De EncyclopAtys
Sommaire
[masquer]Contexte
Kiriga, ancien héraut des Rôdeurs d'Atys, une guilde héritière des Guerriers Noirs de Ma-Duk, vécut la chute de son ordre comme un traumatisme. La dispersion de ses membres fut un déchirement, d'autant plus que certains renièrent Ma-Duk pour rallier la Karavan.
Parie I : Folie
Le Zoraï claqua la porte et s'écroula sur le plancher, complètement frigorifié. Il rampa dans l'obscurité jusqu'à un tas de couvertures trouées qu'il mit sur son dos dans l'espoir de se réchauffer. Levant son bras malgré son état, il envoya une boule de feu en direction d'une des torches accrochées sur les murs moisies par l'humidité.
La faible lueur de la torche suffisait a éclairer le minuscule abri. Il était dans un état déplorable. Des restes de nourritures jonchaient le sol, éparpillés entre des seringues vides, des objets étranges, des os et quelques armes.
De sa main tremblante, le Zoraï tâta le sol autour de lui de longues secondes, finissant par ramasser une seringue. Il déchira un morceau de tissu, l'attacha autour son bras en guise de garrot et approcha l'objet de sa peau malgré ses tremblements. Son geste fut stoppé par une voix étrange juste avant que l'aiguille creuse ne traverse l’épiderme.
"As-tu vu dans quel état tu t'es mis ? Tu me dégoûtes, jour après jour un peu plus."
Sans rien dire, l'homin appuya sur le piston . Il resta immobile plusieurs minutes, les tremblement cessèrent. La voix se manifesta à nouveau.
"Tu me fais honte ! Où est le Grand Guerrier d'autrefois ? Où est celui qu'on appelait jadis "Porteur de Gloire" ?"
Le Zorai retira la seringue avec violence et la jeta à l'autre bout de la pièce.
"Je t'ai déjà dit de disparaître ! Je ne veux plus t'entendre ! "
Le son de la voix oscilla, se déforma progressivement jusqu'à se transformer en un rire aigu :
"Mais quand cesseras-tu de te voiler la face ? Regarde la vérité en face ! Lève toi ! Regarde toi !"
Curieusement, le Zoraï obéit. Il se leva difficilement et s'approcha du miroir d'ambre accroché sur l'un des murs de la petite pièce. D'un geste de la main, il retira la crasse et s'observa alors pour la première fois depuis plusieurs semaines.
Son corps était couvert de cicatrices et de nécroses. Il était d'une maigreur alarmante, ses yeux cernés avaient perdu toute lumière. Sur le miroir, un sourire s'afficha étrangement sur son masque. Le reflet prit la parole :
"Quel choc, hein ? Kiriga ... comment as-tu pu en arriver là ? Abdiquer, se faire passer pour disparu, fuir ! Tu n'es qu'un lâche, un faible ! "
Effaré par l'image que lui renvoyait le miroir, Kiriga recula en bégayant :
"T...trop de pertes, trop de dérives ... je ne voulais plus ... j'étais presque seul ... je ne pouvais plus ... "
Le reflet se mis a hurler, le masque était totalement défiguré :
"Tu aurais dû t'imposer, combattre ! Regarde toi, ils ont fait de toi un cadavre, ils ont détruit tes rêves ! "
"N...non...c'est faux. Je suis le seul responsable ... j'ai failli ... je les ai abandonnés ... J'ai abandonné Ma-Duk."
"ILS t'ont abandonné ! Ma-Duk t'as abandonné ! Ta seule erreur est d'avoir préféré fuir !"
Kiriga tomba à genou sur le sol.
"Comment oses-tu parler ainsi de notre dieu ?! Jamais ! Tu entends ? Jamais Ma-Duk ne me laissera ! J'ai tout fait pour lui au travers du Culte Noir … tu entends .. ? Tout ..."
Une nouvelle fois, la voix se transforma en un rire aigu:
"Regarde les choses en face, les Kamistes te mentent depuis trop longtemps ! Écoute moi : Ils complotent dans ton dos, ils pactisent en secret avec les Karavaniers ... Ma-Duk ne fait rien ! Il regarde cette décadence ! Il te regarde mourir !"
"ARRÊTE !"
