Fleurs d'hiver : Différence entre versions

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Version actuelle datée du 18 avril 2022 à 08:46

de:Winterblumen
fr:Fleurs d'hiver


Ma mère,


Nous n’avons jamais été proches. Vous avez toujours été bien plus absorbée par vos recherches et votre mentor que par votre propre famille. J’ai cru que l’amitié de Lea Lenardi me permettrait de m’élever dans la société. Que, grâce à elle, je pourrais trouver une place à la Cour. Me faire un nom par moi-même. Ne plus être la fille de l’apprentie de Bravichi.
Et puis le tyran Jinovitch est arrivé, et vous avez fui.

Je ne sais plus si je dois vous remercier ou vous maudire pour ça. Peut-être que je n’aurais jamais rencontré Zane. Malgré toutes ces années, je n’ai jamais su pourquoi elle m’avait approchée. Oh, je sais bien qu’elle cherchait quelque chose. Je ne suis pas si naïve. Mais était-ce votre mentor qu’elle visait ? Le futur Karan à travers sa promise ? Ou autre chose ?

Peu importe.

Elle m’a montré qu’il existait autre chose. Une autre voie. Une autre façon de ne plus être votre fille. Bien sûr les philtres des Dryades ont dû jouer un rôle. Mais je n’y aurais jamais goûté si j’avais eu une mère pour m’en empêcher. Si vous aviez été mon modèle plutôt que mon repoussoir. Si vous m’aviez offert autre chose qu’une place subalterne dans votre ombre. Et alors, je n’aurais pas trahi Lea.

Non. Je me berce d'illusions.

J’aurais rejoint Zane quand même. Lea était déjà perdue pour moi. Je la sentais distante. Je crois qu’elle aussi essayait d’avoir sa place. Comme c’est étrange. Maintenant que j’y pense, je me demande si nous n’avons pas, toutes les deux, lutté pour être nous-mêmes. Pour ne pas être la fille de. L’épouse de. Peut-être ai-je, en un sens, eu plus de chance qu’elle.

Étrange pensée.

Finalement c’est peut-être pour ça qu’elle m’a demandé de retrouver le coffret de son père. Pour prouver à son mari qu’elle pouvait avoir une valeur par elle-même. Autre que de porter un héritier. Quelle ironie ! Prouver sa valeur grâce aux restes d’un autre. Mais c’est bien ce que je vais faire moi-même. Oh comme je comprends mieux Lea aujourd’hui qu’alors !

Car tout à l’heure je vais remettre le coffret de Bravichi Lenardi à sa fille.

Ce coffret que ce serviteur dont j’ai oublié le nom vous avait remis au hasard de vos errances. Il avait peur, se croyait poursuivi, vous avait-il dit. Je me demande ce qu’il est advenu de lui. A-t-il été sauvé en vous remettant le savoir de son maître ? A-t-il trouvé la sécurité loin de son pays natal ? Ou a-t-il échoué, comme vous, parmi des étrangers qui le toléraient à peine ?

Car vous étiez tolérée, ma mère. Confier le coffret de Bravichi aux Dryades pour que son savoir ne soit jamais plus utilisé vous a peut-être offert une protection contre les kitins. Mais vous n’avez jamais été des nôtres. Des leurs. Et Zane avait autant pour mission de récupérer les informations utiles que de vous surveiller. Je sais que vous en aviez conscience. Contrairement à moi, vous n’avez pas cherché à suivre leur voie. À les comprendre. À préserver la pureté d’Atys contre les agissements d’homins comme votre ancien mentor. Vous avez fait ce qu’il fallait pour qu’on vous laisse en paix. À part ce jour-là… Vous n’auriez pas dû agir ainsi, ma mère. Vous aviez réussi à vous faire oublier ou presque. Vous auriez dû rester à votre place.

Peu importe aujourd’hui. J’ai laissé ma culpabilité là-bas dans le Bosquet de la Confusion. Je ne veux pas croire que mon intolérance progressive aux potions et aux philtres puisse être le résultat de votre action. Mais puisque je ne peux plus être une Dryade. Puisque je n’entends plus qu’un faible écho du chant des plantes. Puisque je ne suis plus qu’une vieille homine, seule et fatiguée. Je vais suivre le dernier chemin qui me soit encore ouvert. Retrouver la dernière amie qu’il me reste. Si c’est encore une amie. Pour essayer de renouer avec elle le fil de notre insouciance.

Ou au moins pour ne pas mourir seule, comme vous.

Peut-être que je pourrai enfin me débarrasser de vous en me débarrassant de l’héritage de votre mentor.

Je vous hais, ma mère.

Lettre de Nine Ginti à sa mère, Sevalda Ginti (décédée avant la rédaction de la lettre) – Folially, 2ème CA 2586


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C’est étrange, la mémoire. On se souvient d’instants fugaces, d’impressions et d’images si brèves qu’elles pourraient n’avoir jamais existé, et qui pourtant marquent plus que le tourbillon effroyable d’un Essaim.

