon père était parti à l'aube, me laissant de quoi me nourrir pour les quelques jours que durerait son absence. Cette solicitude me fit sourire. Comme si je ne savais pas prendre soin de moi-même. Il devait accomplir une des missions que lui assignait parfois les gens de la Karavan. Il ne le faisait pas par plaisir, mais la Karavan payait bien, mieux en tout cas que la guilde des Chasseurs de l'Ombre. La saison avait été difficile. Qu'importe, c'était un prétexte pour aller marcher de longues lieues sous la pluie et arpenter seul l'écorce. J'étais habituée à présent à ces courses qui me laissaient une grande liberté.
Plusieurs nuits passèrent. Je ne m'inquiétait pas, car je savais mon père expérimenté, il connaissait par coeurs ces terres et ces eaux depuis qu'ils s'y étaient établis après l'Exode. Eclaireur de la petite troupe, il était chargé à l'époque de trouver les ressources nécessaires à la survie de la tribu. Il cartographiait pour son propre plaisir ces terres nouvelles où le vent était chaud.
D'autres nuits passèrent. Bientôt tout le village murmurait. Je m'absentais tout le jour pour ne pas entendre les gémissements qui m'entouraient. Mon père aurait dû être rentré depuis sept lunes déjà. Quelque chose n'allait pas. Le Coeur-qui-parle se taisait. L'eau elle-même était muette.
Deux saisons s'éteignirent. Ma douleur avait fait place à des préoccupations plus pressantes. J'appris à me servir du fusil qui trainait, poussiéreux, dans un coin de la maison. Il fallait bien survivre. J'adoptais aussi son chapeau de Corsaire qui me tombait sur les yeux. Ainsi fagottée, j'évitais de croiser le regard de mes semblables. Après tout, combien avait déjà perdu les leurs dans de bien plus cruels combats?
Un matin, on trouva un corps sur la plage. Il était méconnaissable, rongé par les eaux. Je me penchai doucement, tentant de vaincre l'horreur qui m'assaillait. Une envie de vomir lancinante secouait mon ventre. Je fouillai tant bien que mal les poches de ce qui restait à cet homin de vêtements. Lové contre son coeur, le reste d'un pendentif. La coquille contenait ce que je savais sans hésitation appartenir à mon père. Un petit morceau d'écorce gravé. Le portrait de ma mère qu'il n'avait jamais quitté depuis qu'elle était morte en me mettant au monde. Bien. Des villageois formaient un cerlce autour de nous, sans trouver rien à dire que les paroles banales de l'embarras.
"Nous lui ferons un bel enterrement."
Je souris, ce que personne ne comprit. Faites ce que vous voulez. La nuit tomba, et je me faufilai dans la maison vide qui lui servait de sépulture provisoire. Non, mon père ne pouvait reposer qu'en un seul lieu, l'eau qu'il avait toujours aimée. je soulevai le corps, croulai sous le poids que je n'aurais pas soupçonné si lourd. Je réussis tant bien que mal à le traîner jusqu'à la plage, où j'avais avancé une petite barque. La nuit était opaque, effrayante. Je devais faire vite. J'ai poussé de toutes mes forces l'embarcation, qui s'éloigna, et j'ai sauté à son bord. Le corps de mon père, plus froid que le souffle des kitins, me faisait frissoner sans que je puisse m'en empêcher. Je ramai longtemps jusqu'à une petite île. Je renversai la barque, et lançai sur l'eau quelques feuilles de stinga. Le vent les emporta.
Et maintenant. L'envie de hurler, l'envie de vengeance qui ne trouvait aucun objet. Ce qu'il avait vu avant de mourir, ses dernières pensées, je ne les connaitrai jamais. Je restais prostrée dans un demi-sommeil, attendant que sortent de la terre les lucioles annociatrices du jour.
On ne pouvait compter que sur soi-même. Mon père était persuadé qu'un jour la Karavan lui ferait atteindre les étoiles, et le voilà qui pourrissait dans le limon d'Atys. J'étais certaine à présent de ne plus pouvoir pleurer.
La rosée me réveilla et le frisson de la veille ne m'avait pas quitté. Mais où suis-je? La barque a disparu. Je fis le tour de l'île, en vain. Voilà ce qui arrivait quand on se laissait aller aux plaintes. Je nageai donc, fébrile, incapable de reprendre mon sang froid. Se maîtriser, se contrôler, sinon j'étais une proie facile. Atteignant une rive, je me déshabillai, froissai mes vêtements pour les sécher. Je ne connaissais pas cette forêt. Mon audace imbécile ne faisait que me mettre en danger. J'ai parcouru ainsi plusieurs lieues, l'oreille dressée au moindre bruit. J'aurais aimé à cet instant avoir l'insouciance qu'ont tous les trykers. J'appartenais tout de même à ce peuple!
Assise contre un arbre, guettant la pluie, j'entendis soudain une voix familière. Un chant paisible, réconfortant, comme la gorgée de liqueur ambrée les soirs de veille. Je me dirigeais vers la source de la mélopée. Peut-être avais-je des hallucinations, à force de jeûne. Mais le chant se faisait de plus en plus audible. Et soudain, je le reconnus. C'était la rouge plante de mon enfance.