Kiriga se jeta sur le miroir et le brisa contre le sol. Vacillant, il s'écroula par terre et se recroquevilla un coin de la pièce. Il pleura durant de longues minutes sans que la voix ne refasse son apparition. Sortant la tête de ses bras, il remarqua qu'un petit morceau d'ambre était arrivé jusqu'a lui avec le choc de l'impact. Il tendit la main pour le ramasser et regarda dedans d'un oeil. Son reflet reprit la parole:
"Je … je suis désolé. Ne pleure pas, s'il te plaît. Je ne voulais pas te faire de mal … Je souffre de te voir dans cet état Kiriga, je souffre de NOUS voir dans cet état … Tu as besoin de repos, tu as besoin de t'oublier. Donne moi le contrôle ! Je peux nous sortir de cette impasse, fais moi confiance ! Je t'aiderai, je te le prom.."
Kiriga écrasa le morceau d'ambre dans sa main et remit sa tête entre ses bras. Il murmura entre deux soupires :
« J..jamais ... »
Partie II : Souffrance
Un Zorai vêtu d'une grande cape noire se matérialisa devant le téléporteur du Bosquet Vierge. C'était la saison des moussons, la pluie tombait abondamment sur le sol verdoyant de la jungle. Imperturbable, un messab continuait de brouter lentement un petit arbuste tandis que deux jeunes ragus s'amusaient dans une flaque d'eau.
Kiriga regardait ses mains. Elles étaient parcourues de tremblements. Il fallait qu'il se dépêche, il ne pouvait plus attendre. Il partit rapidement vers le sud. Après une longue marche, il arriva devant un petit campement apparemment construit à la hâte et s ’avança comme si de rien n'était vers l'entrée. Apercevant l'inconnu, un Tryker fonça vers lui en pointant sa pique sur son ventre. Un autre garde le prit en joug avec son fusil :
« On avance pas ! T'es sur notre territoire là !»
Kiriga retira sa capuche :
« Je veux "le" voir.»
Le Tryker fit reculer le Zorai avec sa pique :
« Tu te crois où ? Pour commencer tu vas ... »
Un autre Tryker caché derrière une grande cape mauve sortit d'une tente en criant, interrompant le garde :
« Laissez-le passer les gars ! C'est bon ! ».
Kiriga bouscula le tryker et s’avança vers la tente. L'encapuchonné regardait le Zoraï en souriant. Il se mit sur la pointe des pieds et chuchota :
« Tu viens pour la goo c'est ça ? Je savais que tu reviendrais, ils reviennent tous ... File-moi les dappers et tu peux repartir tout de suite avec de quoi tenir un moment. »
Sans un mot Kiriga laissa tomber une grosse bourse aux pieds du Tryker. Il la ramassa en fixant son client et retourna dans sa tente. Il ressortit quelques minutes plus tard avec une boîte qu'il tendit au Zoraï. Kiriga prit la boîte et repartit sans rien dire. Le Tryker éclata de rire :
« A bientôt l'ami ! N'oublie pas, si t'as besoin d'un truc on est là ! »
La pluie s'était intensifiée. Le Zoraï marchait rapidement sur ses pas à la recherche d'un endroit protégé des trombes d'eau. Il approchait d'une grande souche lorsqu'il fut stoppé net par une intense douleur à la poitrine, comme si un coup de poignard venait de lui être porté. Hurlant comme jamais, il s'écroula dans une petite mare de sciure formée par la pluie. Malgré l'intenable souffrance, Kiriga réussit à gagner la petite rive et à se retourner sur le dos. Son cœur brûlant diffusait la douleur dans sa chair comme un poison. Pendant qu'il tâtait maladroitement autour de lui d'une main pour essayer d’attraper la boîte que le trafiquant lui avait donné, toutes sortes d'images défilaient devant ses yeux. Les visages de ses anciens compagnons aujourd'hui morts, disparus mais surtout dupés par de faux idéaux. Des souvenirs de victoires, de défaites, de rares moments de joie, de son enfance d'esclave. Puis cette voix, son véritable « lui » tapit dans l'ombre depuis toujours, sa part de noirceur nourrit par des années de haine, de guerres et de crimes ...