Je ne me souviens pas du jour où j’ai rencontré la Karae Lea Lenardi. Oh, je peux reconstruire le souvenir, la salle du trône, l’anxiété de ma mère qui tournait autour de moi comme un izam mettant la dernière touche à son nid, le bruissement de la foule des Nobles assemblés… Mais c’est une image, des bruits, que je réassemble à partir d’autres moments tirés de ma mémoire. Par contre je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu ma Karae sourire. Son visage s’est éclairé comme si Jena elle-même l’avait effleurée de Sa main, et j’ai su à cet instant que je la servirai jusqu’au jour où je rejoindrai la Déesse. Il me suffit de fermer les yeux pour que ce souvenir illumine l’obscurité de ma mémoire, et que je sente à nouveau cette émotion réchauffer mes vieux os. Oui, cet instant-là vivra toujours en moi.

C’est vraiment étrange, la mémoire. J’ai cru vivre un instant semblable hier.

La Karae Lea recevait Nine Ginti, une ancienne amie, une homine dont elle avait été proche mais qu’elle n’avait pas revue depuis bien des années de Jena. Je n’en ai rien dit à ma Karae, mais je sais que le Karan a donné des ordres stricts aux gardes qui l’ont escortée jusqu’au Palais : il paraît que cette Nine Ginti a passé des années avec les Dryades et tout le monde sait que les Dryades sont folles. Les rumeurs les plus insensées ont couru sur la façon dont elle leur a échappé avec l’aide de plusieurs Nobles et de la Maîtresse d’Armes, mais je ne crois pas à ces histoires rocambolesques qui ne sont bonnes qu’à ébahir le peuple dans les tavernes. Par contre il ne fait aucun doute que Na-Karan prend la sécurité de sa mère très à cœur. Et je lui obéirai sans hésiter si cette homine tente quoi que ce soit contre ma Karae, dusse-t-il m’en coûter la vie.

Il ne m’appartient pas de juger, mais qu’elle paraissait pourtant terne cette homine quand elle est arrivée à l’entrée des appartements de ma Karae. Même s’il n’y entre plus guère de lumière, ni plus grand monde d’ailleurs, il était évident que sa tenue était des plus sommaires. Et elle restait là, sur le seuil, à serrer contre elle ce coffret qui semblait lui encombrer les bras, et à cligner des yeux comme un Tryker aviné. Finalement, elle est entrée et je l’ai menée à la chambre où la Karae passe le plus clair de son temps.

Je l’ai annoncée, sans aucun titre puisqu’elle n’en a pas, et elle est entrée dans la pièce. Et c’est là que ça s’est produit. Ma Karae, qui peut rester des heures immobile, à contempler un paysage qu’elle est seule à voir, l’esprit perdu sur des chemins où je ne peux l’accompagner… Ma Karae s’est raidie et ses yeux se sont illuminés d’une façon que je n’avais plus vue depuis bien trop longtemps. Sur le coup, je n’aurais su dire ce qu’était l’émotion qui l’animait ainsi soudain, mais j’ai moi-même ressenti comme une étrange chaleur, et peut-être même un peu d’espoir, de la voir enfin reprendre vie.

Nine Ginti, bien sûr, n’a rien remarqué. Elle a un peu hésité, tenté de faire une révérence, manqué faire tomber le coffret… Finalement, elle est juste restée plantée là, à se demander quoi faire. Ma Karae a fini par lui faire signe d’approcher. En l’appelant par son prénom. Et la visiteuse a répondu en l’appelant « Lea » ! Sur le coup, j’ai bien cru exploser mais je me suis contenue, et je me suis assurée qu’elle prenne un siège suffisamment éloigné du fauteuil de la Karae Lea. C’est quand elle a posé le coffret par terre que j’ai compris : c’était du triomphe dans les yeux de ma Karae. Car elle a enfin retrouvé ce que nul autre n’avait pu approcher avant elle : le savoir de son père, l’Architecte du Vivant, le grand Bravichi Lenardi.

Le reste de la visite a été peu intéressant. Nine Ginti a raconté son histoire depuis le moment où elle et ma Karae s’étaient vues pour la dernière fois. Je la soupçonne de ne pas avoir tout dit. En particulier sur la façon dont elle a obtenu que sa mère Sevalda Ginti lui confie le coffret, et sur les raisons qui l’ont amenée chez les Dryades. Elle a surtout insisté sur le fait qu’elle ramenait le coffret, comme le lui avait demandé ma Karae. Je lui aurais bien fait remarquer que ça lui avait pris bien plus de temps que nécessaire, même si elle avait rampé sur tout le chemin depuis le Bosquet jusqu’à Yrkanis, mais la Karae Lea l’a simplement écoutée et l’a remerciée d’avoir pris de tels risques pour elle. Finalement, elle est repartie, en laissant le coffret bien sûr.

Jena m’est témoin que cette homine ne m’inspire aucune confiance. Mais lorsque je suis revenue dans la chambre de ma Karae, elle tenait le coffret sur ses genoux et le caressait lentement. Et elle souriait. De ce sourire qui n’appartient qu’à elle, et qui contient un reflet de la lumière de la Déesse.

Elle m’a demandé de ne pas juger Nine trop durement, et j’obéirai. Parce qu’elle est ma Karae. Et parce que son ancienne amie lui a ramené son sourire.

Mémoires de Gidi Antobi, dame de compagnie de la Karae Lea – 2e CA 2586

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