Après de longues minutes de recherches hasardeuses, Kiriga attrapa enfin la boîte qu'il réussit à ouvrir d'une main en dépit des convulsions de plus en plus violentes. Son autre main serrait sa poitrine, ses ongles étaient complètement enfoncés dans la peau. Le Zoraï parvint à attraper une seringue. Totalement désorienté, il la planta sans réfléchir de toutes ses forces au niveau du cœur. Son dos s’arc-bouta avec le choc du coup, il s’évanouit.
Kiriga ouvrit les yeux quelques heures plus tard miraculeusement sauf. La pluie s'était arrêtée et le soleil commençait à se coucher. Le miraculé resta sans bouger quelques minutes, le temps de reprendre ses esprits, puis retira la seringue d'un coup sec. Il se redressa difficilement, sortit de l'eau de et se mit à genoux devant la mare, observant son reflet d'un regard vide. Il était dans un état cadavérique. Attrapant son masque, il murmura quelques mots:
« Je … je ne peux plus continuer comme ça. Il faut que ça cesse ... je veux que les choses redeviennent comme avant … je veux qu'ils reviennent ... »
L'image renvoyée par l'eau se déforma et prit la parole :
« Les choses ne reviendront jamais comme avant Kiriga. Ils t'ont abandonné, ils t'ont trahis, ils t'ont planté un couteau dans le dos ! Ils ne méritent pas que tu les attendes, que tu souffres autant pour eux, que tu te laisses mourir pour eux ! A ce rythme là, tu ne tiendras pas plus de quelques mois ... à part si tu acceptes mon aide bien-sur. Car tu as besoin de moi, et tu le sais. Kiriga. Ensemble, nous pouvons être imbattables, intouchables ! Imagine donc ! Plus de douleur, plus de mensonges, plus de trahisons ! Fais moi confiance, livre toi à moi, accepte mon aide ! Tu ne sortiras pas seul de cette impasse ... »
Le Zoraï resta de longues aux minutes à se regarder en silence. Sans un mot, il se releva en s'aidant de la grande souche. Il rassembla ses affaires répandues sur le sol par sa chute, sortit un pacte de téléportation et l'activa.
partie III : Tristesse
La lame s’enfonça dans le biceps de l'homin. Il parlait à voix basse en fixant la pointe de sa dague.
« J...u...l...y .»
Les lettres de sang fraîchement écrites luisaient à la lueur des quelques torches. Méticuleux, le Zorai retira soigneusement la lame ensanglantée pour la planter doucement dans son avant bras. Réitérant l'opération, il découpait sa peau en murmurant, inscrivant de nouvelles lettres dans sa chair.
« R...o...r...y. »
Du sang coula de son bras, gouttant sur le le sol crasseux de l'abri. Le Zorai baissa la tête et ferma les yeux. Son visage se crispa et le timbre de sa voix changea :
« Que fais-tu Kiriga ? Crois-tu pouvoir les faire revenir en te faisant saigner ? Je t'ai dit de les oublier, c'est ce qu'il te reste de mieux à faire. Ils t'ont déjà assez fait souffrir comme ça, arrête de te torturer ... »
Un tic nerveux parcouru le masque du Zorai qui reprit la parole avec son timbre habituel :
« Tu sais ? Il parait qu'ils ont perdu la mémoire … Je ne les crois pas, ils mentent. Ils n'ont pas pu oublier … c'est impossible ... »
Kiriga se mit à rire doucement, un air de folie dans la voix:
« Et ce n'est que maintenant que tu t'en rends compte ? Oui, ils te mentent ! Ils te mentent depuis toujours ! »
Le Zorai retira la pointe de sa dague et l’enfonça minutieusement un peu plus bas. Son visage se crispa à nouveau.
« Je n'ai pas réussi à les faire rester. J'ai échoué, j'étais seul. Sans Damakian je ne pouvais rien faire … Damakian ... »
La lame aiguisée découpait l'épiderme, gravant le nouveau nom dans la chair brûlante. Mais brusquement, la main du Zorai dérapa. Une entaille s'ouvrit jusqu'au poignet. Il lâcha son arme et laissa échapper un cri de douleur. Le bras ensanglanté goutta abondamment sur le sol, formant une petite flaque .
Kiriga tomba à genoux et s'attrapa le visage. Les larmes qui coulaient sur son masque ne tardèrent pas à rejoindre la flaque de sang.
« July, Rory, Acour, Clemi … Ils m'ont trahi. Je les hais tous ! JE LES HAIS ! »
Toujours à genoux, Kiriga brisa le plancher violemment avec ses deux poings. Il posa son front dans la flaque de sang, toujours en pleurs.
« Damakian, Roekin, Minisu, Docman, Kalbatcha, Sh...Shaori … Ils m'ont abandonné. Je les hais aussi … j...je les hais ... »
Comme la première fois, un tic nerveux parcouru le masque du Zorai. Le timbre de sa voix changea à nouveau.
« Oui … Hais les pour tout ce qu'ils t'ont fait subir … Fais leur payer, venge toi ! »
Kiriga se redressa en regardant ses mains tremblantes couvertes de sang.
« Me... me venger ? »
Partie IV : Haine
Le Zoraï était figé devant un miroir d'ambre. De la vapeur s’échappait d'une grosse marmite posée sur une table près de lui, rendant l'atmosphère de la petite pièce suffocante. Il passa sa main sur l'ambre pour retirer la buée et murmura quelques mots incompréhensibles en fixant son reflet.
Kiriga se dirigea vers les fenêtres de la pièce, s'assura qu'elles étaient totalement obstruées puis vérifia que la porte était bien fermée. Retournant vers le miroir, il ouvrit le couvercle de la marmite et saisit le manche d'une dague zo'lam. La lame avait été plongée dans une étrange mixture. Il orienta l'arme vers les scarifications de son bras, prêt à appliquer la substance visqueuse et bouillante sur sa peau, afin d'effacer les marques gravées il y a quelques temps. Son geste fût stoppé par des cris.
Un vieux Tryker jusqu'alors muet, était ligoté dos à une poutre dans un coin de la pièce. Il s'était relevé en hurlant.
« Ne fais pas ça Kiriga, tu t'es déjà fait assez de mal comme ça ! Pose cette arme, nous pouvons arranger les choses.»
Le masque de Kiriga pivota vers le prisonnier et le fixa de longues secondes sans rien dire. Terrifié par l'intensité du regard, celui-ci se laissa tomber et se recroquevilla à nouveau sur lui-même, en guise de soumission. Le Zoraï lança brusquement la dague en direction du Tryker. La lame se planta dans le bois, à quelques centimètres de son visage. Il s’avança vers le vieil homin, l'attrapa par le cou et le plaqua en hauteur contre la poutre.
« Je… je t'avais dit de te taire, non ?! Tu… tu sais, il m'a conseillé de te tuer ... Mais je lui ai dit « Non, non ! Je ne peux tuer un Kamiste aussi pieux que lui ! » ».
Incapable de respirer, le Tryker tentait de se libérer de la poigne de fer du Zoraï.
« Pou… pourtant, il a insisté. Tu le connais un peu maintenant, hein ? Tu sais à quel point il peut se montrer… convainquant. Car grâce à lui, j'ai compris qui tu étais vraiment, tu sais ? … Il m'a dit que tu m'espionnais depuis longtemps. Que comme tous les autres, tu voulais ma mort. Alors je te le dis tout de suite Lyghan : Non non non non NON ! Ça ne mar-che-ra plus ! Je n'ai jamais été aussi lucide, je vois clair dans ton petit jeu, tu ne m'auras pas avec tes beaux discours ! Alors juste un petit conseil … ferme-la, ou je t'étripe ! Tu entends ?! JE T'ETRIPE !! »
Voyant que le Tryker était au bord de l'asphyxie, Kiriga relâcha son emprise. Le malheureux glissa contre le poteau et s’écrasa sur le sol, la bouche grande ouverte, essayant de reprendre sa respiration.
Son tortionnaire décrocha la dague et retourna devant le miroir. Il replongea sa lame dans la marmite pendant quelques secondes, puis la retira, prêt à reprendre là où il s'était arrêté.
De la même manière que les Fyros pouvaient utiliser des couteaux pour se raser, Kiriga se servait du tranchant de la dague, recouvert de la sève chaude, pour décaper la surface de sa peau. Sans pousser un seul cri, il l'appliqua sur chacun des noms qu'il avait gravé sur son corps. Plus la chair fondait au contact de la substance brûlante et plus les convulsions qui parcouraient son corps, augmentaient en intensité.
Lorsqu'il eût terminé, il lâcha son arme et tomba à genoux les mains contre le plancher. Mise à part sa respiration et les faibles pleurnichements du prisonnier, un silence de plomb régnait dans la pièce. Après de longues minutes, le Zoraï se releva en s’agrippant au mur et regarda à nouveau son reflet dans le miroir.
Il murmura. « V...voilà. J'ai… j'ai fait comme tu m'as dit. Je suis lavé de toutes ces marques impures. »
Le reflet prit la parole à son tour. « C'est bien , mais ce n'est pas terminé… »
Le reflet pointa Kiriga en continuant de parler. « Ce masque est une aberration. Un cadeau des Kamis ? Non ! Un symbole de servitude et de faiblesse, un moyen de contrôler ton esprit ! Kiriga, détruis le! Montre leurs que tu es libre, montre leurs que dorénavant, tu fonctionnes selon tes propres règles.»
L'homin se figea et bégaya. « Je… je ne peux pas. Un … Un Zoraï ne peut pas vivre sans son masque de paren... »
Kiriga fût interrompu par les cris du prisonnier. Lyghan s'était relevé une nouvelle fois. « Oui Kiriga, ne l'écoute pas, tu es assez fort pour résister ! Repense à qui tu es, repense à ce pourquoi tu vis ! »
Le reflet se déforma complètement, le masque était totalement défiguré : « Je t'avais dit de le tuer ! Regarde, il essaye encore de te manipuler ! Égorge-moi tout de suite ce vieillard ! EGORGE-LE ! »
Kiriga plaqua ses deux mains sur les oreilles et tomba à genoux en hurlant. « Sors de ma tête ! SORS DE MA TÊTE »
Sa main droite se décolla de son masque et se dirigea en tremblant vers la dague tombée au sol. Pétrifié par la stupeur, il regardait son bras avancer vers elle, impuissant. Son corps était parcouru de soubresauts.
L’inévitable arriva lorsque la main se resserra autour du manche. Tout alla très vite.
Le dos du Zoraï s'arc-bouta et ses yeux se mirent à rouler dans leurs orbites. Il se retourna brusquement, lança la dague vers le vieux Tryker qui s'écroula sous le choc de l’impact. La lame s'était logée droit dans sa poitrine.
Kiriga se leva en silence et observa ses mains, comme s'il les voyait pour la première fois. Il se mit à ricaner doucement, puis au fur et à mesure, le son de sa voix oscilla, se transforma en un rire aigu. Son regard quitta ses mains pour se fixer sur le corps agonisant de Lyghan. Il se dirigea vers lui et s’agenouilla. Empoignant la dague en souriant, il la retira lentement, ignorant la plainte du vieil homin.
Il lécha la lame ensanglantée et s'adressa à lui. « Tu ne peux imaginer ce que je ressens à cet instant précis. La douleur de la brûlure sur ma chair, l'air suffocante de cette pièce dans mes poumons, le goût acidulé du sang sur ma langue ... »
Le Zoraï gifla le blessé qui semblait avoir perdu connaissance . Il avait perdu beaucoup de sang. « Eh, tu dors vieux débris ? Quand quelqu'un t'adresse la parole, tu l'écoutes. On appelle ça la politesse . Ah, mais oui ... Je t'ai planté une dague dans la poitrine. Excuse-moi, j'avais oublié ... »
Lyghan rouvrit les yeux et cracha au visage du Zoraï. « Je… tu n'es pas Kiriga. Q...qui es-tu bon sang ? »
Le Zoraï s’essuya le visage et répondit au tryker, un sourire froid toujours imprimé sur son masque. « En voilà une bonne question. Qui suis-je ? »
Il s'approcha de son oreille et murmura. « Je ne suis personne. Je ne veux être personne. Je suis juste le concentré de toutes les pensées les plus sombres qui peuvent naître dans le cœur d'un homin. Voilà ce que je suis.»
Lyghan haletait, du sang échappait toujours de sa blessure. « Qu...qu'as-tu fait de Kiriga ... espèce de monstre. »
Le Zoraï ricana. « Kiriga ? Il est juste là, tu ne l'entends pas ? Moi si, je le vois même. Il pleure comme un enfant, recroquevillé dans un coin de ma tête, hantée par les esprits de tout ceux qu'il a perdu. L’imbécile ! Aller, un dernier mot à dire avant de mourir, Lyghan ? »
Le Tryker toussa et cracha du sang. « K...Kiriga, je … je sais que tu m'entends. E...écoute. Je suis sûr… je suis sûr qu'il existe au fond de toi encore un peu de lumière. Tu… tu étais destiné à faire de grandes choses, la ...la Croisade ! Ma ...Ma-Duk n'a pas oublié le Porteur de Gloire, Ma-Duk ne t'a jamais abandonné. Il … il est là, toujours là... Entends son appel, a...accepte son aide… je t'en conjure… Kiriga. »
Le Zoraï se redressa et pointa la dague vers le mourant. « Voilà, c'était le moment d'émotion. Maintenant, place à la scène tant attendu: la sinistre mort du misérable vieillard. Ça risque de piquer un peu, je te préviens. Mais ne t'inquiète pas, avec un peu de chance, les Kamis te ramèneront à la vie, hein ? Aller, adieu Lyghan. »
La dague fondit à nouveau sur la poitrine du malheureux qui criait de douleur. Un deuxième coup, puis un troisième... La scène n'en finissait pas. La vibration de l'impact se répercutait dans le bras du Zoraï. Le sang lui giclait partout sur le masque. Lorsqu'il eût terminé, il essuya la lame sur les haillons de la dépouille, comme si de rien n'était, puis retourna devant le miroir.
Le reflet se déforma à nouveau mais prit cette fois-ci une expression de terreur. Sa voix tremblante était à peine audible. «P...pourquoi as-tu fait ça… C...comment as-tu fait ? Je… je n'arrive plus à penser, n'arrive plus à bouger, j'ai totalement perdu le contrôle..." Le reflet s'attrapa le visage et se mit à hurler . «Arrête ça, je t'en pris ! Sors de ma tête, disparais ! Je veux que tout revienne comme avant ! »
Le Zoraï éclata de rire. « Disparaître ? Mais nous ne formons qu'un Kiriga, et ça depuis toujours ! Les drogues n'ont fait qu'affaiblir ta personnalité au profit de la mienne, rien d'autre. Sans moi, tu serais déjà mort. Réfléchis, repense donc à toutes ces fois-là. Tu vois de quoi je veux parler ? Comment crois-tu avoir réussi à poignarder le Baron Kaldon alors que tu n'avais que douze ans ? D’où te viens cette rage pendant les combats, celle qui te sauve in-extremis alors que tout te prédestine à mourir ? Tu crois que les Kamis veillent sur toi ? »
Il donna un coup de poing dans le miroir qui se fissura. Le reflet ne parlait plus, son regard avait perdu tout soupçon de lumière. « Laisse moi rire ! Ils ne sont là que pour ressusciter leurs pions et les renvoyer en pâture sur le champ de batailles. Sans moi, l'esclavagiste Kaldon t'aurait tué à la tâche ! Je suis la haine qui a fait de toi le guerrier que tu es aujourd'hui ! Tu me dois ta vie, tu me dois tout ! Et toi, c'est comme ça que tu me montres ta gratitude, en me demandant de disparaître ?! »
Le Zorai empoigna une corne de son masque et posa la lame de la dague à la base. « Dorénavant, on ne sera plus bridé par ta faiblesse d'esprit. Les sentiments, les croyances, les état d'âmes : tout ça appartient au passé ! Et ma première action sera de détruire cette horreur ! Les Antékamis l'ont fait et n'en sont pas morts, alors … »
Il se trancha la corne d'un coup sec. L'intensité du choc fut horrible, beaucoup plus fort que tout ce qu'il avait pu enduré jusque là. Il hurlait comme jamais, s’agrippant d'une main au mur et enfonçant ses ongles dans le bois. Les salves de douleur n'en finissaient pas, sa tête était au bord de l’explosion. Mais le Zoraï restait lucide, souriant même malgré la souffrance. Il se redressa et positionna la dague sur la base d'une autre corne.
Dans le miroir, le reflet hurlait de douleur en se tenant les tempes. « Tu … tu sais quoi Kiriga? Je ne me suis jamais senti aussi vivant ! »
Il trancha la seconde corne. L'effroyable séance de mutilation dura ainsi toute la nuit. A chaque amputation, le Zoraï faiblissait de plus en plus. Lorsqu'il eut terminé, il s’évanouit et s'écroula sur le plancher.
Après une nuit de cris et d'horreurs, la petite pièce était devenue étrangement calme et silencieuse.
Texte de Kigan